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Grand Angle

Nozha Ben Mohamed, journaliste : « La femme tunisienne milite 3 fois plus que sous Ben Ali » [interview]

C’est de Tunis que Nozha Ben Mohamed s’est envolée pour Marrakech les 27 et 28 avril dernier afin de participer à la rencontre internationale sur les Médias Alternatifs organisée par E-Joussour (cf site). La journaliste tunisienne et directrice de Radio 6 a tenu à partager son expérience et raconter les difficultés qu’elle a rencontré pour lancer sa radio libre sous l’ère Ben Ali. Yabiladi l’a rencontré dans la ville ocre. Interview.

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Nozha Ben Mohamed, journaliste tunisienne et directrice de Radio 6 condamnée à 23 ans de prison sous Ben Ali. (© Augustin Le Gall)
Temps de lecture: 3'

Comment se porte la Tunisie aujourd'hui ?

Nozha Ben Mohamed : Il y a plus d’un an, les Tunisiens ont fait leur révolution pour tenter de résoudre leurs problèmes sociaux mais aussi pour garder leur dignité. Mais hélas, je constate qu’aujourd’hui les gens ne sont toujours pas stables. Le nombre de chômeurs augmentent de jour en jour. Ce sont des gens qui ont été virés parce qu’ils ont pris part à des sit-ins. De grandes sociétés ont fermé également leurs portes car elles n’avaient pas assez d’ouvriers et d’employés.

Comment expliquez-vous que malgré la révolution et le départ de Ben Ali, les choses n’évoluent pas plus rapidement ?

NBM : On a fait une moitié de révolution ! (rires). Une moitié qui a permis de dégager Ben Ali. Mais l’ancien système politique est toujours là. On ne peut pas se débarrasser en un claquement de doigt d’un système dirigé par un homme depuis 20 ans. Ca a laissé des traces.

Et la femme tunisienne, comment va-t-elle ?

NBM : Elle est là, présente dans la société. La femme tunisienne milite encore et toujours. Elle essaie d’exister et de militer 3 fois plus encore que sous l’époque de Ben Ali. De plus, avec le nouveau parti politique au pouvoir, le parti Ennahda, la femme tunisienne craint pour ses droits. Elle craint de perdre ses acquis et de faire marche arrière.

Avez-vous peur du parti Ennahda ?

NBM : Non. J’ai toujours dit que c’est mieux que ce parti arrive au pouvoir maintenant, en pleine transition politique, parce que tous les problèmes d’aujourd’hui vont finir par lui tomber sur la tête. Le parti ne va pas résoudre tous les problèmes d’un seul coup de baguette magique. Un jour où l’autre, le peuple tunisien va se rendre compte que ce n’est pas la solution d’avoir au gouvernement un parti islamiste. Le visage politique de la Tunisie pourrait changer lors des prochaines élections. En tout cas, je l’espère.

Vous êtes journaliste radio. Et sous l’époque de Ben Ali, vous avez été condamnée à 23 ans de prison pour avoir voulu lancer une radio libre…

NBM : Oui je suis journaliste de formation mais je suis très active dans la société civile tunisienne. En 2007, avec des collègues du syndicat tunisien des radios libres, nous avons crée la première radio associative du pays, une radio qui n’a pas du tout plu à Ben Ali. Il l’a tout de suite vu comme une radio d’opposition et n’a pas vraiment saisi l’objectif de ce média qui était de donner la parole aux Tunisiens. Lors des élections présidentielles et législatives en 2009, on a invité tous les candidats à la présidentielle sur le plateau de la radio pour s’exprimer et on a bien entendu invité Ben Ali. Ce qu’on voulait c'est qu’il puisse, en cas de réélection nous garantir qu’il protégerait nos libertés et la société civile.

Que vous a répondu Ben Ali ?

NBM : Il a décliné notre offre. Au lieu de venir faire une intervention à la radio, il a envoyé ses policiers dans nos locaux. Ils ont saccagé nos bureaux et ont confisqué notre matériel informatique et électronique. Puis, Ben Ali nous a fait condamner à 23 ans de prison sans même passer devant un tribunal.

Comment avez-vous vécu cette période et cette condamnation ?

NBM : C’était le choc. Le jour où les policiers sont venus saccager nos locaux, j’ai perdu mon bébé. Aujourd’hui, je ne sais pas si je pourrais encore avoir des enfants. J’ai néanmoins tout fait pour me battre contre ce dictateur. L’équipe et moi avons continué à émettre sur internet. On a installé nos bureaux dans un local clandestin. On allait voir les gens en cachette dans les cafés ou leur maison pour faire des enregistrements qu’on diffusait ensuite la nuit. C’était très dur. Heureusement que la révolution a fini par arriver. Après le départ de Ben Ali, on est passé d’internet à la bande FM. On a eu du mal à l’avoir mais on l’a eu. Ca nous coûte très cher. Pour diffuser nos programmes sur la bande FM, il faut payer 50 000 euros par an. On n'est qu’une petite radio associative et on ne reçoit pas beaucoup de publicités.

Quel regard portez-vous sur les manifestations du printemps arabe au Maroc et en Algérie ?

NBM : Avant même la révolution du Jasmin en Tunisie, j’ai toujours su que le Maroc avait une société civile très développée et très riche, beaucoup plus qu’en Tunisie, Algérie et Libye. Même si le Maroc n’a pas connu la même révolution que chez nous en Tunisie, c’est une révolution de voir que la société civile peut intervenir et faire des propositions au gouvernement. C’est une révolution d’avoir des élections transparentes. Pas besoin de descendre dans la rue pour avoir une révolution. Par contre pour ce qui est de l’Algérie, la situation politique reste encore très floue à mes yeux et il y a un manque de transparence sur ce qui se passe réellement sur le terrain.

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