Menu

Vivre dans un bidonville marocain..., les habitants de Bachkou racontent

Des baraques en tôle ondulée ou en dur, entourées d’un mur d’enceinte qui les soustrait au regard des passants. Juste à côté, des blocs de villas cossues. On est au kariane Bachkou, l’un de ces quatre cents bidonvilles et surtout l’un des plus grands, qu’abrite encore la métropole casablancaise.

Deux mondes totalement antagonistes cohabitent, rappelant que la disparité sociale n’est pas une légende, dans un pays où la richesse ostentatoire côtoie insolemment la pauvreté criante. Implanté dans le quartier résidentiel de l’Oasis, à cinq cents mètres du boulevard Abdelmoumen, à la même distance du boulevard Panoramique, ce bidonville résiste depuis des décennies à toutes les tentatives de recasement initiées par les autorités locales de la ville blanche.

En ce mois de mars, sous un doux soleil printanier matinal, les habitants du bidonville vaquent à leurs occupations. Quelques enfants tapent frénétiquement dans un ballon, des petits cercles d’hommes désœuvrés se sont formés, çà et là, pour «tuer le temps». A la fontaine publique, les femmes sont de corvée d’eau, remplissant leurs seaux et autres jerricanes. D’autres s’affairent à laver du linge ou à faire la vaisselle. Dans une boutique, une femme est assise sur une boîte métallique qui lui sert de siège. Une odeur nauséabonde se dégage du lieu. La boutiquière vend du charbon de bois et les restes de pain rassis qu’elle a ramassés la veille, sur la décharge du bidonville ou dans les bennes à ordures des villas avoisinantes. Fatma, c’est son prénom, vit à Bachkou depuis 1961. Elle avait alors 14 ans et était déjà divorcée. Quand elle apprend que nous sommes là pour un reportage, elle se met à se lamenter sur son sort et à insulter copieusement ces élus qui promettent monts et merveilles mais ne tiennent jamais leurs promesses. Son mari, dur d’oreille, est assis devant la boutique. Sans travail, il se tourne les pouces... comme tous les jours de la semaine.

«Chaque jour apporte son rezk»
Au sein même du bidonville, les marchands ambulants ont installé leurs charrettes. Les habitants leur achètent légumes, fruits, sardines et autres poissons bon marché. Un homme, visage blafard, accroupi le dos au mur, fume tranquillement un joint. Il lève le bras pour se cacher le visage lorsqu’il remarque l’objectif de l’appareil photo. Nous nous approchons d’un marchand ambulant pour demander le prix des petits pois, histoire de lier conversation.

Lorsqu’elle apprend qu’il y a un journaliste, une femme, la cinquantaine, enveloppée dans son haïk, se montre tout à fait disposée à parler. On a vraiment l’impression qu’elle attendait depuis longtemps l’occasion de révéler au «monde extérieur» son histoire de femme recluse dans ce bidonville. Elle s’appelle Mina. Elle est très diserte, généreuse en informations. Comme l’écrasante majorité des habitants de ce bidonville, elle y est née, en 1956, l’année même où ce bidonville s’est créé. Veuve depuis plusieurs années, elle vit avec ses sept enfants, trois garçons et quatre filles, dont deux divorcées avec leurs six enfants. Tout ce petit monde, quatorze personnes en tout, vit sous le même toit, dans une habitation de fortune.

Une baraque, construite en tôle et en bois d’abord, puis en dur depuis 1991, l’année où un gigantesque incendie consuma la moitié du bidonville. Les autorités laissent les gens bâtir, sans intervenir, ne serait-ce que pour faire respecter les normes élémentaires de construction, notamment en matière de fondations. De son vivant, le mari de Mina, maçon de son état, avait construit des murs de briques à la va comme je te pousse, sans le moindre avis d’architecte, sans la moindre fondation. Un provisoire qui dure depuis plus de cinquante ans.

C’est en 1956 que les premières baraques ont essaimé sur ce terrain. Partagé par une piste en deux ilôts, l’un baptisé Derb El Garaâ, l’autre Derb El Fassi, le bidonville héberge 1 850 familles, chiffre donné par le recensement de 2007, effectué à l’occasion d’un plan de recasement dans des logements à Sidi Maârouf. D’où viennent ces deux noms ? On ne sait pas très bien, mais les habitants disent qu’ils sont peut-être liés aux propriétaires du terrain occupé. Ce que l’on sait avec certitude, c’est que le nom de Basco, transformé en Bachkou en darija, est celui d’un juif marocain, l’un des quarante propriétaires du terrain recensés par la Conservation foncière, titres de propriété à l’appui.

Mina, la grand-mère, et ses deux filles divorcées se débrouillent comme elles peuvent pour nourrir la famille. Comment ? Le regard de la quinquagénaire se voile de tristesse. «Chaque jour apporte son rezk, dit-elle. Quand mon mari était encore en vie, il travaillait comme maçon et nous nous débrouillions tant bien que mal. Depuis qu’il est décédé, je perçois une rente de 1 000 DH. Mais toutes les portes ne sont pas fermées et, pour avoir droit à un appartement digne de ce nom, j’ai dû signer un papier, mais j’attends encore». Elle me montre le «papier», un exemplaire délivré à tous les habitants du bidonville par le caïd du quartier, sorte d’engagement écrit et légalisé qui oblige le signataire à quitter le bidonville en contrepartie soit d’un recasement ailleurs, soit d’une indemnité de 100 000 DH.
Mina accepte de nous faire visiter sa cabane, et nous laisse même prendre des photos. La cabane est très exiguë, et on se demande comment 14 personnes peuvent y tenir. Finie la bougie ou la lampe au gaz pour éclairer. Depuis 2007, la cabane est pourvue, comme tout le bidonville, d’électricité. La Lydec y a installé un compteur général et la facture est partagée à la fin du mois entre tous les habitants du bidonville. Mais pas d’eau courante encore, ni assainissement ni la moindre infrastructure sociale, et des détritus partout.

Ahmed, le vendeur ambulant de légumes, n’est pas mieux loti que Mina. Il est né, lui aussi, dans une de ces baraques. Il est le benjamin de 5 frères et sœurs. Aujourd’hui marié, il a, lui aussi, trois enfants, et toute la famille, parents de Ahmed compris, partage une bâtisse de deux niveau et d’une quarantaine de mètres carrés. Après plusieurs années de travail dans une usine de chaussures, Ahmed finit par devenir, en 1995, marchand de légumes à Bachkou. Son histoire ressemble à celle de ces milliers de Casablancais, et de Marocains en général, qui ont eu la malchance de naître dans un bidonville.
Rappelons que Casablanca connaît la plus forte concentration de bidonvilles du pays (elle en abrite 36%), conséquence d’une industrialisation effrénée et d’un exode rural massif. On dénombre quelque 400 bidonvilles disséminés dans la métropole, abritant 12% de la population de la ville. Quand on demande aux habitants de Bachkou comment ils peuvent vivre dans des conditions aussi déplorables, ils répondent: «Comme vous voyez»... Comme tous les Marocains aux ressources limitées, ils achètent tout à crédit et règlent à la fin du mois.

Pour ce qui est du recasement, l’absence de message institutionnel laisse la place à la rumeur
70% des habitants de Bachkou qui travaillent ont été engagés dans les communes, ou à l’Office des aéroports. Ahmed Kadiri, élu communal du parti de l’Istiqlal, a fait de Bachkou un fief électoral. Il avait, lors de sa campagne pour les municipales de 2003, promis du travail aux habitants. Il a tenu en partie sa promesse, de l’aveu même des habitants. Il n’est pas le seul à faire des promesses. Il y a aussi le m’qaddem, qui, de temps en temps, vient annoncer un probable plan de recasement, nouvelle que les habitants prennent chaque fois pour argent comptant.

Comme l’explique très bien Abdelmajid Arrif, chercheur qui a fait une enquête sur un bidonville casablancais, les bidonvillois «dépendent fortement du politique pour sortir du bidonville. Même si leur espoir a été frustré, leur attente n’en est pas moins forte. Face à l’absence angoissante de “message institutionnel”, la parole des habitants comble ce vide. Elle est faite de rumeurs, de messages contradictoires, dont la référence est obscure ou s’appuie sur un mot, une confidence, le décryptage émanant d’un enquêteur, la parole d’un m’qaddem».

Aujourd’hui, la question qui préoccupe tous les habitants de Bachkou : «A quand le recasement ?» La vie est si indigne pour eux qu’il leur faut trouver une solution, quitte à suivre les recommandations du wali, Mohamed Kabbaj, allant dans le sens d’une reconstruction en dur de leurs baraques pour ceux qui le souhaitent et qui en ont les moyens. Ce que la moitié des habitants ont entrepris, plutôt que de quitter ce quartier situé en pleine ville, proche des écoles, un quartier chic relevant de la riche commune du Maârif, pour aller s’installer au quartier Arrahma, à 20 kilomètres de Bachkou. Les autorités y ont en effet promis aux habitants du bidonville des terrains de 70 m2, en contrepartie de la modique somme de 15 000 DH. Beaucoup refusent de signer l’engagement de quitter le bidonville à cause de l’éloignement du quartier Arrahma. Ils ne veulent pas non plus aller habiter à Sidi Maârouf, où 272 appartements ont été construits par l’ex-Erac, car ils les trouvent trop petits par rapport à ce qui leur avait été promis au départ. Si beaucoup ont préféré la solution de la reconstruction sur place, en dur, il se pose le problème de la durée : jusqu’à quand ? Le terrain a été racheté par les Domaines, après le jugement d’expropriation et l’indemnisation des propriétaires initiaux (qui, d’ailleurs, attendent toujours leur argent). Mais la société Al Omrane a racheté ce terrain, qui s’étend sur deux hectares environ. «La reconstruction n’est pas la bonne solution car elle induit en erreur une population qui croit posséder le terrain qu’elle occupe depuis 1956, mais qu’elle devra en réalité quitter un jour ou l’autre», estime Ahmed Kadiri, président de la commune du Maârif dont dépend kariane Bachkou. En attendant, on passe ses journées comme on peut, en attendant de s’entasser le soir, pour regarder la télé à 14 dans un 40 m2.

Jaouad Mdidech
Source: La Vie Eco

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com