Le projet Desertec, qui voulait transformer les déserts du Maghreb en usines à énergie solaire pour l’Europe enregistre un nouvel abandon. Lundi 13 octobre, au terme de son assemblée générale, Desertec Industrial Initiative, le groupement industriel formé pour faire avancer concrètement ce projet, a annoncé, hier, mardi 14, avoir changé de «format». Dii n’est plus un lobby regroupant les plus grandes entreprises du secteur, mais une société de services dans le secteur de l’énergie solaire pour ses entreprises actionnaires.
«Après un processus de sensibilisation réussi, la formation de réseaux et des analyses de marchés, Dii se concentrera sur la fourniture de services en premier lieu à ses actionnaires en facilitant et en soutenant des projets concrets au Moyen Orient et en Afrique du nord, comme société de service. […] Dii a réalisé des études fondamentales, l'élaboration de stratégies propres à chaque pays. Cette phase est maintenant terminée et nous nous adaptons aux nouvelles exigences», explique le groupement dans un communiqué rendu publique hier, mardi 14 octobre.
Blocage de l’Espagne
Malgré un discours optimiste, Dii a échoué. L’immense projet d'interconnexion Maroc-UE évalué à 400 milliards d’euros n’a pas émergé pour différentes raisons dont la première est l’absence de connexions suffisantes entre les réseaux électriques nationaux du Maghreb et d’Europe. «Si aujourd’hui le projet n’a pas encore vu le jour, c’est d’abord à cause de blocages, je pense, du côté du gouvernement espagnol et des financements réduits par la crise économique», estime Badr Ikken, directeur général de l'Institut de recherche en énergie solaire et énergies renouvelables.
L’Espagne, étape obligatoire des réseaux d’interconnexion, n’a jamais vu d’un bon œil ce projet puisqu’elle développe elle-même des centrales solaires et qu’elle exporte même une partie de sa production d'électricité vers le Maroc. En novembre 2012, l’Espagne a donc refusé de signer l’accord intergouvernemental permettant de lancer le projet Siwan, premier projet de la Fondation Desertec.
Défection de Siemens et Bosch
Par la suite, plusieurs grandes sociétés qui composaient Dii, comme Siemens et Bosch, en novembre 2012, puis Bilfinger, en avril 2014, ont fait défection. Dans le même temps, d’autres groupes entraient au capital de Dii. A présent, dans son nouveau «format», «ses futurs actionnaires de références seront ACWA Power, RWE, et SGCC», indique Dii dans son dernier communiqué.
Face aux blocages et aux défections, Dii a d’abord revu radicalement sa stratégie avant d’abandonner purement et simplement ses objectifs. Le 31 mai 2013, Paul van Son, PDG de Dii expliquait : «Honnêtement, voici quatre ans, l’acheminement de l'énergie depuis l'Afrique du Nord constituait la raison d’être de Desertec. Nous avons abandonné cette vision unidimensionnelle. Il s'agit à présent de créer des marchés intégrés dans lesquels l'énergie renouvelable apportera ses avantages.» Prenant prétexte de ce changement de stratégie, la Fondation Desertec avait divorcé en juillet de ses associés industriels. Depuis, rien ne lie plus les premiers défenseurs de «l’idée Desertec», la Fondation Desertec, à ses promoteurs industriels, Dii.
Les actionnaires refusent 2 millions d’euros
Dernière étape de cette chute, l’assemblée générale du lundi 13 octobre 2014. La direction de Dii espérait obtenir des sociétés actionnaires un budget de deux millions d’euros par an, dans le but de se concentrer sur les projets solaires de 4 pays en particulier : le Maroc, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et la Turquie. Faute d’avoir obtenu l’accord de ses actionnaires, Dii devient donc une simple société de conseil pour ses actionnaires.
Aucun projet solaire marocain en cours ne sera cependant entravé par la disparition de Dii puisque le consortium n'en avait lancé aucun. Par contre, le Maroc perd un puissant lobby susceptible de mobiliser des financements internationaux pour ses propres projets. «J’ai surtout l’impression que le lobbying le plus important et le plus décisif se joue aux niveaux des ministères, lorsque des rencontres sont organisées entre les ministères de l’Energie du Maroc et de l’Allemagne, comme cela a été le cas, il y a encore quelques semaines», tempère Badr Ikken.
Aujourd’hui, le projet Desertec se poursuit à travers la Fondation allemande, et les actions locales pour l’exploitation de l’énergie solaire dans les déserts. Seul le projet d’interconnexion des réseaux électriques du Maghreb et de l’Europe est mis pour longtemps entre parenthèse. Mais il est la cause et non la conséquence de la décision de Dii de mettre un terme à ses fonctions de lobbyiste international.