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Interview

Immigration irrégulière : « La politique incohérente de l’UE met en danger les migrants »

Le commissaire européen aux Migrations, aux Affaires intérieures et à la Citoyenneté, Dimitris Avramopoulos, a annoncé le 12 mars, qu’il allait se rendre au Maroc, ainsi qu’en Tunisie et en Egypte pour créer une «zone» dans la région afin de lutter contre l’immigration irrégulière. Une «zone» qui rappelle beaucoup les «camps» de migrants que l’Italie appelle de ses vœux au sud de la Méditerranée. Pour Mehdi Alioua, chercheur au Centre Jacques Berque, à Rabat, spécialiste des migrations, l’UE entretient un flou dangereux.

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Immigration irrégulière : « La politique incohérente de l’UE met en danger les migrants »
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Yabiladi : Quels sont les «camps» de migrants que l’Italie souhaite voir mis en place ? De quelle «zone», le commissaire Avramopoulos parle-t-il ?

Mehdi Alioua : L’Union européenne reste toujours très floue sur cette question qui revient régulièrement. On dirait plutôt de la communication politique. De quels centres parle-t-on ? De centres fermés, de rétention, des centres de rétentions pour les immigrés irréguliers interpelés en Europe et réadmis par le Maroc, des centres semi-ouverts pour contrôler la population migrante tout en lui portant assistance … ?

Aucune précision n’est donnée. On peut effectivement imaginer des centres assez petit où les migrants puissent trouver une aide, notamment juridique, effectuer un rapatriement volontaire... un peu à la façon du centre d’accueil dont dispose déjà Caritas à Rabat. Mais je ne pense pas que ce soit ce que l’UE a en tête.

Beaucoup de centres fermés ont existé un peu partout en Europe et dans les pays tiers frontaliers de l’UE en Europe de l’est. Avec les grillages, des conditions de vie extrêmement précaires. Ce sont de vrais camps de concentration sans la solution finale.

Pensez-vous que des camps pourraient être efficaces pour lutter contre l’immigration ?

Je pense que des camps ouverts, s’ils sont petits, serviront de relai aux migrants. Ces personnes ne transitent pas, contrairement à ce que l’on croit, mais elles vont d’étape en étape sur un temps long, apprennent à s’organiser. Ca peut devenir un lieu où les gens trouveront les moyens, les ressources pour passer autrement. Ils n’arrêteront pas l’immigration parce que rien n’arrête l’immigration. Même l’hyper-violence, même les camps fermés ne parviennent qu’à la réduire le temps pour les migrants de trouver de nouvelles voies d’accès.

Pensez-vous que le Maroc pourrait accepter que l’Europe installe de tels camps sur son territoire, de la même façon qu’il accepte de réguler les populations migrantes pour le compte de l’UE ?

Au Maroc, personne ne veut de tels camps ; jusqu’au palais royal, au roi, personne n’en veut. Les grands camps ouverts font venir les gens. La perspective d’un peu d’aide, d’un médecin, la chance d’obtenir des papiers, ça fait venir les gens et ça les fixe. C’est pour ça que le Maroc n’en veut pas. On a vu ce que sont devenus les camps palestiniens au Liban ou le camp de réfugiés à Choucha : ils deviennent énormes, ils ne ferment jamais et deviennent de véritables villes. C’est intenable pour un Etat.

Je pense que tant que le nombre de migrants n’est pas plus important qu’il l’est actuellement, tant que le Maroc n’est pas débordé par les migrants, il n’acceptera pas les propositions de l’Union européenne quelle que soit la forme que prendraient ces centres.

Quel objectif poursuit l’Union européenne à travers cette idée de «zone» ou de «camps» ?

J’ai tendance à imaginer que si le discours de l’Union européenne semble très focalisé sur l’aspect sécuritaire pour «endiguer», «repousser» la «pression» migratoire, sa perspective réelle est d’améliorer les conditions de vie des populations migrantes ici pour les fixer, leur donner envie de rester plutôt que de partir vers l’Europe.

L’Europe tiendrait donc deux discours différents à la fois ?

Je pense que l’Union européenne a une politique ambivalente, hiératique, incohérente, qui envoie des messages contradictoires aux migrants. Jusqu’à la crise économique de 2008, l’Espagne aussi tenait un double discours. D’un côté Aznar assurait qu’il luttait contre l’immigration irrégulière, il maintenait les frontières fermées sur l’Afrique, mais quand les migrants subsahariens et marocains parvenaient à la franchir, ils bénéficiaient d’un véritable corridor jusqu’au continent. A l’époque, des migrants m’ont assuré que le CETI de Melillia (centre d’accueil ouvert des migrants) était un «centre de l’emploi» qui «délivrait un diplôme», parce que dans les faits, «l’injonction de quitter le territoire» qui leur était remise là-bas, leur servait de laisser-passer jusqu’en Espagne. Le gouvernement espagnol voulait un «lumpenproletariat» (prolétariat en haillon), il voulait des personnes qui travaillent au noir parce qu’elles coûtent beaucoup moins cher qu’un salarié déclaré.

Ces contradictions existent encore. Des corridors se sont installés, par exemple, entre l’Europe du sud et du nord pour permettre la traversée des Syriens, des Irakiens qui vont en Suède, car elle leur offre l’asile, mais sur le long de la route, à la frontière, ils restent irréguliers, aucune aide ne leur est donnée, mais rien ne les empêche non plus de passer. C’est extrêmement dangereux, car cette politique pousse les gens à venir en adoptant des moyens et des routes où ils risquent leur vie.

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