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Grand Angle

Rabat : "Habiter Hay Riad c'est encore possible", mais pas pour les Guichs

Les terres guichs situées dans le quartier chic de Hay Riad sont vendues par l'Etat. Depuis le début de l'année, leurs habitants sont expulsés et leurs maisons détruites moyennant une compensation. Yabiladi est allé à la rencontre de ceux qui résistent et restent vivre dans les décombres pour comprendre leur situation. Reportage.

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Ce panneau signale avec ironie où se situe le terrain des Guichs Oudaya d'où sont expulsés les Guichs. /DRJulieChaudier
La pression foncière est forte sur les terres des Guichs.
Les Guichs étaient des tribus qui apportaient un soutien militaire au sultan contre les invasions amazighs. Aujourd'hui, les derniers habitants soulignent leur fidélité au roi.
Pour masquer les habitations Guichs et les destructions, une palissade a été dressée. Devant, des gardes avec des chiens défendent à quiconque de venir s'y installer.
Le 17 juin, une démollition devait avoir lieu. Des camions bennes se sont déplacés, mais les démollisseurs n'ont jamais reçu l'ordre ultime du procureur d'opérer. Il n'y a pas eu de démolition ce jour là.
Une semaine auparavant, après avoir vécu 4 ans sous le coup d'un arrêté d'expulsion, la famille de la maison n°43 a reçu un avis de démolition pour le 17 juin.
Ceux dont les maisons ont déjà été détruites en février et en avril, sont partis depuis longtemps ou on construit des baraques de fortune dans le but de rester.
Habchi El Fatmi est un pillier de la Qabila. Sa maison a été l'une des premières détruites. Il pose sur les ruines de son puits, à côté du tas de branchage, dernier vestige de sa pépinière.
Ici poussaient des bananiers qui n'ont visiblement pas dit, eux non plus, leur dernier mot.
Sur un autre terrain Guich, toujours à Hay Riad, les épiceries des Guichs ont été détruites, mais leurs vergers sont encore là.

"Habiter Hay Riad c'est encore POSSIBLE", annonce fièrement aux automobilistes qui emprunte la rocade de Rabat, un panneau publicitaire de la compagnie générale immobilière, filiale de la CDG. A droite des immeubles flambants neufs, un peu plus loin les belles résidences de Hay Riad. A gauche, un vaste terrain vague semble-t-il et au fond une palissade blanche. Derrière cette palissade, les terres de Guichs Oudaya traditionnellement d'un vert luxuriant ne sont plus que l'ombre de ce qu'elles étaient au tout début de l'année. Racheté par la société d'aménagement riad. -filiale de la CDG- au ministère de l'Intérieur, le terrain sera sans nul doute dévolu à la construction de nouveaux immeubles d'habitation dès que les bulldozers auront fini d'expulser les Guichs et de raser leurs maisons.

"Ici, c'est comme la Palestine, on n'a pas d'armes, mais on a des pierres", ironise Khadija, mère de famille, d'un ton dans lequel pointe l'amertume. Sa maison est le dernier grand bâtiment de la Qabila encore debout. Les autres, en particulier celle de la famille de Habchi El Fatmi, ont été détruites. Restent quelques petites maisons sous arrêté d'expulsion ou de démolition et puis des bâches de plastiques tendues comme abris de fortune.

Des scorpions dans leur tente

Si la majorité des habitants ont quitté les lieux depuis 2003 et l'accord décidant de l'expulsion des guichs moyennant une compensation, quelques dizaines d'entre eux vivent encore sur place, derrière la palissade. Quand nous entrons chez Khadija, un lundi, à l'aube, le 17 juin, une dizaine de femmes est avec elles : ses sœurs, mais aussi ses voisines expulsés en avril. "Elles et ses filles ont frappé à ma porte cette nuit, tard, elles avaient trouvé des scorpions dans leur tente, alors elles sont venues trouver refuge chez moi", nous explique-t-elle.

D'une maison, à une tente, chaque histoire qui nous est conté est un peu différente. Zriba a reçu un avis de démolition pour le jour même, les camions bennes sont là, à l'entrée du terrain, mais n'avancent pas. Finalement, l'ordre ultime du procureur ne sera pas donné, les camions repartiront. Zriba et les siens sont seulement en sursis. L'arrêté de démolition n'a pas été levé.

40 000dh d'indemnités

Un peu plus loin Henia, vit dans une maison faite de bache et de toiles, avec des tapis au sol. Sa maison a été détruite il y a plusieurs mois. Elle raconte qu'elle est la seule, dans sa famille, à avoir reçu une compensation pour son expulsion. Ses deux enfants sont adultes et estiment qu'ils y avaient également droit : ils l'ont fait savoir. "J'ai droit à 40 000 dh d'indemnité et un appartement de 90m2 quand les autres recevaient 100 à 140 000 dh d'indemnité. Si mes enfants ne s'étaient pas plaints, nous aurions eu comme eux. Ils nous ont puni. Aujourd'hui, on vit tous ensemble ici. On est devenu comme des rats. Il y a des scorpions partout", se désole-t-elle. "Dans l'accord signé en 2003 pour compenser les Guichs et les bidonvillois qui s'étaient établis sur leurs terres, un recensement a été fait des ayants droits, mais l'Etat a refusé de considérer les enfants comme des ayants droits même si ce sont des adultes avec une famille à charge", explique Soraya Tikki, militante d'Attac Maroc, et doctorante en sociologie.

Sous une grande tente, une femme assise, pleure. Ses sœurs racontent pour elle : elle vivait ici avec ses 4 frères et sœurs jusqu'à ce qu'elle doive entrer à l'hôpital quelques temps. Quand elle est revenue, elle a découvert que son frère était parti avec toutes leurs économies, les indemnités qu'ils avaient reçues. Le sentiment général est à l'abandon. Mis à part quelques hommes et femmes qui se disent prêts à se battre devant les tribunaux, les familles sont lasses et abattues, presqu'indifférentes. Elles n'envisagent aucune solution. "Oh, si, mon frère aîné a bien dit qu'il allait s'immoler si on venait raser la maison!", plaisante Khadija.

"Mon grand père a travaillé pour Moulay Hassan Ier"

Driss assiste aux discussions, légèrement en retrait. A 32 ans, il a vu la petite épicerie dans laquelle il travaillait aux abords du terrain rasée par les bulldozers. Aujourd'hui, il vit de la vente de cigarette à la sauvette. "Certaines personnes qui n'habitaient même pas là ont eu droit à une compensation par le biais de la corruption, ajoute Soraya. Ce qui se passe ici avec les Guichs est commun aux évacuations des bidonvilles. Certains habitants reçoivent des indemnités, d'autres pas, ou pas ce à quoi ils auraient droit à cause de la corruption."

La particularité des tribus Guichs, dans ce contexte, est leur légitimité à habiter ces terrains. Habchi El Fatmi, pillier de la Qabila, promène sa colère sur ce qui n'est plus qu'un terrain vague. "Les réformes, la démocratisation, la nouvelles constitution, ce sont des mensonges", commence-t-il. Les 3 grandes maisons dans lesquelles vivait sa famille élargie ont été détruites, le 19 février, deux semaines après la mort de son père, alors qu'il avait été le seul avoir été reconnu comme ayant droit à une indemnité. "Mon grand père a travaillé pour le sultan Moulay Hassan Ier dans les années 1800. Il protégeait le gouvernement principal du sultan à Rabat des invasions des tribus. Il a même encadré sa mort et ses fils ont été récompensés pour cela par ces terres à la périphérie de Rabat", raconte Habchi El Fatmi. Selon lui, la propriété pleine et entière (et non plus seulement l'usfruit) a ensuite été cédée par le sultan par le dahir du 19 janvier 1946 à l'époque du protectorat.

208,83 ha de terres Guichs en 1999

"Au début du protectorat, la superficie guich recensée représentait environ 768 000 ha. L’administration du protectorat permit que 174 940 ha, soit 22,76% du total, situés dans les régions du Tadla, de Tanger et de Meknès, soient privatisés entre les mains de leurs détenteurs guich. L’autorité coloniale préleva 65 875 ha, soit 8,5%, au profit des périmètres de colonisation officielle dans les régions de Meknès, Fès, Tadla, Sidi Kacem. En échange de ces prélèvements, l’Etat accorda aux collectivités guich ainsi amputées la pleine propriété sur les superficies restantes qu’il transforma en terres collectives en renonçant à son droit de propriété éminente", expliquait Nagib Bouderbala, en 1999, dans un article intitulé " Les systèmes de propriété foncière au Maghreb. Le cas du Maroc." Il ne restait donc qu’environ 208,83 ha, de terres sous le statut guich il y a 15 ans, "mais les anciens guich gardent souvent la même dénomination", de sorte que leur statut de droit est généralement extrêmement complexe à établir.

"Mon père était là depuis 100 ans. Qui peut me retirer ma terre ? Comment avez vous réussi à changer un titre foncier qui me désigne comme propriétaire ?", interpelle Fatmi El Habchi. Aujourd'hui, il vit avec sa famille dans un garage prêté par ses proches. En rasant sa maison, les autorités lui ont également retirer sa source de revenus. "Ils ont coupé toute la pépinière, tous nos arbres fruitiers. Ils ont même fait tomber les étables sur nos bêtes pour nous punir", s'indigne-t-il, en désignant un énorme tas de branchages.

La ceinture verte de Rabat

C'est là une particularité des terres guichs : ce sont des terres agricoles, des pépinières. "Il y a à Rabat une véritable ceinture verte que Londres et Berlin nous envieraient, mais au lieu de la conserver et de la valoriser, on rase les pépinières en masse pour les transformer en lotissements de luxe", dénonce Soraya Tikki. Les Guich Oudaya ne sont pas les seules terres guichs de Hay Riad. D'autres pépinières, à l'allure la plus anodine, non loin du supermarché Marjane, par exemple, sont également des terres guichs. "Les boutiques qui les environnaient ont été également détruit. Le même processus d'expropriation est à l'œuvre ici."

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