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Grand Angle

Abdel Ben Cyrano

Pièce de théâtre de l'écrivain Mohamed Razane

Publié
DR
Temps de lecture: 4'

Réunion de quartier. Autour de la table le Maire, deux adjoints au Maire, quelques responsables associatifs, trois jeunes (Abdel, Mamadou et Fred), des habitants, un gardien d’immeuble, deux îlotiers, un animateur jeunes. Sujet de la réunion : les jeunes.
Noir sur la scène. On entend un brouhaha d’échanges passionnés sur les jeunes (à improviser).
La lumière s’installe progressivement.
L’assemblée suivra les échanges entre Abdel et le Maire comme si elle assistait à un match de tennis.

Le Maire - Bon, bon ! On va demander aux jeunes ce qu’ils en pensent. C’est qui Abdel ?
Abdel - C’est moi.
Le Maire - C’est toi le président de l’association des jeunes ?
Abdel - En effet. Sauf votre respect monsieur, je ne vous permet pas de me tutoyer.
Le Maire - Allez, allez, on va pas faire les vieux, balance ce que tu penses de tout ça et ce qu’il faudrait faire pour que ça bouge, toi qui est représentant des jeunes.
Abdel - Pardonnez mon insistance, monsieur, mais au risque de vous déplaire je réitère ma remarque préalablement posée concernant le tutoiement.
Le Maire, méprisant - Alors M. Abdel, auriez vous l’amabilité de nous entretenir de votre analyse en tant que représentant des jeunes ?
Abdel - A titre d’information je ne représente personne si ce n’est mes opinions. Par ailleurs, monsieur, que je ne saisisse point où vous désirez exactement en venir par votre tutoiement vous permet-il cependant de me témoigner d’un tel dédain ?
Le Maire, regardant l’assemblée - Eh bien, je ne me connaissais pas ce penchant...
Abdel - Si vous ne vous connaissiez point ce penchant, monsieur, vous en voilà à présent informé. Il est nécessaire parfois, pour mieux se connaître, de se voir dans le regard des autres.
Le Maire, agacé - Mais vous devenez insolent jeune homme.
Abdel - Jeune je le suis, insolent sûrement pas. C’est seulement l’opinion d’un homme libre qui s’exprime ici, répondant au dédain non justifié d’un homme au demeurant non éclairé.
Le Maire, irrité - Bon ça suffit jeune homme, soit vous parlez du sujet qui nous préoccupe soit vous quittez cette réunion tout de suite !
Abdel - Quelle perspicacité monsieur ! Est-ce là la quintescence de votre pertinence et de votre sens de l’argumentation que vous nous livrez? C’est plutôt un instinct animal qui s’exprime, me semble-t-il, et non point l’esprit de raisonnement et de discernement que nous sommes en droit d’attendre d’un homme élevé à un tel rang de responsabilités !
Adjoint 1, se lève et à la Balladur - Je vous demande de vous arrêter.
Le Maire, en colère - Mais comment il se la joue lui, d’où tu m’insultes sale morpion!
Abdel - Pauvre victime. N’ayant point les compétences -et relevez ici mon humulité- de vous apporter une quelconque instruction à ce sujet, je ne saurais raisonnablement que trop vous recommander de prendre des leçons de rhétorique qu’il conviendrait de compléter, pour vous parfaire, de quelques leçons de dialectique. Et ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons entretenir un dialogue dans un avenir que je crains lointain au vu de l’état d’ignorance où se trouve, à mon grand regret, votre esprit.
Adjoint 2, idem 1 - Je vous demande de vous arrêter.
Le Maire, énervé - Mais je vais te foncedé face de craie, je vais tellement te péta la gueule que même une hyène voudrait pas de toi.
Abdel, interpellant Mamadou - Que puis-je rétorquer à de telles inepties ?
Mamadou - Comme le dit le proverbe cher ami, «le vin est tiré, il faut le boire».
Fred - Je dirais même plus si vous me permettez cher camarade...
Mamadou - Il vous en prie cher ami
Fred - «En avril, n’ôte pas un fil ; en mai, fais ce qu’il te plaît»
Abdel, s’adressant au Maire - Eh bien, le mieux serait encore de vous répondre en ces termes dont je vous entretiens présentement, ceci au risque de vous instruire quelque peu. Car comprenez-moi, je n’ai aucune prétention ni quelque velléité ou compétences -et relevez encore ici mon humulité- pour vous délivrer une instruction. Tenez, à vous considérer d’un regard philosophique, je me demande subitement s’il n’est pas plus salutaire pour vous de demeurer dans l’ignorance. Car voyez-vous, je deviens dubitatif quand aux capacités de votre esprit à gérer un tel afflux de connaissances sans sombrer dans la folie. Mais il n’appartient qu’à vous de défier ce risque. Un défi recquiert nécessairement du courage, et je nourris quelques craintes, monsieur, que vous ne soyez, en plus, un pleutre.
Le Maire, perdu et bouillonant de colère - Je...J...
Adjoint 1, se lève - Nique-lui sa reum !
Adjoint 2, se lève - Ouais z’y va, fracasse-lui la tronche.
Le Maire - Je...j...
Abdel - Je me permets à présent de mettre un terme à cet entretien, si tant est qu’il en soit un, car il eut fallu pour cela que l’on soit deux. Je ne saurai tolérer encore vous donner une existence devant cette assemblée. Demeurez dans votre ignorance et ayez au moins l’obligeance de respecter des gens pour qui le temps est précieux, car nous n’y comprenons plus rien à vos borborygmes.
Toute l’assemblée, sauf Mamadou et Fred, considère Abdel d’un regard sidéré. Ce dernier laisse volontairement plâner un silence, puis il se lève d’un air solennel.
Abdel - Nous sommes présents à cette réunion, non pas pour être les bouffons du roi même si cela nous aurait quelque peu amusés, mais pour vous informer de ma candidature aux prochaines élections municipales.
L’assemblée laisse échapper sa surprise.
Abdel - Et j’ai le plaisir de vous présenter Mamadou et Fred qui figurent sur ma liste électorale. Nous vous entretiendrons de notre programme en heure voulue.
Mamadou, se lève - «A bon vin point d’enseigne»
Fred, se lève - Je dirais même plus si vous me permettez cher camarade...
Mamadou - Il vous en prie cher ami
Fred - «A l’oeuvre on connaît l’ouvrier», cela me semble être un bon slogan.
Mamadou - A y regarder de plus près, cela me semble être effectivement d’une pertinence qu’il conviendrait de méditer.


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