Yabiladi : La première tranche du Midparc est inaugurée aujourd’hui, avec un an de retard. Bombardier a dû commencer sa production, en février dernier, dans une une usine provisoire près de l’aéroport Mohammed V car celle qu’il fait construire au sein du Midparc n’est toujours pas achevée. L’inauguration de cette plateforme industrielle est-elle une bonne nouvelle pour le secteur aéronautique au Maroc ?
Omar Tijani : Ce type d’installation relève d’une politique très intelligente car elle crée une synergie, met en commun et à disposition tous les services nécessaires à l’industrie aéronautique, mais aujourd’hui seule Bombardier à confirmer sa présence au Midparc, le reste est complètement vide. Les négociations pour faire venir d’autres entreprises sont toujours en cours. [Le groupe américain Eaton a également annoncé son implantation le 18 juin, pendant le salon du Bourget, à Paris, ndlr] Le Maroc s’est montré très ambitieux. Il construit d’abord de grandes plateformes industrielles et essaie de les remplir ensuite. Heureusement, les infrastructures ne sont jamais perdues. On peut toujours y déployer autre chose si besoin.
Comment expliquer une si faible occupation du parc à l’heure de son inauguration ?
Ce programme de chantier a été lancé pendant la crise économique. Elle a lourdement touché toutes les grandes multinationales en réduisant leurs débouchés. Sans eux, elles ne peuvent pas envisager d’investir dans de nouvelles usines de production. Aujourd’hui, nous commençons à sortir de cette période de crise et nous pouvons espérer que le Midparc se remplisse.
L’aéronautique au Maroc ne se limite pas au Midparc. Sur l’ensemble du Maroc, le secteur connait un taux de croissance de 25% par an sur les 5 dernières années, pour un chiffre d'affaires consolidé de 8 milliards de dirhams en 2011, selon le GIMAS. Quelle part y prennent les sociétés marocaines ?
Le Maroc compte aujourd’hui une centaine d’entreprises intervenant dans le secteur de l’aéronautique. Seules 5% d’entre elles sont 100% marocaines. La majorité des autres sociétés sont des joint-ventures maroco-françaises. La production purement industrielle dans ce domaine demande un capital de base considérable que seules les multinationales possèdent.
Historiquement, le cœur de métier des industriels marocains de l’aéronautique est la maintenance. Dans les années 70, la RAM ne faisait que de la maintenance pour les avions des FAR. Aujourd’hui, les nouvelles entreprises marocaines du secteur investissent les domaines de la conception, du design, des études de marché ... mais pour une production industrielle technologique elles doivent s’associer avec des sociétés étrangères qui possèdent le savoir faire.
Vous expliquez que pour le capital et le savoir faire, les industriels marocains ont besoin des multinationales étrangères. Comment le Maroc fait-il pour les attirer ?
Il ne faut pas croire que les multinationales de l’aéronautique choisissent le Maroc pour ses beaux yeux. Elles s’installent ici pour une chose : les bas coûts de mains d’œuvre des ouvriers non qualifiés. Le Maroc mise sur des incitations matérielles pour les attirer. Au Midparc, le terrain est vendu pour presque rien. Les sociétés qui s’y installent sont exonérées d’impôts pendant 5 ans et bénéficient d’une exonération fiscale de 2,5% pour les 10 années suivantes. Les salariés non qualifiés sont embauchés avec des contrats ANAPEC c'est-à-dire qu’ils ne bénéficient d’aucune protection sociale pendant 2 ans ; autant de charges en moins pour la société.
Cette politique est-elle suffisante pour une croissance durable du secteur ?
Le Maroc cherchent à remplir ses plateformes industrielles de sociétés étrangères pour les emplois créés et les quelques impôts qu’elles paient, mais l’on ne cherche pas assez à profiter de ses IDE. Les acteurs du secteur ne semblent pas avoir vraiment conscience de la dangerosité de cette politique à court terme. Certes, les multinationales viendront, mais pour combien de temps ? Le Maroc est déjà en concurrence avec d’autres pays comme l’Algérie, la Roumanie, la Turquie, la Chine, le Mexique. On sait bien que le jour où ces multinationales trouveront moins cher ailleurs, elles quitteront le Maroc. C’est ce moment là qu’il faut préparer.
Quelle est la stratégie à adopter pour éviter la dépendance de l’industrie marocaine aux multinationales étrangères ?
Il faut que les sociétés marocaines apprennent, absorbent le savoir faire des sociétés étrangères dans le cadre des joint-ventures pour être indépendant et viable seul, le jour où elles partiront. Le Maroc ne doit pas être un «abri» d’entreprise, mais il doit développer l’apprentissage organisationnel. Les multinationales qui viennent au Maroc ne transmettront jamais leur cœur de métier à leur partenaires marocains, mais elles ont tout de même réellement intérêt à ce que ceux-ci soient plus autonomes et apprennent la périphérie du métier : pour elles se sont autant d’expatriés en moins à envoyer au Maroc.
Quelle attitude les acteurs du secteurs doivent adopter pour intégrer ces nouveaux savoir faire ?
L’Etat joue son rôle. Il construit les plateformes industrielles ; l’Institut des Métiers de l’Aéronautique (IMA) a été créé pour fournir une main d’œuvre spécialisée en fonction des besoins de chaque entreprise. Le roi a également inauguré il y a 3 semaines l'Institut Spécialisé dans les Métiers de l'Aéronautique et de la Logistique Aéroportuaire (ISMALA). L’Etat investit, mais c’est au niveau des entreprises, à l’intérieur des joint-ventures, que l’essentiel se joue. Il faut former des équipes mixtes étrangère-marocaines, faire des échanges de salariés. Au Maroc un salarié peut mettre un an pour passer au niveau supérieur hiérarchique quand en France, pour le même travail, un employé mettra 10 ans. Il y a une forme d’immaturité dans la gestion des carrières.
L’Etat pourrait-il exiger des sociétés qui s’installent qu’elles réalisent un transfert de technologies vers les sociétés marocaines ?
D’autres pays, comme la Chine, l’exigent. Pas le Maroc. C’est le genre de chose qui peut être demandé au niveau inter-entreprises. Je pense que si cela se fait au niveau national, comme une condition d’installation, cela risque de faire un peu peur et de freiner les multinationales qui envisageraient de s’installer au Maroc.