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Syrie : Chronique du gynécologue franco-marocain Zouhair Lahna en direct d’Alep

En direct d’Alep en Syrie, le Docteur franco-marocain Zouhair Lahna, chirurgien obstétricien et acteur associatif publie des chroniques quotidiennes en marge de sa mission humanitaire de formation des gynécologues et d’assistance au peuple syrien. Chronique 3 septembre 2015.

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L’image de cet enfant syrien de trois ans, échoué sur une plage turque trouvera-t-elle le même développement que l’image de la petite fille vietnamienne qui a provoqué l’arrêt de l’agression américaine sur le Vietnam ? On a le droit de rêver et le souhaiter. Et à chaque fois que l’être humain a un rêve qu’il souhaite vraiment voir se réaliser, il y emploie tous ses moyens pour que ce rêve aboutisse.

Entre omerta sur le quotidien très dur des Syriens, la désinformation sur la réalité des forces en présence et des objectifs réels de la destruction de ce pays et enfin la mise en avant systématique de l’ogre Daesh, les médias tenus par le même lobby se jouent souvent des opinions publiques dans le monde.

Parfois, un événement auquel on ne s’attendait pas vient perturber les dessins des destructeurs de ce monde. Et si quelqu’un attend des gouvernements des puissances ou encore du Conseil de Sécurité de l’ONU ou plutôt du machin (pour reprendre l’expression de Charles de Gaulle) qu’ils se bougent pour arrêter le massacre et les souffrances des Syriens, alors c’est qu’on a encore rien compris à la marche de ce monde.

La conscience humaine

La seule force qui peut obliger nos «dirigeants» à agir est bien une volonté populaire, parce que l’être humain quel que soit son appartenance ou sa croyance, garde une conscience. Et cette dernière se réveille quand elle est bousculée par un événement qui lui rappelle sa condition d’humain et sa fragilité.

Si en 1972, la photo de la petite vietnamienne brulée au Napalm a ému le monde et a obligé le président Nixon à arrêter l’agression de son armée contre le Vietnam sans réaliser ses objectifs qui étaient à ce moment la destruction pur et simple des combattants Viêt-Cong et par conséquent de l’idéologie communiste. La photo du petit garçon échoué sur une plage amènera t- elle suffisamment de monde dans les rues pour demander à leurs gouvernants de trouver une solution à la crise syrienne et à la destruction en règle d’un peuple et d’une civilisation ? Il est trop tôt pour s’avancer.

Des morts d’enfants de tout âge, il y a en a eu en Méditerranée ces dernières années. Les récits des survivants pullulent. Mais dans un monde de l’image, le photographe qui a pris la photo et celui qui a filmé les vagues qui bousculent le petit corps, ne pouvaient pas laisser ceux qui les observent insensibles. Les réseaux sociaux ont permis la diffusion de cette image, reprise en boucle par les chaines d’informations. Par conséquent un sentiment de colère associé à une impuissance s’est accaparé de l’opinion publique internationale.

Le timing de cet ‘‘accident’’ n’est pas anodin. C’est un signe du destin, puisque le monde est à la rentrée et les vacances se sont terminées. Cette coïncidence permettra à tous ceux qui le souhaitent de se mobiliser et mobiliser les citoyens et l’opinion publique même en dehors de toutes les corporations préexistantes comme les partis politiques, les syndicats ou les associations. Les nouveaux moyens de communications permettront de mobiliser les citoyens afin de se rassembler et dire NON à l’infamie. Aujourd’hui, ce qui arrive au peuple Syrien, peut arriver à n’importe quel autre peuple pris entre les crocs des puissances et les mauvais calculs politiciens.

Le cauchemar doit prendre fin

A Alep, la ville est détruite plus que Gaza où j’étais l’été dernier en 2014. La ville est dépeuplée des deux côtés. Du côté dit «libéré», on se prend des barils de TNT avec une mort qui arrive par le ciel à n’importe quel moment de la journée comme de la nuit. Du côté du régime, c’est l’arbitraire, les mises au secret sans procès avec tortures à tous les étages, de telle façon que n’importe qui entend les récits des rescapés ou regardent les vidéos insupportables des séances de bastonnades, souhaiterait combattre et mourir au lieu de se faire prendre.

Les services de tous les pays occidentaux sont dans la région et même dans le pays, ils connaissent par cœur ce qui se passe en Syrie, mais aucun n’a pris la décision d’arrêter ce massacre de la population d’une façon ou d’une autre. L’apparition de Daesh a fait passer l’attention à ses excès, à ses mises en scènes de décapitation, de brûlures de personnes et autres marchés aux esclaves. Mais les exactions en masse qui ont obligé les syriens à partir ne sont plus prises en charge et diffusées par les médias dominants.

Alors vint ce petit enfant pour rappeler au monde son inconscience, sa complicité et bientôt sa perte s’il ne se ressaisit pas. Il nous demande par son sacrifice et son innocence de l’honorer. Et on ne peut l’honorer qu’en faisant en sorte que sa mort ne soit pas vaine et que son décès permette à d’autres de recouvrer une dignité !

Les gens n’abandonne pas leur passé vers un avenir incertain par plaisir. Et le déplacement de près de dix millions de Syriens, soit presque la moitié de la population, n’est pas dû au hasard. Ces Syriens nous disent qu’ils n’ont pas trouvé d’autres solutions pour leur survie que de fuir et de tout abandonner. Devrions-nous les laisser à leur sort ou faire en sorte que ce massacre cesse en obligeant les belligérants et leurs sponsors matériel et idéologique à cesser les combats… Tel est le vœu qu’on peut souhaiter à ce peuple martyrisé.

Tribune

Zouhair Lahna
Chirurgien obstétricien et acteur associatif
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