Depuis quelques temps, un vent de contestation soufflait dans les travées des divers Palais de Justice du royaume. C’est ce qu'a confirmé la mobilisation sans précédent du Club des Magistrats le week-end dernier.
«Interdite mais tolérée», cette association des juges marocains a en effet lancé un appel à la mobilisation auprès de ses membres pour la signature d'une pétition réclamant l’indépendance de la justice marocaine et la mise en application des textes de la Nouvelle Constitution.
Petit rappel des faits : le 1er Juillet 2011 entre en vigueur au Maroc une Nouvelle Constitution après un référendum constitutionnel qui l’a voit plébiscité par près de 98% des participants. Parmi les dispositions qu’elle prévoit, cette Nouvelle Constitution consacre la séparation des pouvoirs, avec, notamment, une reconnaissance de l’indépendance de la justice par rapport à l’exécutif. A cet effet, l’article 92 de la Constitution stipule que «les magistrats sont indépendants dans l’exercice de leur fonction, [et qu’] ils ne peuvent recevoir d’ordres, instructions, directives, recommandations ou suggestions concernant l’exercice de leur pouvoir juridictionnel.»
Or, 10 mois après son entrée en vigueur, les textes constitutionnels tardent toujours à entrer en application, justifiant le mécontentement grandissant des juges qui ne tolèrent plus que le Parquet ait encore à subir le joug obérant de l’exécutif.
«Il est inadmissible de parler d'indépendance du pouvoir judiciaire, alors que le Parquet général demeure sous la tutelle du ministère de la justice», tempête Yassine Moukhli, Président du Club des Magistrats du Maroc. «Nous voulons que le Parquet devienne indépendant de l'exécutif. Les procureurs sont aussi des juges», ajoute-t-il.
D’où l’initiative inédite impulsée par le Club des magistrats marocains le week-end dernier. En lançant son appel à la mobilisation, le Club signe là sa première action concrète depuis sa création au printemps 2011. Une "action de masse" puisque ce sont près de 1800 juges qui ont paraphé la pétition.
4000 cas de corruption présentés devant les tribunaux marocains en 2011
«Il s'agit d'une première action. Nous pouvons aussi faire grève si nos revendications ne sont pas satisfaites, y compris celle des salaires des juges qui sont dérisoires et qui favorisent la corruption», souligne Yassine Moukhli.
Salaire dérisoire ou pratique ancrée dans les mœurs sociétales, la corruption est en effet quasi-institutionnalisée au sein de l’appareil judiciaire marocain. Comme le relevait le ministre marocain de la Justice, Mustafa Ramid, en Avril dernier, plus de 4000 cas de corruption impliquant des juges, magistrats ou autres corps de la magistrature ont été présentés devant les tribunaux marocains en 2011. Qualifiant la situation «d’alarmante», le ministre PJDiste a ainsi rappelé que «le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) a suspendu huit juges pour affaires de corruption, prononcé des sanctions à l'encontre de 44 magistrats et averti 650 membres du corps de la magistrature» l’an dernier.
Aussi, cet éclairage sur la corruption qui grangrène l'appareil judiciaire marocain doit-il nous amener à l'interpellation suivante : quel objectif, de l’indépendance de la justice, pratique constitutionnelle mais non-institutionnalisée, ou de l’éradication de la corruption, pratique anticonstitutionnelle mais quasi-institutionnalisée, sera le plus rapidement atteint par le Maroc ? Et surtout, qui, de la corruption ou du manque d'indépendance, entrave le plus le fonctionnement actuel de l'appareil judiciaire de l'Etat?