C'est surement la plus grande qualité de ce film. Nous remettre dans le bain de cette époque particulière pour inscrire cet évènement dans nos mémoires, mais surtout dans l'histoire. Si l'image permet de se souvenir, elle permet aussi et surtout de transmettre un fait, un instant qui marquera la vie politique et sociale d'un pays.
Une marche trop vite oubliée
Lors de la projection du film, organisée par le CCME, à Casablanca, il était assez étonnant d'entendre les acteurs avouer leur ignorance de la genèse de cette marche citoyenne et des retombés qu'elle a pu avoir sur la vie des immigrés et de leurs enfants en France. La carte de séjour unique de 10 ans, le droit d'association pour les immigrés, ... sonnent comme une évidence pour tout les Français aujourd'hui, oubliant trop vite que ces droits ont été arrachés grâce à cette improbable mobilisation au départ de quelques jeunes du quartier des Minguettes, à Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise.
Mais si le film est un hommage à cette lutte pour l'égalité, il est aussi un rappel, un signal d’alerte. Comment ne pas faire le parallèle entre aujourd’hui et la situation de 1983, avec la montée simultanée du chômage et de la xénophobie (elles vont souvent de paire), cette terrible gueule de bois après avoir décuvé les 2 premières années d'euphorie Mitterrand. En 2013, le spectre du chômage hante de nombreux Français. En 2013, la xénophobie vis-à-vis de l’arabe a changé d’habit pour se fixer sur le musulman, haine plus consensuelle et plus dans l'air du temps. Enfin en 2013, de nouveau, la gauche est au pouvoir trahissant encore une fois ses idéaux.
Des identités comme étendards
30 ans après, le combat reste le même. Si des acquis ont été arrachés, nombreuses sont les promesses non tenues. En 2013 comme en 1983, le vivre-ensemble (terme malheureusement galvaudé) est en danger, avec des identités brandies comme étendards, comme si chaque communauté allait guerroyer contre l’autre.
Les héros du film montrent pourtant qu'il est possible de vivre ensemble et se respecter quand on vient d'horizons différents. Que l'on soit un jeune arabe inspiré par Gandhi et venant d'un quartier sensible, une photographe lesbienne, un papi qui vend du fromage dans sa camionnette, une activiste d'origine maghrébine avec un turban sur la tête mais qui défend avec hargne le caractère laïque de la marche face à un curé pourtant solidaire des immigrés, le message restait l'égalité et le respect avec nos différences.
Ce casting original et équilibré nous rappelle ainsi que la Marche pour l’égalité et contre le racisme, n'a jamais été une marche des beurs comme l'ont trop souvent répétés les médias et les "potes" de SOS Racisme, grossiers rabatteurs du parti Socialiste.
La haine, ce virus en chacun de nous
Aujourd’hui, j’ai 36 ans, et depuis Casablanca où je vis depuis 6 ans, ce film résonne sur deux niveaux de fréquence, épousant chacune de mes identités, française et marocaine. D’ici, je vois cette France qui malgré ses richesses, son histoire et ses acquis, sombre dans une crise d’identité préférant se défausser sur la tenue vestimentaire de quelques musulmanes, plutôt que d’affronter ses véritables démons. Et d’ici, je vois ce Maroc, pays modeste et jeune malgré sa très longue histoire, qui doit affronter ses propres démons hérités des siècles passés tout en ayant la charge de jouer le cerbère d’une Europe qui ne veut plus que des immigrés choisis, comme on sélectionne ses tomates au supermarché.
30 ans après la série de crimes racistes et la célèbre Marche, la xénophobie tue encore en France. Aujourd’hui la xénophobie tue également au Maroc. Ce que le film de Nabil Ben Yadir doit laisser en héritage aux générations nées après la marche, c’est cette vigilance de tous les instants, quelque soit notre situation. Car les préjugés, la haine, la violence ethnique ne sont pas l’apanage du bourgeois français blanc. Ils ne disparaissent pas après une réception à l’Elysée et une création ex-nihilo d’une association de "potes". Ils ne deviennent pas plus acceptable parce qu’on se cache derrière la caution du principe de laïcité. Ils ne sont pas moins graves parce que nous avons-nous même été victime dans le passé ou parce que nous vivons dans un pays du Sud.
La xénophobie est comme un virus dormant, présent en chacun de nous, attendant son heure pour s’activer et infecter tout le corps. Mais ce virus a cela de particulier, qu’il ne se contente pas d’infecter votre âme, il est capable de détruire toute une nation.