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Comment les Subsahariens jugent le Maroc

Effectuée avant les drames de Ceuta et Melilla, une enquête d'opinion, la première du genre, évalue le capital de sympathie dont dispose le royaume en Afrique noire francophone.

Y aura-t-il, dans les relations entre l'Afrique subsaharienne et les pays du Maghreb, un avant- et un après-octobre 2005 ? Sans que l'on sache encore si leur impact sera ou non conjoncturel, il est évident que les images d'émigrés clandestins entassés dans des bus et abandonnés aux portes du désert, ainsi que les récits des expulsés dont toute la presse s'est faite l'écho de Dakar à Kinshasa, ont profondément choqué au sud du Sahara. Contrairement à l'Algérie et à la Libye, qui, régulièrement, se débarrassent de leurs démunis venus du Sud loin du regard des caméras, le Maroc est aujourd'hui dans l'oeil du cyclone - et le premier à en subir les effets collatéraux en termes d'image de marque.

Parce qu'il est plus ouvert que ses voisins à la pénétration des médias européens et parce qu'il constitue, géographie oblige, à la fois la salle d'attente, la gare de tri et le terminus des clandestins, le royaume concentre aujourd'hui, et non sans quelque injustice, l'essentiel des critiques. « La morale aurait voulu, écrivait ainsi il y a peu Le Soleil, quotidien officiel du pourtant très marocophile Sénégal, que le Maroc, qui proclame haut et fort sa qualité de symbole parfait de la symbiose entre l'Afrique subsaharienne et le monde arabe, et de trait d'union naturel entre l'Afrique et la Méditerranée, prenne en charge les émigrés clandestins avec dignité et esprit d'humanisme. »

Le jugement est sévère, mais il est à la mesure de l'impressionnant capital de sympathie dont dispose le pays de Mohammed VI en Afrique - le reflet, en somme, d'une sorte de déception amoureuse.

Pour la première fois, un sondage, effectué quelques semaines avant les drames de Ceuta et Melilla, évalue la qualité de la relation entre le Maroc et l'Afrique subsaharienne, ainsi que la perception que les Africains ont du royaume - mais aussi, en filigrane, de ses voisins du Maghreb, l'Algérie et la Tunisie. Réalisé par l'Institut français Immar (spécialisé dans les enquêtes d'opinion en Afrique pour le compte d'entreprises internationales et de médias publics), ce sondage s'est intéressé à trois pays phares de la zone francophone - Sénégal, Côte d'Ivoire, Cameroun - et, dans chacun d'entre eux, à ce que l'on appelle les leaders d'opinion : cadres, hommes d'affaires, enseignants et étudiants.

Les résultats sont, pour le Maroc, très largement positifs, comme le démontrent les classements publiés ci-contre. Son image au sud du Sahara, tout au moins chez les francophones (un sondage identique réalisé en pays anglophones aurait vraisemblablement produit des résultats nettement moins favorables), est à la fois prégnante, forte et bonne dans tous les domaines. Même si une majorité des sondés (54 %) estime que le Maroc n'est pas encore un pays démocratique et que seulement la moitié d'entre eux pensent que les droits de l'homme y sont respectés, ces réserves n'entament en rien l'enthousiasme des 73 % qui jugent que le royaume est le pays du Maghreb dont ils se sentent le plus proches. Sans grande surprise, c'est au Sénégal, uni depuis longtemps au Maroc par une multiplicité de liens culturels et religieux, que l'image du Maroc est le plus positive : 98 % d'opinions favorables. « Contre », si l'on peut dire, 95 % en Côte d'Ivoire et 94 % au Cameroun ! Une euphorie promarocaine qui conduit par ailleurs cette population urbaine, éduquée et en principe avertie, objet dudit sondage, à surévaluer et à survaloriser parfois les atouts et l'influence du royaume. Ainsi, 80 % estiment que le Maroc « mène une politique active de coopération » avec les pays du continent, 76,5 % jugent que « c'est un pays qui compte sur la scène internationale » et une majorité pense que les Marocains « vivent mieux » que les autres peuples d'Afrique.

Ce tsunami de sympathie, que l'absence du Maroc de toutes les instances panafricaines depuis plus de vingt ans n'a manifestement pas affecté, laisse loin derrière lui les deux autres pays du Maghreb central, indirectement concernés par ce sondage. Bien que nettement distancée dans le coeur et l'esprit des Subsahariens par le Maroc, la Tunisie n'en conserve pas moins une image globalement positive. Ce qui n'est pas le cas de l'Algérie. Seuls 2,8 % des sondés placent cette dernière en tête des pays maghrébins dont ils se sentent le plus proches et 1,6 % d'entre eux souhaite la voir développer des relations plus étroites avec l'Afrique subsaharienne !

Dans le détail, c'est à Abidjan, en Côte d'Ivoire, que l'image de l'Algérie est le plus mauvaise (64 % d'opinions négatives), devant Douala et Yaoundé (46,5 % globalement) et Dakar (40 %). À l'évidence, l'acquis subsaharien des années 1960 et 1970, dû au prestige de la révolution algérienne et à l'activisme de sa diplomatie, n'est plus désormais qu'un souvenir. La République de Bouteflika ne fait pas rêver, alors que le royaume millénaire continue de nourrir bien des fantasmes. Pour quelles raisons ? Faute de s'y être intéressé, le sondage, hélas ! ne fournit pas de réponses...

L'impressionnant « socle africain » sur lequel s'appuie le Maroc et qui repose à la fois sur l'Histoire et la géographie, les mythes et les réalités du trône, résistera-t-il au mauvais vent d'octobre 2005 ? Il faudrait, certes, un autre sondage, dans quelques mois, pour être fixé, mais il y a fort à parier que l'essentiel n'est pas compromis. Mohammed VI, qui a plus voyagé au sud du Sahara en six ans de règne que son père en trois décennies, n'ignore pas, en effet, qu'une grande politique africaine est indispensable à la fois au rayonnement et au développement du Maroc. À condition, bien sûr, que la leçon d'octobre soit retenue : on ne peut à la fois, avec la meilleure volonté du monde, jouer la transparence face aux médias et leur donner à voir le triste spectacle de fantômes errant en plein désert...

FRANÇOIS SOUDAN
Source : Jeune Afrique

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