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Grand Angle

"Le crime organisé est maitrisé au Maroc", selon Hatim Souktani, expert en criminologie

Le crime organisé suscite de plus en plus d’inquiétude à travers le monde actuellement. Un fait renforcé par la montée de la menace terroriste. En Europe, les spécialistes de la criminalité plaident avec force pour l’instauration d’un 21 mars Journée internationale des victimes du crime organisé. Où en est le phénomène au Maroc ? Nous avons directement posé la question à Hatim Souktani, expert en criminologie. Interview.

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- Yabiladi : Alors que dans son rapport 2004, Europol faisait état à l’époque de l’expansion du crime organisé au Maroc, quel est actuellement l’ampleur du fléau dans le royaume ?

- Hatim Souktani : Comme dans tous les pays du monde, le crime organisé existe au Maroc, car c’est un des crimes transfrontaliers par excellence. Il peut nous être importé des pays voisins aussi bien de l'Europe que de l'Afrique Subsaharienne et les pays du Maghreb. Et dans certaines situations, le Maroc l'exporte à son tour vers les autres pays. Mais il faut dire que le crime organisé au Maroc n'a pas atteint la même ampleur que dans les pays développés qui connaissent des réseaux mafieux bien infiltrés et hiérarchisés, les cartels de drogues dures qui représentent des entités rebelles et autonomes par rapport à l'Etat. La situation est heureusement maitrisée au Maroc grâce à la vigilance des citoyens et au professionnalisme des services de renseignement et de sécurité connus par leur dextérité et leur approche anticipative mais aussi par leur esprit d'équipe et de collaboration aussi bien à l' échelle nationale qu'internationale. Les crimes les plus répandus au Maroc sont liés en majorité au trafic de cannabis, à certaines formes de prostitution et à la migration clandestine mais n'atteignent jamais une menace à la sécurité de l’Etat.

A combien estime-t-on le nombre des victimes du crime organisé au Maroc à ce jour ? Sont-elles correctement assistées pour celles qui survivent ?

Personnellement, je pense qu'avancer des chiffres statistiques dans le domaine de la criminologie serait un acte maladroit de ma part, car nous attendons toujours la mise en vigueur des dispositions légales du droit à l'information. Nous attendons également la création de l'observatoire National de la criminalité annoncé lors du Discours Royal et auquel nous serions mobilisés pour lui apporter notre modeste contribution. Car pour bien vous expliquer le principe, les criminologues sont confrontés à la problématique épineuse de la criminalité apparente et celle cachée ou occulte. Dans les réseaux mafieux règne la loi du silence et il y a une grande différence entre les statistiques policières, judiciaires, pénitentiaires et celles rapportées par la société civile, en l'occurrence les organismes militants dans le domaine des Droits de l'Homme et autres...

En décembre 2013, la police marocaine a démantelé un réseau européen de crime organisé. En 2014, c’est un réseau chinois qui a défrayé la chronique avec au moins trois cas de tentative et/ou d’assassinat. Les réseaux étrangers sont-ils si bien implantés au Maroc ? Travaillent-ils avec des Marocains ?

Avec la mondialisation toutes les frontières sont abolies. Certains Marocains se trouvent impliqués dans certains réseaux mafieux étrangers soit parce qu'ils ne réalisent pas l'ampleur du réseau dans lequel ils travaillent, soit à cause du trafic d'humain qui les piège dans ses mailles et dont la tentative de se libérer peut leur coûter la vie. Mais il faut avouer que certains d'entre eux sont placés à la tête de la pyramide qui hiérarchise ces réseaux criminels.

Il faut cependant dire que les cas des deux dernières années sont des cas que nous qualifions scientifiquement de sporadiques. Et ils attestent de la vigilance de nos services depuis les postes frontières, aux villages les plus éloignés du Royaume. Le crime organisé au Maroc est dans ses états primitifs et se trouve encerclé par des règles sociales citoyennes et sécuritaires qui atténuent sa virulence au stade fœtal. La politique criminelle au Maroc est une politique qui s'abreuve des règles de défense sociale initiées par le célèbre magistrat français Marc Ancel. Mais le royaume s'individualise par l'application rigoureuse du principe «Tolérance zéro». La situation est donc maitrisable, mais nécessite la conjugaison d’efforts additionnels de toutes les bonnes volontés actives dans le domaine du crime.

Au moment où l’accent est mis, dans le monde entier, sur la coopération internationale en raison des liens de plus en plus développés entre le crime organisé et le terrorisme, le Maroc a signé en juin 2014 un accord de partenariat avec les Etats-Unis pour lutter contre le crime organisé. Sachant que le royaume est déjà lié dans ce sens avec l’UE, pensez-vous que le pays fournit assez d’efforts pour contrer le phénomène ?

Le Maroc est l'un des pionniers dans la lutte contre le crime organisé, grâce à la formation et la qualification de son personnel, à la création de brigades spécialisées, à la vigilance de toutes les composantes de la société marocaine et aux patrouilles de proximité. Nous commençons à exporter notre expertise, en témoigne la sollicitation des pays du Golfe et des pays africains amis. Notre pays a commencé à sécuriser ses frontières et ses postes douaniers. Il a signé et ratifié plusieurs accords relatifs à la lutte contre le crime organisé et le trafic illicite. Il a même exposé son expérience tout récemment à Alger par son ministre de l'Intérieur à l'occasion de la réunion des ministres de l'intérieur arabes. Reste donc à convaincre nos voisins et frères algériens de dépasser tout conflit artificiel pour pouvoir aller de l'avant et collaborer mutuellement pour lutter contre le crime organisé qui sévit au Sahel et qui menace la paix et la stabilité de la région.

Le dernier Forum de Crans Montana organisé à Dakhla en présence de 112 pays démontre que le Maroc détient les clés du développement et de la sécurité dans la région. Mais nous devons toujours maintenir le même niveau d'alerte et de vigilance car le combat contre le crime organisé et le terrorisme est un combat continu.

Vous êtes justement en train de créer le Centre marocain de la criminologie et de la défense sociale. Où en êtes-vous ?

Actuellement, nous sommes à l'étape virtuelle (Page sur Facebook) et nous préparons le statut légal de notre centre. Son appellation est juste provisoire en attendant des propositions lors de l'assemblée constitutive.

Cette organisation sera-t-elle rattachée à une institution publique ?

Nous ne sommes rattachés à aucune institution de l'Etat et espérons avoir différents types de partenariats. D’ailleurs, tout geste de bonne volonté pour aider notre centre à voir le jour sera le bienvenu. Notre ambition est la création d'un journal scientifique afin de publier nos études en toute objectivité et rigueur scientifique et, bien sûr, contribuer à l'élaboration d'une école de criminologie marocaine. C'est un cadre académique de réflexion et de discussion de haut niveau, ni plus ni moins, en conformité avec les lois en vigueur.

Pourquoi un tel projet ?

Après une longue réflexion, hésitation et un long silence, certains anciens collègues de facultés de Droit spécialisés en sciences pénales et criminelles et travaillant chacun dans un domaine m'avaient proposé de créer un point de rencontre scientifique qui s'articule autour de la criminologie au Maroc. Mon expérience à l'émission Massrah Al Jarima , ma démission il y a un an du poste de Directeur de l'Hôpital Régional de Rabat et ma conversion au système libéral, m'ont poussé à adhérer à ce projet. Car dans mon cursus juridique, j'ai côtoyé trois facultés pionnières en la matière : celle de Marrakech, Tanger et Salé. De plus, mon profil à la fois de médecin et de juriste pénaliste m'ont facilité la tâche à inviter à se joindre à nous, les médecins légistes, psychiatres, psychologues, sociologues, enseignants universitaires.... Saviez-vous d'ailleurs que le père de la criminologie était un médecin militaire italien qui s'appelait Lombroso ?

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