Où étions-nous, nous journalistes lorsque le Maroc s’est engagé dans l’opération «Tempête de fermeté» ? Pourquoi n’avons-nous pas ouvert un large débat pour comprendre les raisons de cette participation militaire, et confronter les arguments des partisans et des opposants ? Même les éditorialistes qui n’hésitent pas à donner leur avis sur tout, tout le temps -des sujets futiles comme la jellaba de l’épouse Benkirane, à l’analyse sémantique des paroles de la dernière chanson de Daoudia-, ont brillé par leur discrétion.
Pourtant aujourd’hui, on constate que l’intervention militaire du Maroc au Yémen divise l’opinion publique. Une partie des Marocains ne comprend pas les raisons de notre présence dans cette coalition qui bombarde des tribus houthies. Conséquence évidente de l’absence de débats impliquant politiques, société civile, et médias.
Du minimum syndical au zéro pointé
Il y a bien eu quelques timides incursions par certains supports qui ont relayé les manifestations contre l’intervention militaire au Yémen, ou les communiqués des partis politiques d’extrême gauche, du mouvement Al Adl Wal Ihssane, ou de certaines associations. Mais avons-nous, nous journalistes, porté le débat comme nous le devions ? Avons-nous correctement joué notre rôle auprès de l’opinion publique pour que le citoyen soit informé et pour qu’il dispose des différentes clés de lecture d'une question d'intérêt national ? Manifestement non !
Nous avons manqué à notre mission, et nous en sommes entièrement responsables. Malgré cette évidence, certains journalistes n’ont pas hésité à reprocher à l’armée -qui est pour rappel surnommée la Grande muette- de ne pas suffisamment communiquer. Qu'espéraient-ils ? Un communiqué de presse quotidien afin de pouvoir le réécrire rapidement et ainsi alimenter le buzz, et affoler les statistiques de visites ?
D’autres plus pragmatiques n’ont pas attendu une hypothétique aide de l’Etat major de l’armée pour ça, et ont choisi de produire des articles tel un ouvrier à la chaîne. Un article pour annoncer l’identité du pilote dont on ne connaissait pas encore le sort, un autre pour donner l’adresse de son compte Facebook, un autre pour diffuser une série de photos : le pilote à la Mecque, le pilote sur une moto, le pilote arborant un t-shirt prémonitoire… Jusqu’aux sordides photos de ce qui étaient supposés être les restes du corps du lieutenant Bahti.
Autocritique
Malgré cette dérive nauséabonde, il y a eu de bonnes initiatives pour tirer la sonnette d’alarme, comme l’édito de Aziz Boucetta sur Panorapost - qui nous a donné l’idée d’interviewer sur le même sujet Alain Rollat, un ancien journaliste spécialisé dans les questions d’éthique-, mais aussi l’article de nos confrères de Medias24… Mais si ce débat de déontologie journalistique est nécessaire et vitale, nous ne devons pas seulement montrer la poutre dans l’oeil de nos confrères indélicats, mais aussi voir les oeillères qui couvrent les nôtres. Nul besoin d’avoir fait Sciences Po pour savoir que l’autocritique est souvent plus difficile que de tirer sur les ambulances, comme celles squattant en grand nombre le parking du paysage médiatique marocain.
Dès le départ, nous avons complètement raté le débat sur l’engagement militaire du Maroc au Yémen. Télévision, radios, presse papier, site d’information, nous avons tous été absents d’un dossier majeur qui fait l’actualité depuis plusieurs mois. Souvent on se moque de la propension du journaliste à ne parler que des trains qui arrivent en retard. Il y a une part de vrai, car il est important de signaler ce qui ne va pas dans notre société. Mais on ne doit pas oublier que notre rôle est aussi de comprendre pourquoi ces trains n’arrivent pas à l’heure.
Aujourd’hui, nous avons enterré un pilote de l’Armée aérienne royale, le Lieutenant Yassine Bahti (paix à son âme). Les Marocains dans leur grande majorité ne savent pas pourquoi il est mort, pourquoi notre armée est engagée dans le conflit yéménite, et surtout pourquoi on ne leur a rien expliqué. Nous, médias marocains, sommes seuls responsables et n’avons pas été à la hauteur des enjeux. En tant que directeur de publication de Yabiladi, je prends ma part de responsabilité avec ce modeste édito.