«Généralement, en présence d’un étranger, quelle que soit sa nationalité, le Marocain se met à parler la langue ou le dialecte de celui-ci, même s’il est parfaitement conscient qu’il parle et comprend l’arabe ou le dialecte marocain». Ces propos sont ceux tenus par Hajjar El Haiti et Hafsa Sakhi, journalistes chez Le Matin dans leur article intitulé : «Langage des Marocains : une identité composite qui cache une faiblesse» et publié le week-end dernier.
Pour illustrer cette idée, les exemples n’ont pas manqué. D’un côté, la majorité des Marocains participant aux émissions de musique sur les chaines arabes qui, en général, parlent en libanais, égyptien ou khaliji [dialecte des pays du Golfe]. Interrogée à ce sujet en avril dernier par l’hebdomadaire Telquel, la finaliste marocaine d’Arab Idol 2011, Dounia Batma, est allée sans détours. «Ces critiques me dépassent», a-t-elle déclaré soulignant que pendant le compétition, elle «essayait souvent» de parler en darija. «Mais soyons francs, au Moyen-Orient, personne ne comprend notre dialecte», avait tranché l’artiste.
Admettons. Cependant, qu’en est-il des jeunes dans les cafés ou face aux caméras qui sont prompts à s’exprimer en français ? ou encore ceux qui évitent de parler darija même avec les étrangers qui vivent au Maroc et connaissent la langue ?
Les Français ne le feraient jamais
Laurent est Français et marié à une Marocaine avec qui il vit dans le royaume chérifien depuis une dizaine d’années. Salarié dans une entreprise marocaine et pleinement intégré dans la société, il parle très bien darija et esquisse quelques phrases en arabe classique. Chose curieuse : «Tous les gens que je connais, que ce soit au travail avec ma belle-famille ou au marché, ne me parlent qu’en français, même s’ils savent que je comprends parfaitement le dialecte marocain», explique-t-il.
Laurent comprend que les gens veulent le mettre à l’aise en parlant sa langue, mais préférerait échanger en arabe avec les Marocains, d’autant qu’il ne se considère plus comme un étranger dans le pays. Pour ce Français, parler chez soi la langue de l’étranger est quelque chose qu’on ne verrait pas dans son pays d’origine. «En France, personne ne fournira l’effort de parler une autre langue que le français, quelle que soit la nationalité de l’étranger», avance-t-il.
«Les gens ne savent pas ce qu’être Marocain signifie»
Sociologues, psychologues et linguistes s’accordent pour dire que l’attitude de nombreux Marocains face à l’étranger est à la fois positive et négative. Positive dans le sens où ils montrent leur «ouverture» en essayant de se mettre à la place des autres et respectent ainsi un principe de la communication, précise à Yabiladi le professeur Abdelkader Fassi Fihri, spécialiste en linguistique. Mais, c’est également «un signe parmi d’autres qui révèle la présence d’une culture de la dépendance. Une dépendance apprise et développée chez le Marocain durant sa socialisation sans avoir des alternatives», explique au Matin Rachid Bekkaj, enseignant chercheur, doctorat d’État en sociologie politique. Et d’ajouter : «c’est faire abandon de l’environnement social dans lequel le Marocain vit, et selon le contexte sociopolitique et économique une forme de ‘hrigue’»
Un point de vu parfaitement soutenu par le professeur Fassi Fihri. «Les gens sont au Maroc, mais en même temps, veulent être ailleurs et par conséquent n’arrivent pas à valoriser leur identité. A la première occasion, ils ne sont plus eux-mêmes», juge-t-il ajoutant avec désolation que «les gens ne savent pas ce qu’être Marocain signifie».
Le Maroc n’est plus une référence pour apprendre l’arabe
Le professeur Fassi Fihri se rappelle avec regret cette époque où les gens venaient de partout pour apprendre l’arabe, dialectal ou classique. «Les étrangers qui venaient au Maroc pour apprendre l’arabe ne viennent plus. Tout simplement parce que les Marocains leur parlent le français. Beaucoup de gens se sont plaints auprès de moi et vont désormais en Egypte ou dans d’autres contrées arabes».
Pour ce spécialiste en linguistique, le sujet n’est pas sérieusement débattu au Maroc. «Les gens s’emportent dans des discours et la propagande, sans toucher la vraie réalité linguistique», juge-t-il. Et d’ajouter : «ceux qui revendiquent le berbère ne le parlent pas avec leurs enfants. Quelques-uns défendent l’arabe, même dialectal, mais parlent français, et ceux qui défendent l’Amazigh ne le parlent pas. Ce genre de comportement est typiquement marocain, lance-t-il comme désavoué. Les autres peuples, même quand leur langue n’est pas internationale, ils la parlent lorsqu’ils y tiennent».