Depuis longtemps, plusieurs analyses de politiques, chercheurs et observateurs évoquent les conditions sociales défavorables comme cause importante au succès de l’idéologie jihadiste auprès de certains musulmans. La question a d‘ailleurs beaucoup fait débat au sommet antiterrorisme de Washington qui a pris fin hier, vendredi 20 février. Parmi ses propositions de solutions, le président américain Barack Obama a appelé à un plus grand investissement des gouvernements «dans les quartiers populaires» de leurs pays, afin que les jeunes trouvent des centres d’intérêt qui les éloigneront de la fièvre jihadiste.
Le Maroc, pays participant très actif en raison de l’enrôlement massif de ses ressortissants par les groupes islamistes, est allé dans le même sens. La ministre déléguée aux Affaires étrangères et à la coopération, Mbarka Bouaida, a déclaré que «la paix, la sécurité et la stabilité durable sont tributaires du triptyque sécurité, développement durable et sauvegarde des valeurs culturelles pour combattre le terrorisme». Elle explique que la stabilité est également liée à la lutte contre la pauvreté, la précarité et la marginalisation, rapporte la MAP. Le Maroc est convaincu que le défi du développement socio-économique est «le nœud gordien de toute stratégie de lutte contre l'extrémisme violent et le terrorisme», a-t-elle ajouté.
Mais si les avis semblent tous converger dans ce sens, Mohamed Darif - chercheur et spécialiste des groupes islamistes – estime que là n’est pas l’enjeu. «La pauvreté et la précarité ne peuvent pas vraiment expliquer l’adhésion des Marocains aux discours islamistes», déclare-t-il dans un entretien avec Yabiladi. L’universitaire reconnait que la situation socio-économique a certes «des effets», mais les raisons qui poussent ces jeunes à épouser les idées extrémistes sont toutes autres.
«La réponse se trouve dans l’injustice sociale, l’exclusion politique ou culturelle...»
«Ici au Maroc, la précarité n’est pas quelque chose de nouveau. Il y a toujours eu des pauvres, mais on n’a jamais vu l’idéologie islamiste se développer de cette manière dans notre pays», remarque M. Darif. Il croit qu’il faut plutôt regarder à ce qui se passe au niveau international et régional. «A l’ère de la mondialisation, il n’y a plus de frontière», lance-t-il expliquant que n’importe qui peut être influencé par n’importe quoi, venant de n’importe où.
Le chercheur rappelle qu’Abdelkrim al-Medjati «était un bourgeois», mais cela ne l’a pas empêché de se retrouver à la tête de l'émirat djihadiste décentralisé en Europe et au Maghreb. Pour rappel, ce terroriste marocain est le coordinateur des attentats de Casablanca en mai 2003, de Riyad et de Madrid en 2004. Il a été tué en Arabie saoudite en avril 2005.
M. Darif rappelle également que parmi les auteurs des attentats du 16 mai figurait un enseignant. «Ce n’était pas un chômeur, c’était quelqu’un qui gagnait sa vie», souligne-t-il. Il va plus loin, expliquant que ces jihadistes n’avaient pas choisi Sidi Moumen pour son caractère pauvre, «mais parce que dans ce genre de quartier, la sécurité n’est pas de rigueur».
Même concernant les Européens d’origine marocaine qui se laisse prendre par les discours de Daesh, Al Qaida et autres, ce spécialiste des groupes islamistes estiment que l’échec du processus d’intégration est beaucoup plus en cause qu’autre chose.
«Les autorités devraient s’attarder sur le recrutement physique beaucoup plus efficace pour les jihadistes que le virtuel»
L’autre point phare des discussions de Washington concerne l’important investissement des réseaux sociaux par les mouvements radicaux qui arrivent ainsi à convaincre beaucoup de jeunes et même des mineurs.
Pour Mohamed Darif, «tous ceux qui approuvent une déclaration d’un islamiste sur Twitter ou Facebook n’est pas forcément prêt à aller faire le jihad». D’après lui, les internautes généralement taxés de pro-Daesh sont généralement constitués de ces deux catégories et «il est important de les distinguer». Le chercheur pense que la montée de l’influence islamiste sur les réseaux sociaux n’est qu’un revers de la mondialisation.
Mais au moment où responsables politiques s'excitent sur la question de l’internet, ce spécialiste des groupes islamistes estime que le recrutement virtuel n’est pas plus important que le recrutement physique, et ce même au Maroc. «Les terroristes ne sont pas naïfs. Ils savent que de nombreux gouvernements utilisent les réseaux sociaux pour démanteler les cellules jihadistes. Le recrutement physique, qui se base sur le contact direct et les liens familiaux notamment, est très efficace pour les jihadistes», estime M. Darif tenant pour preuves que les cellules opérant à travers le monde sont très souvent composées de fratries à l’image des frères Kouachi dans l’attentat contre Charlie Hebdo. Ce spécialiste marocain des groupes islamistes pense qu’il faut «surveiller, contrôler le recrutement virtuel, mais les gouvernements du monde en général et le Maroc en particulier doivent réfléchir aux moyens de lutte contre le recrutement physique.