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Interview

Archéologie : Une magnifique vasque de pierre noire découverte à Aghmat [Interview]

Depuis 9 ans, Abdallah Fili, professeur chercheur spécialiste en archéologie médiévale à la faculté de lettres d’El Jadida et Ronald Messier, professeur émérite à l’Université Middle Tennessee State, dirigent les fouilles sur le site d’Aghmat, dans la vallée de l’Ourika, à 30km au sud de Marrakech. Disparue pendant 7 siècles, la première capitale de la dynastie almoravide ressort de terre. Abdallah Fili nous raconte comment les dernières fouilles, en septembre, ont permis de dégager une magnifique vasque en pierre noire de la salle d’ablution de l’ancienne mosquée

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La vue du premier palais almoravide, à Aghmat, il y a un peu moins d'un millénaire / Ph. Fondation Aghmat
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Yabiladi : Vous fouillez depuis 10 ans le site d’Aghmat. La dernière session de fouilles s’est achevée fin septembre. Qu’avez-vous découvert ?

Abdallah Fili : Cette année nous nous sommes concentrés exclusivement, pendant 3 semaines, à des fouilles de sauvetage. Des ouvriers, en creusant à proximité d’une route pour faire passer un câble, sont tombés sur des vestiges. Nous sommes intervenus et nous avons découvert la magnifique vasque en corolle taillée dans une pierre noire de la salle d’ablution de l’immense mosquée d’Aghmat. Il est frappant de découvrir qu’elle est fidèle à la description qui en est faite dans un ouvrage de Ibn Al Khattib, auteur andalou du XIVe siècle.

Quelle est la valeur du site d’Aghmat pour l’Histoire du Maroc ?

En 9 ans, nous avons découvert non seulement la vasque mais également un palais dont la structure ressemble beaucoup à l’Alhambra de Grenade mais qui lui est de beaucoup antérieure, un hamam magnifique, une mosquée dont la salle de prière mesure 500m2. Auparavant, nous ne savions rien sur cette ville. Aujourd’hui ce site est devenu incontournable pour l’archéologie médiévale marocaine car elle a été désertée contrairement aux autres grandes villes de l’époque comme Fès. Les niveaux archéologiques correspondant au Moyen Age des villes marocaines du Haut Moyen Age sont aujourd’hui totalement inaccessibles ailleurs. Aghmat est au Moyen Age ce que Volubilis est à l’Antiquité.

Quelle est l’histoire de cette ville largement méconnue des Marocains et même des historiens ?

Aghmat est une ville ancienne, fondée dans l’Antiquité, qui s’est développée grâce à sa position de carrefour commercial vers le Xe siècle, entre Al Andalus, au nord, les caravanes transsahariennes, au sud, et Ifriqiya à l’est. En 1057, les Almoravides qui ont entamé la conquête de l’actuel Maroc depuis l’Adrar mauritanien, parviennent au nord de l’Atlas et conquiert Aghmat. Marrakech n’existe pas encore et pendant 13 ans, Aghmat sera leur capitale. Elle devient un pôle politique mais aussi religieux car les Almoravides sont originellement un mouvement religieux sunnite malékite. Plusieurs savants soufis sont nés ou se sont formés à Aghmat comme Sidi Abou Yannour Abdellah Ben Wakris Doukkali et Moulay Bouchaib Erradad.

Une exposition exclusivement dédiée au royaume, «Le Maroc médiéval», s’ouvre le 17 octobre et jusqu’au 19 janvier au Louvre. Comment a-t-elle été décidée ?

Le Moyen âge, qui correspond au Maroc aux dynasties Amoravides, Almohades et Merinides est un période clé de l’islamisation du Maroc. Des découvertes majeures ont été faites sur cette période ces dernières années. L’exposition a été décidée il y a 2 ans, lorsque le roi a financé [à hauteur de 15 millions d’euros,  pour un budget total de 100 millions d’euros, ndlr] le département des arts de l’Islam du Louvre. Plutôt que de faire une place au Maroc dans ce département, il a été décidé de consacrer au Maroc une grande exposition. Beaucoup d’expositions ont été consacrées au Maroc par le passé, mais elles étaient très généralistes. Cette fois il s’agit uniquement de valoriser le Maroc médiéval. C’est une excellente nouvelle, car il y a beaucoup de recherches au Maroc qui ne sont pas diffusées.

Des pièces trouvées à Aghmat seront-elles exposées au Louvre ?

Tous les objets de l’art maroco-andalous, plus de 300 œuvres, qui viennent du Maroc, mais aussi du Portugal, d’Espagne et de France y seront exposées. Aucune pièce ne vient d’Aghmat malheureusement. Nous n’avons que peu d’œuvres monumentales explosables dans un musée et celles que nous avons demandent un lourd travail de restauration. C’est l’exposition qui finance la restauration des pièces qui ne le sont pas déjà et il s’agit d’une manœuvre extrêmement coûteuse. Les commissaires d’exposition ont dû faire des choix.

Si vous aviez disposé d’un budget plus important vous auriez pu payer vous-même ces rénovations. Avez-vous suffisamment de financement pour continuer les fouilles sur le site d’Aghmat ?

Nous travaillons en fonction de l’argent. Notre financement est totalement autonome de l’Etat. C’est un avantage puisque cela permet une gestion plus fluide. Par contre, on se sent plutôt délaissé par l’Etat et notre capacité à fonctionner sans ses financements, l’incite à ne pas s’impliquer d’avantage, or les fonds privés sont limités et demandent une lutte permanente. Nous employons chaque année un budget d’environ 20 000 euros, mais cette année, encore, je ne sais pas s’il sera assuré pour l’année prochaine. Je vais devoir, avec d’autres chercheurs, multiplier les dossiers de demandes de financement. Pour 100 envoyés, nous recevons un «oui» !

Quelle marge de manœuvre vous offrirait un engagement financier de l’Etat ?

Avec les 400 000 euros que nous avons obtenus de fonds privés en 9 ans nous avons notamment acheté pour le compte de l’Etat les terrains de fouilles pour les protéger de construction en vertu de la convention qui lie la Fondation Aghmat et le ministère de la Culture marocain. Avec plus d’argent, nous n’allongerions pas la durée des fouilles, environ 3 semaines chaque année, mais nous pourrions construire une maison des chercheurs pour accueillir les doctorants, les étudiants. Nous pourrions aménager le site pour le rendre accessible aux touristes pour qu’il participe au développement local. Marrakech accueille des millions de touristes chaque année, le site d’Aghmat pourrait en accueillir 50 000 !

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