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Grand Angle

Maroc : Parole d'un homme qui n'a plus rien à perdre, par Yamna Joe

Qui a dit que le football était un domaine réservé aux hommes ? Dans sa chronique d’aujourd’hui, Yamna Joe revient sur le «jeudi noir»  de Casablanca, où près de 200 personnes, soupçonnées de vandalisme, ont été arrêtées par la police marocaine. A travers sa lecture des événements, la blogueuse marocaine tente de comprendre les raisons de ces dépassements. 

Publié
Ph : Les chroniques de Yamna
Temps de lecture: 4'

Que répondre à ces policiers, dont la voix aiguisée comme un couteau, sonnait l'ordre de s'étendre par terre? Comment ne pas répondre d'une voix abattue, quand on vous parle avec une indéniable agressivité ? Moi, je ne me suis jamais considéré que comme un "chemkar mkete3". Souvent, à mon allure, les gens fuyaient.

Saisis de panique devant mon épée tranchante, ils m'offraient d'un air d'aimable intelligence la totalité de leurs biens. J'occupais certaines ruelles obscures des beaux quartiers, où je veillais des nuits entières pour attaquer les vampires numériques, ces suceurs de ressources naturelles. Dès que, vaincu par la fatigue, je gagnais la plage de Skhirat, longue de plusieurs kilomètres, pour y répartir la richesse selon mon extrême justice, en assurant à chacun de mes camarades une part de fortune. Et, de leur charité, de tout cet argent que nous dépouillions, de l'injustice sociale qui rongeait la cohésion de notre société, se dégageait surtout le mépris de leur intellection de créatures supérieures, pour les pauvres ignorants, victimes de l'obscurantisme économique que nous étions. 

Je n’ai pas connu mon père

Je n'ai pas connu mon père. Je ne sais pas son nom. Il ne sait pas le mien. Dans mes rêves, il apparait d'une extrême douceur contre l'amour qui ne vient pas. Ma mère ne parvenant à gagner de l'argent, qu'en se dévêtant entièrement devant des hommes, comprit que cette nudité interdite, me vexerait. Alors, ayant deviné que son corps, tantôt nu, tantôt allongé sous celui de ses amants d'une heure, qui pouffaient d'aise de ses fesses tombantes et flasques, nourrissait mes réflexions les plus criminelles, m'envoya vivre chez ma grand mère à salé. Ce n'était pas qu'elle eût à s'alarmer pour mes émotions, mais elle avait peur de moi. A cette nouvelle, j'eus un instant l'envie de la décapiter à deux tranchants, sur son petit ventre encrassé, et d'un poignard dans son sein.

« Je jure devant dieu que je te tuerai un jour Khadija. Oh ! Je te poignarderai dans les bras de tes amants, ensuite je t'induirai le visage d'un lait hydratant inhibé à Lma lkata3. Tu me fais honte yal ....», furent les derniers mots échangés avec ma mère jusqu' à ce jour. Au fond du cœur, ma mère n'était pas que mauvaise, elle souffrait affreusement de la pauvreté dans laquelle elle vivait, mais aussi de sa jeunesse perdue. Quelque chose dans la réflexion de sa dépression, justifiait sa haine pour mon être. Elle ne prononçait jamais mon prénom. Elle avait plusieurs fois répondu par " weld lhram" aux interrogations du voisinage. Elle m'aimait pourtant, de tous ses cœurs déchirés par le sens de la misère humaine. Oui, ma mère m'aimait. 

Venu d’une planète sushi en Atlantide

Deux heures venaient de sonner à la gare de Casablanca, lorsqu'une armée de supporters du club des FAR-Rabat envahissaient de ferveurs les lieux. Une mêlée des plus curieuses, une de ces réunions d'affaires où tous se retrouvent, voyous, bandits, pickpockets, intoxiqués, escrocs, quelques violeurs, et d'anciens camarades de la forêt Mamora. Jusqu' à seize  heures, nous marchons ensemble à travers les principales artères de Casablanca, pour joindre le stade Mohammed V.

Au quartier Anfa, je frémissais d'exaltation, du désir aussi de découvrir toutes ces maisons ornées de marbre, ces voitures de courses empruntées à James Bond, et ces hommes à l'allure épurée qui exaltaient la mésestime. Peu à peu, je me consumais d'une ardeur austère, générant ainsi un ensemble de mouvements et d'insultes, qui dégoûtaient les promeneurs. Dans ma croyance absolue à toute logique, je restais pourtant surpris de constater un tel déséquilibre économique. Je venais d'un système solaire lointain. Je venais d'une planète sushi en Atlantide. Je venais d'un monde parallèle aux portes de Stargates. Je venais d'ailleurs, mais pas d'ici. 

N'est ce pas abominable ce monde, où le filet de bœuf, le calamar fris, les bains de minuit, les marques de vêtements, les voitures bonnes occasions, une chambre individuelle, une armoire vide, une télévision couleur, un smartphone acheté, un laptop Windows 2000, un voyage à Merzouga, un passeport pour enfant illégitime, l'éducation, l'enseignement, l'apprentissage, l'équité, la droiture, l'intégrité, la justice, légalité, le diplôme, la fonction, le droit n'existent-ils pas ? «Vous voyez cette Lamborghini garée ? Avec ses allures luxueuses : C'est un logement décent conforme aux normes de salubrité, des repas quotidiens, et des vêtements chauds pour une trentaine de familles sans abris vivant à l'intérieur des grottes, dans une région de l'Atlas...chafara klaw lblad», rétorque Redouane, d'un air furieux.  

Besoin de tout casser

Pourtant, c'était l'anarchie absolue, dépouillée de tout modèle de société profondément égalitaire. Dès ce moment, une colère collective l'emporta. L'horreur rouge de cette schizophrénie sociale m'émouvait et me propulsait vers une rage de destruction absolue. Je m'acharnais au hasard contre quelques terrasses de cafés, cognant des crânes à coup de bâtons, et brisant des vitres avec des cailloux. J'étais empoigné par ce besoin féroce de violenter, de tout casser et de châtier ces zombies qui avaient dévoré tant de chaire humaine. Ce jour-là, on s'acharna au hasard, par un champ de bataille béotien, contre des voitures, des innocents, des cafés, des restaurants, des enseignes de magasins, trois gros chiens et une femme. Sous les azures de cette journée noire, le soleil rayonnait de vengeance. Notre vengeance sur une existence abîmée et totalement gâchée. Notre vengeance sur une société qui exclut les prototypes de ma race. 

 Après trois heures de châtiments, c'était la fin. Les bêtes, étendues et tachés, n'avaient plus qu'un corps si impropre, que personne n'en aurait donné un centime. Et si je me l'avouais finalement, nous n'étions que de simples bêtes. Une bête pauvre, ignorante, et sauvage qui s'efforçait de retrouver un espoir pour ne pas en finir avec la vie. Parole d'un homme qui n'a pas peur du feu. Parole d'un homme qui ne craint pas le froid. Parole d'un homme qui n'a plus rien à perdre. 

«Tant que les hommes massacreront les Bêtes, ils s’entre-tueront». Pythagore 

Retrouvez toutes les chroniques de Yamna Joe sur son blog.

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