«Ils veulent transformer La Mecque en Las Vegas !», s’indigne Hatoon Al Fassi, née à la Mecque et professeure d’histoire à l’université du roi Saoud à Riyad, sur France 24. Des vastes travaux étoilent de grues le ciel de la ville sainte. Un très vaste projet de réaménagement de la Mecque est en cours. Objectif : accueillir 10 millions de pèlerins d’ici 2020 contre 3 ou 4 millions aujourd’hui. «Les travaux ont officiellement pour but d’agrandir l’esplanade où les pèlerins tournent autour de la Kaaba pour pouvoir accueillir un plus grand nombre de fidèles. Mais au-dessus des nouvelles galeries seront bâties des tours qui abriteront des hôtels, des restaurants et des centres commerciaux», révèle l’historienne.
Elle regrette la disparition, dans ce vaste chantier, de lieux appartenant au patrimoine islamique. Selon elle, deux tiers du site historique de la Mecque, ses constructions les plus anciennes datant de l’époque même du prophète, ont disparu. Les maisons des compagnons du prophète, la mosquée de Khaled Ibn Al-Walid, qui datait des premières années de l’ère islamique, ont été détruites. La maison du prophète Mohamed, elle-même, a été transformée en bibliothèque.
Prix : +44% en trois ans
Les travaux pharaoniques qui s’accompagnent de destructions ont pour objectif d’accueillir plus de pèlerins, mais ils se font aujourd’hui, sur leur dos. Le coût du Hajj a littéralement explosé. Pour ne prendre que les trois dernières années, le prix d’un séjour type, au Maroc, entre 2010 et 2012 a augmenté de 21,25% pour une chambre double, et de 44,84% pour une chambre pour quatre personnes. La catégorie «chambre pour 5 personnes» a même été créée cette année dans les tarifs prédéfinis. Quand en 2010, un pèlerin marocain pouvait s’offrir un séjour type pour 31 000DH, le plus bas prix, avec une chambre pour 4, il le fait, cette année, pour 41 900DH, à condition d’accepter une personne supplémentaire dans sa chambre.
L’augmentation des prix et les montants qu’ils atteignent aujourd’hui sont considérables, au Maroc, mais ils ont encore l’avantage d’être fixés au terme d’une négociation entre la Fédération nationale des agences de voyages marocaines et le ministère du Tourisme. Ils restent inférieurs à ceux proposés, en France, aux musulmans. Meridianis Voyages, installée à Paris, propose un forfait à 5290 euros pour une chambre quadruple et 6990 euros pour une chambre double, quand, au Maroc, en 2012, elle n’est accessible que pour 97 000 dirhams.
Hôtels détruits
L’agence Al Bayt, également à Paris, propose un séjour entre 5250 et 6900 euros, selon le type de chambre. «L’an dernier l’un des meilleurs hôtels de la Mecque m’a envoyé les tarifs de ses plus belles chambres, de véritables suites, pour les 10 derniers jours du ramadan : 76 000 euros !», raconte Hussine Sayari, le directeur général de l’agence.
Des deux côtés de la Méditerranée, on est unanime pour pointer du doigt les bouleversements du parc hôtelier. «Les ¾ des hôtels ont été abattus aux abords de la kaaba pour que tout soit réaménagé. Des centaines d’hôtels ont été démolis», estime la Fédération nationale des agences de voyages marocaines. «Pendant que la demande de pèlerinage augmente partout dans le monde, le nombre d’hôtels diminuent. Aujourd’hui, à la Mecque, celui qui a un hôtel a un puits de pétrole», ironise Hussine Sayari.
Vendre plutôt que loger
Les hôtels qui manquent devraient, selon les objectifs de l’Arabie Saoudite, être construits dans le cadre du vaste plan de rénovation urbaine. «D’ici 5, 6, 7 ans, ce problème de capacité ne se posera plus. Arithmétiquement, les prix vont baisser», estime la Fédération nationale des agences de voyages marocaines. «Je pense que la réalité sera plus douloureuse. Les prix vont rester les mêmes voire vont augmenter», analyse Hussine Sayari. Il fait référence à un immense complexe de 37 tours construit près de la Mecque, dans le cadre du réaménagement, «je m’attendais à ce qu’il compte 500 000 chambres pour les pèlerins, et bien non, il y en aura seulement 67 000 ! Le complexe va être rempli de centre commerciaux», explique le directeur général de Al Bayt.
Même si l’Arabie Saoudite parvient à construire assez de chambres, d’ici 2020, pour accueillir 10 millions de personnes chaque année à la Mecque, le nombre de musulmans dans le monde et leur envie de réaliser le pèlerinage est telle qu’il est difficile de mesurer si cela sera suffisant. Si la demande reste plus élevée que l’offre, il est peu probable que les prix baissent.