On remarque ainsi que dès le début des années 1980 (probablement l’un des effets durables du PAS) la croissance des dépenses gouvernementales, même si elle est supérieure en valeur absolue à la croissance par tête (je reviens sur la distinction des deux agrégats) enregistre un déclin certain.
Mais quels sont alors les contributeurs de cette croissance ? En décomposant le budget sur les 25 dernières années, chacun des postes retenus par contribution dans la croissance du budget donne le résultat qui suit :
Poste | Contrib % |
Compensation | 48,30% |
Intérêt Dette | 13,54% |
Personnel | 40,54% |
Autres B/S | -14,76% |
Investissement | 12,39% |
A vrai dire, la contribution disproportionnée de la Compensation dans la croissance du budget est relativement récente: les données pré-2007 suggèrent un niveau proche de 25%, ce qui se traduit aussi par une contribution plus importante de la masse salariale, près de la moitié de la croissance du budget entre 1990 et 2007. Le graphe ci-dessous représente les parts relatives de chaque poste sur la même période.
Jusqu’en 2003-2004, Le second poste le plus important était le service de la dette, un héritage des années 1970 qui n’aura été complètement purgé qu’à cette date. Durant les dix années précédentes, près de 15% de la croissance moyenne du budget entre 1990 et 2003. Ce n’est probablement pas le poste le plus important, mais le poids de la dette a été tel qu’il a conditionné l’évolution des dépenses budgétaires, et donc la pression fiscale, les priorités de dépenses, pour ne citer que ces deux aspects de la politique budgétaire.
Il est intéressant cependant de noter que durant les années 1990-2007, l’investissement public n’aura contribué que 21% de la croissance du secteur public. Ce dernier aura presque triplé en moins de vingt ans, l’investissement public, quant a lui, a doublé en comparaison. Si cette relation s’est améliorée durant les six années passées, elle ne fait que remettre le pourcentage de l’investissement public rapporté aux charges de trésorerie au même niveau qu’en 1990.
Chère caisse de compensation
Dans tous les cas, l’expansion du secteur public, en tout cas sur les vingt dernières années, est tirée par les dépenses de la caisse de compensation et des dépenses de personnel; Administration et Subventions. Les deux agrégats budgétaires sont tirés par leurs ‘prix’ implicites respectifs: la compensation est conditionnée par le prix des matières première à l’international, et les dépenses de personnel par le salaire moyen.
On pense souvent que c’est l’augmentation du nombre de fonctionnaires qui est à l’origine de la croissance du poids de l’Etat dans le PIB, mais en réalité les charges de personnel sont plutôt tirées par les traitements versées, plutôt qu’une augmentation du nombre d’individus, passant d’un traitement moyen de 4.200 dirhams en 2000 à 9.200 dirhams en 2013, alors même que le nombre de fonctionnaires n’aura augmenté que de 8% sur la période, ce qui signifie que c’est principalement (presque exclusivement) l’amélioration de la rémunération en secteur public qui est derrière près de la moitié de la progression du secteur public durant les vingt dernières années.
A leur décharge, cette hausse pouvait être prévue des années à l’avance; après tout, l’évolution démographique de la fonction publique montre que c’est principalement une question d’indexation des traitements telle que prévue dans les contrats signés pour le fonctionnaire médian, c’est-à-dire approximativement au début des années 1980. L’autre aspect plus préoccupant est que chaque nouvelle cohorte commence sa carrière avec un traitement sensiblement supérieur à celui de la cohorte précédente, ce qui signifie une indexation toujours plus importante dans le temps; cette indexation implique les hausses futures inclues dans le contrat, mais aussi la charge de retraite. Autant les charges de compensation sont susceptibles d’être ajustées en laissant le prix des biens subventionner augmenter (à des degrés rapides) autant la question de la structure démographique de la fonction publique, ainsi que les modalités de traitement engagent le gouvernement et l’Etat sur une échelle temporelle plus étendue.
Plus de dépense publique et plus de corruption
“Salaires et Subventions” donc. Pour autant, pouvons-nous raisonnablement soutenir l’hypothèse initialement discutée, selon laquelle les problèmes auxquels sont confrontés les citoyens peuvent être résolus en augmentant la dépense publique ? Les indicateurs composites d’efficacité de l’action publique, par exemple, peuvent nous aider à vérifier cette assertion; à cet effet, on considère des indicateurs comme le contrôle de la corruption, l’efficacité gouvernementale, la qualité de la régulation publique, l’Etat de Droit, et enfin le degré d’efficacité d’influence de l’opinion publique et la reddition des comptes. L’indicateur de corruption s’impose de lui-même à vrai dire, car les risques potentiels d’un dévoiement des ressources publiques est croissant dans les moyens alloués. De même, l’efficacité de l’action publique va de pair avec la qualité de régulation et le respect de la Loi, en particulier dans des situations où une majorité de la population est démunie face à une minorité influente. Enfin, l’impact de l’opinion publique permet de fournir un feedback des citoyens potentiellement bénéficiaires de ces services publics.
Ces indicateurs sont représentés sur le graphe ci-dessous en comparaison avec l’évolution des charges du Trésor (avec comme indice l’année 1996)
Il s’avère ainsi que malgré l’augmentation des dépenses budgétaires, les indicateurs divers de gouvernance se sont sensiblement dégradés, ou en tout cas exhibent une stagnation qui ne fait qu’accentuer la robuste croissance des dépenses budgétaires. Il est ainsi difficile de soutenir que la croissance du secteur public au Maroc (en tout cas depuis 1996) a bénéficié aux citoyens.
Maintenant que ces éléments ont été présentés pour affaiblir l’hypothèse implicite de l’action publique (actuelle ou prônée par les diverses forces politiques existantes) peut-être est-il intéressant de supposer que ce n’est pas tant l’augmentation des traitements dans la fonction publique qui peut mettre un terme aux phénomènes de corruption (on le voit bien, il n’y a aucun lien entre les deux) mais plutôt en s’intéressant aux modalités d’exécution du service public; si l’indicateur de régulation a été le seul probablement à enregistrer une légère amélioration sur les années considérées, c’est probablement un signal pour quiconque songe à mettre en avant un vrai projet alternatif de réforme du secteur public, notamment en allégeant les pouvoirs discrétionnaires de plusieurs départements, en faveur d’une responsabilisation des individus: en Education, en Sécurité ou encore en Santé, il n’est nul besoin de garantir à l’Etat un pouvoir de décision pour l’usager des services publics, alors qu’il est possible de lui fournir la possibilité du choix avec les mêmes moyens pour un résultat autrement préférable.