Menu

Immigration/le rapport secret du PS : Malek Boutih classé X

Dans un rapport tenu secret par le Parti socialiste, le secrétaire national chargé des questions de société propose une politique de l’immigration dont la rigueur ultra-républicaine et nationaliste ferait pâlir d’envie bien des hérauts de la droite dure.

« C’est vraiment le texte invisible, le document secret du PS. Il y a un vrai malaise. » : un responsable de la rue de Solférino.

« Il faut sortir d’un simple rapport humanitaire et charitable avec l’immigration » ; « le débat sur l’immigration s’est souvent centré sur les enjeux législatifs et les principes des droits de l’homme, il faut désormais aborder ce débat sur la situation réelle de l’immigration en France » ; ou encore : « l’objectif est de mettre fin aux statuts bi-nationaux ». Quel est, à votre avis, le parti politique qui souhaite mettre en place ces politiques en France : L’UMP musclé de Nicolas Sarkozy ? Le résidu de Mouvement pour la France de Charles Pasqua ? Ou le Front National à la veille des prochaines présidentielles de 2007 ? Vous n’y êtes pas du tout puisque ces lignes sont en réalité extraite d’Une nouvelle politique de l’immigration, rapport rédigé par Malek Boutih, ancien président de SOS-Racisme, et secrétaire national chargé des questions de société au Parti socialiste.

Dans ce texte, il défend quelques idées-force autour desquelles articuler le programme des socialistes pour l’immigration, notamment en vue de la prochaine campagne présidentielle. Il propose tout d’abord l’établissement d’une politique de quotas pour gérer l’entrée des étrangers sur le territoire national « permettant de prévoir les besoins et les capacités d’accueil de notre société ». Selon sa procédure, les candidats à l’immigration déposeront leur demande auprès d’une nouvelle administration créée à cet effet, chaque pays aura un nombre déterminé d’entrées et de droits de séjour, et les demandes seront traitées chronologiquement. Au passage, il supprime le regroupement familial automatique. Une fois acceptés, les heureux élus du système de quotas à la Malek Boutih devront encore suivre « une préparation à l’immigration durant un trimestre » : cours de langue, information sur le pays et la région d’accueil, on leur conseillera donc de s’armer de patience face à une bureaucratie alourdie et utilitariste.

Deuxième idée force, pour le coup stupéfiante : la suppression de la bi-nationalité, pourtant une pratique française qui remonte aux années 1920. Proposition justifiée dans le rapport Boutih par la fin de l’intégration comme « concept structurant » de la politique d’immigration, mais que l’on ne peut interpréter en réalité que comme un brutal raidissement de la définition de la citoyenneté française puisqu’elle deviendrait exclusive. Est-ce en assignant les citoyens à une identité juridique purement hexagonale que la République servira mieux ses enfants ?

Enfin, autre réforme : la promulgation d’une nouvelle législation sur le titre de séjour, avec, accrochez-vous bien, une carte rouge valable dix ans et renouvelable automatiquement, une carte bleue valable cinq ans, renouvelable, et une carte blanche de cinq ans non renouvelable pour les étudiants, avec autorisation de travail. Tout est dans le symbole chromatique : après la notoire fête Bleu Blanc Rouge du parti de Jean-Marie Le Pen, Malek Boutih invente la citoyenneté BBR. Dans cette agitation de symboles ultra-républicains, s’ajoute que, pour enfin obtenir leur carte « rouge », les étrangers devront « prêter serment au respect des lois de la République, de la laïcité et de l’égalité homme-femme ». C’est beau comme un discours de George W. Bush.

En fait, pour bien décortiquer ce qui se joue de répressif et de rétrograde dans ce rapport, il faut faire une distinction entre les propositions concrètes et le climat idéologique du texte, plus diffus, mais clairement identifiable à un discours de l’autorité et de la faible remise en cause de la responsabilité de l’Etat dans la faillite d’un projet collectif respectueux des diversités et des égalités. Ainsi, Malek Boutih pense que s’il existe des discriminations en France, elles ne sont pas le fait d’un racisme et d’un conservatisme social de toute une partie de l’élite institutionnelle politique, économique, culturelle, mais des problèmes de l’immigration : « Sans pilote dans l’avion pour organiser et accompagner l’immigration en France, des phénomènes de discrimination se sont enracinés les politiques publiques de réparation se sont révélées inefficaces en partie parce qu’elles ne reviennent pas à la source du blocage ».

Mais ce que redoute le plus Malek Boutih, c’est que « si la bataille morale contre l’extrême droite est indispensable, elle ne permet pourtant pas d’apporter des réponses concrètes aux difficultés qui apparaissent dans notre société ». Et il précise : « A refuser d’aborder l’immigration dans toutes ses réalités, on finit par reculer sur le terrain moral faute d’appui sur le réel ». S’il s’agit d’opposer « le » réel au « moral », c’est donc que le combat pour les droits de l’homme n’appartient, lui, pas à l’ordre du réaliste, du possible. Aveu qui ressemble à un magistral reniement de la part d’un ancien président de Sos-Racisme.

Il y a aussi quelques malhonnêteté juridiques, comme d’écrire, pour mieux insister sur la nécessité aujourd’hui d’orchestrer de spectaculaires changements, que l’Ordonnance de 1945 régissant l’entrée et le séjour des étrangers sur le territoire national est « figée » alors qu’elle a été modifiée à de nombreuses reprises. Plus généralement, la question de la présence en France d’une population de sans papiers précarisée n’est envisagée que comme l’effet dommageable d’un regrettable effet d’inertie (le rapport évoque l’image de l’ « effet tonneau des danaïdes » des régularisations), le rôle des associations d’aide aux demandeurs d’asile et étrangers en situation irrégulière est assimilée à un facteur aggravant de dysfonctionnements administratifs. Et au moment ou le gouvernement Zapatero, peu suspect de laxisme envers les immigrés clandestins, s’apprête à procéder à une régularisation massive de sans papiers (en partie attirés par la politique de quotas pratiquée par l’Espagne), Malek Boutih s’en prend à cette méthode, sans plus d’explication.

Une nouvelle politique de l’immigration marque-t-il un changement de politique du Parti socialiste, un raidissement nationaliste et ultra-républicain ? Impossible de le savoir car depuis sa rédaction, plus personne ne souhaite en parler. « C’est vraiment le texte invisible, le document secret du PS. Il y a un vrai malaise » confie un responsable de la rue de Solférino.

Au point qu’invité à l’Institut du Monde Arabe (IMA) jeudi 28 avril pour participer à un débat sur l’Europe et la politique des quotas, Malek Boutih s’est finalement décommandé à la dernière minute. Pire, lorsque Ahmed Nait-Balk, journaliste à Beur FM et animateur de la soirée, appelle le secrétariat du Parti socialiste pour obtenir une copie du rapport afin de préparer la discussion, il s’entend répondre par le service de presse : << le rapport sera rendu public après le referendum >>, par peur que par leur dureté envers les immigrés, les propositions de Malek Boutih n’aggravent le ressentiment populaire envers le parti socialiste, et donc ne fassent encore progresser le « non » à la constitution européenne. Censure ? Le problème, c’est qu’en nommant l’ancien « pote » au bureau national, en 2003, les socialistes avaient justement cherché à renouer avec les banlieues après le cataclysme électoral du 21 avril. La même année, Malek Boutih s’exhibait à l’université d’été du Medef, et félicitait Nicolas Sarkozy pour redonner « espoir aux jeunes en politique ».

Dommage que le PS ne souhaite pas ouvrir le débat sur le rapport Boutih avant le 29 mai parce que certains aimeraient beaucoup en débattre avec ses dirigeants. A commencer par Mouloud Aounit, responsable du Mrap et présent, lui, à l’IMA : « Le débat sur les quotas relève d’une logique néo-coloniale et égoïste. On va vampiriser les pays qui se sont saignés pour former leurs cadres. Cette façon de faire interdit toute possibilité de développement des pays pauvres, ce qui est pourtant l’élément central dans la lutte contre l’immigration clandestine ».

Au sein du PS également le débat promet d’être vif. Début février, Noria Chaib, Fayçal Douhane, Ali Kismoune, Chafia Mentalecheta, Farid Bounouar et Gaspard-Hubert Lonsi Koko, jeunes responsables issus de toutes les sensibilités politiques du parti -fait rare- signent un Rebond dans Libération dénonçant le recours au « tri sélectif ». Déjà fossoyeur des espoirs politiques de la « Marche des beurs » en noyant sa revendication pour une réelle égalité des droits dans l’illusion de l’anti-racisme mou et auto-victimisant, Malek Boutih ouvre-t-il, après celui des matières premières du sud, l’ère du pillage des matières grises ?

Jade Lindgaard
Source: Les inrockuptibles 4 au 10 mai 2005

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com