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Au Maroc, la princesse aux pieds nus attire sur la presse la colère du Palais

On ne badine pas avec la vie privée de la famille royale au Maroc. Le dernier-né des hebdomadaires arabophones vient de l'apprendre à ses dépens. Il a reçu du ministre de la Maison royale, du protocole et de la chancellerie, Abedelhak El-Mrini, une lettre lourde de menaces.

Dans un numéro publié début avril, Al Jarida Al-Oukhra ("l'autre journal" ) a publié un reportage "non autorisé" dévoilant quelques aspects de la vie privée de l'épouse du roi Mohammed VI, Son Altesse Royale Lalla Salma.

Alimenté par des indiscrétions glanées auprès du nombreux personnel attaché à la monarchie, l'article ­ illustré de photos officielles ­ comportait son lot de révélations. On y apprenait ainsi que le tajine aux carottes est le plat préféré de Lalla Salma, qu'il arrive à la jeune princesse de donner à manger à son fils Hassan, que sa garde-robe est signée par de grands couturiers, qu'elle a interdit à son entourage d'implorer le nom de Dieu à tort et à travers et, scandale suprême, qu'elle aime à se promener pieds nus dans les nombreux palais du royaume.

Gardien des traditions d'une monarchie plus ancienne que celle qui règne en Grande-Bretagne, le ministre de la Maison royale ne pouvait pas ne pas réagir. Moins de vingt-quatre heures après la mise en vente de l'hebdomadaire, son directeur, Ali Anouzla, recevait donc une missive officielle. Le journal "est allé trop loin" en osant aborder "les détails les plus intimes de la vie privée de Son Altesse" , faisait valoir le ministre. "Je vous préviens que les conséquences de votre comportement peuvent être néfastes" , ajoutait-il, avant de rappeler que son département est le seul habilité à divulguer des informations sur la famille royale.

Le directeur d'Al Jarida Al-Oukhra ne s'en est pas laissé conter, en dépit de cette démarche exceptionnelle. Dans un communiqué, il a répliqué en faisant valoir que le ministre "n'est pas habilité à juger l'action journalistique" et que des tribunaux existent pour trancher s'il y a eu ou non atteinte à la vie privée. "Cette lettre vise à nous intimider. Ils veulent nous faire taire" , affirme au Monde le journaliste, fort du succès de sa couverture : la princesse a permis de doubler les ventes du jeune hebdomadaire. "Nous avons fait un deuxième tirage, raconte M. Anouzla, et nous allions en faire un troisième quand la lettre du ministre est arrivée. Nous avons préféré en rester là par crainte d'une intervention des autorités."

Cette mésaventure illustre la distance qu'entend maintenir la monarchie alaouite avec la presse du royaume. Pourtant très à l'aise avec les journalistes, le roi Hassan II, au cours de son très long règne, n'a jamais accordé d'entretien à un organe de presse marocain. Son fils a adopté la même politique. "Lorsque Mohammed VI voyage à l'étranger, les journalistes qui l'accompagnent sont placés dans un autre avion. Et lorsqu'il se fait photographier en famille, les clichés sont pour Paris Match. Pas pour nous" , note le directeur du journal par qui le scandale est arrivé. Et d'ajouter : "Je suis prêt à recommencer à parler de ce qui se passe derrière les murs du Palais."

Jean-Pierre Tuquoi
Source : Le Monde

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