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JO-2004 : Entretien avec Nawal El Moutawakel

Olympisme
" Aujourd’hui, c’est la femme qui pulvérise les records ! "
Première femme arabe championne olympique en 1984 sur 400 mètres haies, la Marocaine Nawal El Moutawakel est aujourd’hui membre du CIO.

Elle a troqué le survêtement pour un tailleur élégant. Mais reste une femme pressée. Désormais membre du Comité international olympique, la Marocaine Nawal El Moutawakel, première femme arabe titrée aux Jeux en 1984 à Los Angeles sur 400 mètres haies, préside la commission d’évaluation des villes candidates à l’accueil des JO en 2012. De ce nouveau rôle, elle ne veut pas dire grand-chose, sauf qu’elle " travaillera avec toute une équipe, parce que celui qui gagne seul a déjà tout perdu ".

Elle est plus disserte en revanche sur son combat militant. Chaque année, elle organise à Casablanca, la Course des femmes, une épreuve pour transmettre aux femmes marocaines le goût du sport.

Vingt ans après votre titre de Los Angeles sur 400 mètres haies, une Grecque à la progression fulgurante, Fani Halkia (1), s’est imposée dans votre discipline fétiche. Vous croyez à sa performance ?

Nawal El Moutawakel. D’abord, je pars du principe qu’elle s’est bien préparée, qu’elle court aussi chez elle en Grèce. Ensuite, elle est techniquement parfaite. Moi-même lors des Jeux de Los Angeles, j’ai amélioré mon propre chrono d’une seconde. Jusqu’à ce qu’on me prouve le contraire, je continuerais à croire en elle et en un sport propre même si les JO ont été, je ne dirais pas ternis par le dopage, mais bousculés.

Vingt ans après, vous restez aussi dans les esprits parce qu’à l’époque vous étiez la première femme arabe à vous imposer aux Jeux. Depuis vous continuez de militer pour la cause de la femme.

Nawal El Moutawakel. Oui, parce que la pratique du sport doit être un droit et un devoir pour tout le monde. J’ai réalisé, en remportant l’or olympique en 1984, que des milliers de femmes n’avaient peut-être pas la chance d’accéder aux jeux Olympiques, de participer à ce bonheur dans l’effort que représentent les JO, ce moment apolitique de rencontre entre les peuples. Alors, en arrêtant ma carrière à l’âge de vingt-quatre ans, j’ai voulu militer pour que des femmes dans mon pays ou au Moyen-Orient puissent accéder au même rêve que moi. Et puis, huit ans après Los Angeles, l’Algérienne Hassiba Boulmerka a détruit tous les tabous, tous les obstacles et les mentalités parfois tordues qui existent dans nos sociétés. En remportant l’or sur 1 500 mètres à Barcelone, elle a démontré que la femme arabe, musulmane, africaine, avait des capacités extraordinaires, qu’elle pouvait monter, elle aussi, tout en haut du podium olympique. D’autres lui ont ensuite succédé, comme la Syrienne Ghada Shouaa, championne olympique de l’heptathlon en 1996, ou la Marocaine Nezha Bidouane, double championne du monde du 400 mètres haies.

Vous dites que les JO sont apolitiques mais quand une femme arabe gagne aux Jeux, c’est aussi un fait politique. Est-ce qu’elle n’aide pas à faire évoluer les mentalités chez elle ?

Nawal El Moutawakel. Oui, mais lorsque j’ai gagné, en 1984, les journalistes internationaux m’ont posé des questions qui m’ont dérangée. Sans cesse, on me demandait pourquoi je courais en short et, moi, je ne savais pas quoi répondre. Courir en short, c’était très naturel pour moi parce que je viens d’une famille très ouverte d’esprit. Mon père était judoka, ma mère était volleyeuse dans les années cinquante. Seulement, pour une certaine presse internationale, c’était étonnant de voir une femme arabe pratiquer le sport de haut niveau. Mais les choses changent.

Vraiment ?

Nawal El Moutawakel. Bien sûr. Aujourd’hui, lorsque je voyage au Qatar, aux Émirats arabes unis, je me rends compte que des choses extraordinaires se font là-bas. Il faut laisser le temps à ces pays d’évoluer. Au début du siècle passé, en Europe, la femme n’avait souvent pas accès au stade en tant que simple spectatrice. Aujourd’hui, c’est pourtant la femme qui fait le show, qui pulvérise les records.

À Olympie non plus, les femmes n’étaient pas acceptées vingt-sept siècles plus tôt. Le concours de lancer du poids féminin organisé là-bas plutôt que dans le stade d’Athènes, c’était un vrai symbole à vos yeux ?

Nawal El Moutawakil. Oui. La symbolique d’Olympie était quelque chose de fantastique. Les lanceuses de marteau en pleuraient. Elles avaient conscience de rentrer dans l’histoire en pénétrant dans ce stade dont les femmes avaient été bannies. Je le répète, les choses changent pour les femmes. En mettant un peu de pression sur certains comités olympiques et en leur démontrant l’importance d’impliquer les femmes dans le sport, on y arrivera.

D’où vous vient votre volonté de vous impliquer dans le mouvement sportif ?

Nawal El Moutawakel. Avant et après chaque compétition, le roi Hassan II m’appelait pour m’encourager et me féliciter. Je me disais alors : " Il me regarde, moi, au milieu de 30 millions de Marocains ! " C’est un peu pour cela que j’ai su assez jeune me rendre compte du rôle que je devais jouer en tant que jeune fille évoluant dans un environnement à dominante masculine. J’ai utilisé ma victoire pour servir la cause des femmes. Pour moi, le sportif doit prendre conscience que s’il est champion, c’est parce que son pays, son club, lui a beaucoup donné. J’ai toujours mon premier maillot rouge et vert du Maroc avec lequel j’ai couru ma première grande compétition. Le champion doit redescendre après la fin de sa carrière au plus bas niveau pour faire un travail de proximité avec les jeunes, dans la société. Qui dit sport, dit capital humain. Investir dans le sport comme élément d’éducation, ce sera toujours un calcul rentable.

Vous nous avez beaucoup parlé des valeurs du sport, mais est-ce qu’elles ne volent pas en éclats lorsqu’on voit les dérives actuelles, le Hongrois Fazekas, médaillé d’or du disque, par exemple qui trafique son urine pour échapper au contrôle antidopage ?

Nawal El Moutawakel. Comment ne pas être découragé ! Seulement, il y aura toujours des tricheurs. Ce qui me réconforte, c’est que ces gens finiront toujours par être attrapés, j’en suis persuadée. En attendant, c’est vrai, on ne peut pas continuer à organiser des épreuves où les tricheurs participent en faisant mine d’être blancs comme neige alors qu’ils choisissent la voie du raccourci pour s’imposer. Le raccourci n’a pas sa place, il faut transpirer pour gagner des médailles.

Entretien réalisé par Frédéric Sugnot
Source: L'Humanité

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