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France/ Afrique du Nord: Une colonisation positive ?


Une loi votée en France en février sur « le rôle positif de la présence française outre-mer », a suscité la polémique en Algérie et rouvert le débat sur la colonisation. Au Maroc, pas de réaction

Qui au Maroc a jamais entendu parler de la loi votée par les députés et sénateurs français le 23 février ? On parle aujourd'hui de la " loi sur le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du nord ". Voici en substance ce que dit cette loi : la France exprime sa reconnaissance à tout son personnel qui a participé à la colonisation, dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine. Le texte préconise par ailleurs que les programmes scolaires reconnaissent " le rôle positif " de la présence française, notamment en Afrique du Nord. Pour ceux qui veulent en savoir plus, il suffit de visiter le site www.legifrance.gouv.fr.

Parmi les chercheurs et les responsables marocains interrogés par le Journal Hebdo, une majorité n'en avait pas du tout ou bien vaguement entendu parler.

En Algérie, c'est certain, il en est autrement. Depuis six mois, la polémique fait rage. Abdelaziz Bouteflika a multiplié les interventions à ce sujet. Cette loi « représente une cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme », a-t-il notamment affirmé, qualifiant le colonialisme « d'un des plus grands crimes contre de l'humanité que l'Histoire ait connus ». « Notre pays ne saurait en aucun cas cautionner une prétendue mission civilisatrice du colonialisme (…) parce que pour la société algérienne, la colonisation française a été massivement une entreprise de dé-civilisation ».

Les deux Chambres du Parlement algérien ont condamné la loi le 7 juillet. Le président de l'Assemblée populaire nationale, Amar Saâdani, a alors lu un texte dénonçant cette loi sous un tonnerre d'applaudissements des députés. « Nous la refusons car elle ne changera pas la réalité du colonialisme français qui a commis des horreurs dans notre pays », a déclaré pour sa part le président du Sénat, Abdelkader Bensalah.

A quelques mois de la signature d'un traité d'amitié entre l'Algérie et la France, le débat sur la colonisation est donc rouvert. Début mai, Abdelaziz Bouteflika comparait les fours crématoires des nazis aux fours à chaux utilisés par des colons français pour incinérer des cadavres d'Algériens tués lors de la répression. Dans ce même message, il appelait la France à demander pardon aux Algériens. Quelques jours après, c'était au tour de Mohamed El Korso, le président de la Fondation du 8 mai 1945 de faire une sortie.

Il estimait qu'une demande de pardon de la France pour les « crimes » commis durant la colonisation de l'Algérie, entre 1830 et 1962, était une condition sine qua non pour la conclusion du traité d'amitié entre les deux pays. « Le fait colonial est, de par son idéologie, un fait raciste », a-t-il assuré. Cerise sur le gâteau, fin août : Abdelaziz Bouteflika a alors assuré que « nos amis en France n'ont pas d'autre choix que de reconnaître qu'ils ont torturé, tué, exterminé de 1830 à 1962 (…) qu'ils ont voulu anéantir l'identité algérienne ».

Environ six mois après le vote de la loi qui a déclenché toute la polémique, la France, de son côté, essaie de calmer le jeu. C'est Philippe Douste-Blazy, le ministre des Affaires étrangères qui a pris cette mission en main. Suite à la dernière sortie du président algérien, il s'est contenté de dire que le travail de mémoire sur la colonisation française de l'Algérie (1830-1962) « relève de la compétence des historiens ». Les rédacteurs de la loi du 23 février ne se sont visiblement pas souciés de ce principe. Un mois plus tôt, il prônait la création d'une commission mixte d'historiens français et algériens pour évaluer la loi française.

Et le Maroc dans tout ce débat ? Il est tout simplement absent. On peut invoquer plusieurs raisons. D'abord les deux processus de colonisations sont profondément différents. Les Français sont restés trois fois plus longtemps en Algérie. Au Maroc, il s'agissait d'un protectorat alors qu'on parlait de « l'Algérie française ». Surtout, les victimes ont été beaucoup moins nombreuses au Maroc. La répression de manifestations pro-indépendantistes par les forces françaises à partir du 8 mai 1945 Sétif (dans l'est de l'Algérie) aurait fait 45.000 morts, selon des historiens algériens, entre 15.000 et 20.000, selon des estimations françaises. Rien de tel au Maroc. Autant de raisons qui peuvent expliquer pourquoi la loi du 23 février n'a pas fait autant de bruit des deux côtés de la frontière. Par ailleurs, on peut reprocher à l'Algérie de s'être lancée dans un débat passionné improductif. Les historiens s'accordent à reconnaître que la présence française a été positive à certains niveaux. Par exemple, un grand nombre d'infrastructures a été mis en place pendant le protectorat au Maroc.

Cela n'empêche… Le Maroc est cité dans cette loi ; il est donc étonnant qu'il reste indifférent. De plus, comme le souligne Omar Bendourou, professeur à l'université de droit de Souissi à Rabat, « le peuple marocain et le roi Mohammed V et sa famille ont également souffert des affres du colonialisme ». Le Maroc est en droit de demander des comptes à la France.

Par ailleurs, pourquoi une commission mixte d'historiens serait mise en place avec la seule Algérie ? Impliquer des Marocains serait l'occasion de revenir sur la période de la colonisation, peu traitée en dehors de l'histoire officielle ou des débats passionnés.
Pour le moment, Omar Bendourou est l'un des seuls Marocains à avoir réagi à la loi française du 23 février. Son point de vue ? « On ne peut être que choqué à la lecture de certaines dispositions de la loi française du 23 février 2005 », a-t-il dit au Journal Hebdomadaire. « Je trouve que la réaction de l'Algérie est justifiée dans la mesure où la loi ne reconnaît pas les horreurs du colonialisme c'est-à-dire les actes de torture, de barbarie et d'assassinat perpétrés par l'armée française à l'encontre des peuples colonisés (…) ainsi que le pillage des richesses de ces pays ».

Il est « assez curieux de constater que cette loi (article 4) prévoit l'enseignement du colonialisme français dans les programmes scolaires comme étant un fait historique louable de l'Etat français et de son armée présentée comme une éminente institution au-dessus de tout soupçon ». La loi « donne l'impression que le gouvernement et sa majorité parlementaire ont la nostalgie du passé », estime-t-il. Quant au silence du gouvernement marocain à propos de la loi du 23 février… M. Bendourou pose la question suivante : « Ce mutisme peut-il être expliqué par la nature des relations qui lient les deux gouvernements ? ». La question reste posée.

Source: Le Journal Hebdo

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