Ce sont des gestes de la plus haute importance pour les prostituées et leurs clients, mais la séquence où l’intervenante démontre comment mettre un préservatif avec la bouche était vraisemblablement trop osée pour certains internautes. «Tout simplement une honte pour ce pays, je suis anéanti,..», commente un yabiladien. Pour sa part, une internaute sur un autre forum marocain, critique le travail de l’ALCS : «Ce genre d'assos devrait plutôt sensibiliser [les prostituées] à se décourager de pratiquer cela (car contraire à l'Islam et aux mœurs du Maroc).» Elle déplore les conséquences de ce reportage : «De l'autre côté de la frontière marocaine, je ne vous dis pas les insultes qui fusent à l'encontre des Marocains et Marocaines.»
Cependant, les discussions n’en restent pas là. La réponse directe à cette internaute démontre la virulence de la discussion : «ce que tu dis est CRIMINEL... On devrait emprisonner les gens comme toi.... Le VIH est une maladie EXTREMEMENT grave et tous les moyens sont bons pour éviter les contaminations et sauver des vies....» Un yabiladien conseille à celui qui a honte du pays, de se «faire soigner»... tout simplement.
D’autres contributions essayent d’engager des discussions plus modérées, même si le sujet de fond, à savoir ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas en matière de prévention du Sida, sexualité, mœurs et religion, ne se prête pas à des conclusions claires. La scène est crue et reste à l’esprit, mais l’intervention s’est faite entre femmes, donc «rien de choquant».
Une question est soulevée : est-ce que l’ALCS incite les prostituées à continuer dans leur travail ? «Oui», pensent certains, et invoquent chasteté, fidélité et mariage en renvoyant même au pape. «Non», disent les autres. Les prostituées n’ont-elles «pas le droit de bénéficier de la prévention? Les prostituées ne sont pas des citoyens?», demande un membre de Yabiladi. «Tu crois qu'on choisit d'être prostituée peut être? Ou qu'on peut arrêter du jour au lendemain d'être prostituée? Je suis d'accord qu'il faut les dissuader de gagner leur vie ainsi ‘vu que ça ne colle pas avec la morale (de la majorité) de la société marocaine actuelle’. Mais entre temps, il faut bien qu'elles se protègent, on n'est pas Hitler pour les laisser pourrir et les bruler pour avoir une société propres de tous défauts...» D’autres expriment leur respect envers l’intervenante : «Elle l’a fait parce qu’elle a un cœur.... oui elle s’est humiliée pour protéger les autres...».
Mais au final, cet engouement autour de la vidéo n’aurait pas servi l’intervenante elle-même. S’étant fait involontairement un nom sur internet, le quotidien néerlandais de Volkskrant rapporte que la jeune femme ne pouvait plus sortir de chez elle, que les sept secondes où elle est visible dans la vidéo auraient ruiné sa carrière. Ayant travaillé pour Médecins sans frontières et depuis 2007 pour l’ALCS, elle intervenait régulièrement auprès des prostituées. Son travail était très apprécié, elle aurait contribué à «redonner aux femmes une meilleure estime d’elles-mêmes», écrit l’association BASOH qui a fait un projet photo avec l’ALCS. Si ce travail est réellement compromis aujourd’hui, cela démontre de manière impressionnante la capacité de nuisance de l’internet.
D’autre part, l’AFP, à l’origine du reportage, devrait être interrogée. Commentant la scène de prévention, la journaliste de l’AFP estimait : «Dans le Maroc musulman et conservateur, une telle ouverture détonne.» Elle n’a pas tort, mais c’est surtout la publication de ces images qui a «détonné». Un point sur lequel la plupart des internautes se sont mis d’accord est qu’il n’était pas nécessaire d’inclure ces images dans le reportage. Le message de l’importance de la prévention était passé sans ces dernières 7 secondes.
Lors de la conférence de la Francophonie sur le VIH Sida, le directeur d’ONUSIDA, Michel Sibidé, a cité le travail de prévention au Maroc come exemple à suivre. En pratique, beaucoup d’ateliers de prévention sont proposés à des populations vulnérables. Un reportage ne doit pas mettre en péril le travail sur le terrain.
Dernière nouvelle : l’AFP a retiré la vidéo de youtube et des sites de quelques journaux qui l’avaient repris.