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L’Espagne fait migrer sa main-d’œuvre de l’étranger

Depuis 2005, l’Etat recense les besoins par secteur et recrute «à la source» pour des contrats à l’année.

C’est un virage spectaculaire. En l’espace de deux ans, l’Espagne (dont 8,7 % des habitants sont étrangers) a tout changé quant à la manière d’introduire les immigrants sur son marché du travail. Fini l’époque où, entre février et juin 2005, le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero légalisait 600 000 immigrants en situation irrégulière et se trouvant sur le sol espagnol depuis au moins un an. Cette régularisation massive avait suscité de vives protes­tations en Europe, en parti­culier de la part de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, qui fustigeait «un pernicieux appel d’air de clandestins».

Bouchers. Aujourd’hui, les socialistes ont changé leur fusil d’épaule : la priorité est donnée au contrato en origen («contrat à la source»), autrement dit le recrutement de main-d’œuvre à l’étranger. Il y a deux ans, cette formule fonctionnait à peine ; l’an dernier, environ 180 000 étrangers ont migré en Espagne avec un contrat de travail obtenu à Varsovie, Bucarest, Sofia, Quito ou Casablanca. Ces immigrants «à la carte» viennent occuper les emplois peu ou pas «couverts» dans la Péninsule : maçons, coffreurs, vitriers, garçons de café, bouchers, conducteurs de grues, personnel de magasin. Le cas des camionneurs, une profession de plus en plus honnie par les Espagnols à cause des dures conditions de travail, est parlant. Grâce au nouveau système, ce secteur ne manque plus de main-d’œuvre. Dans la seule région de Murcie, dans le sud-est, 3 000 chauffeurs polonais, bul­gares et équatoriens ont été embauchés en début d’année.

Catalogue. Canalisé par le ministère du Travail, le système fonctionne au travers des communautés autonomes (les régions) et des organisations d’entrepreneurs. Une fois que les besoins par secteur sont ­connus, les ambassades espagnoles sont chargées de répandre l’information. Un contingent de travailleurs étrangers est ensuite fixé en fonction des besoins des patrons espagnols. Généralement, les contrats sont annuels - l’immigrant doit retourner dans son pays à son terme - mais peuvent être renouvelés. L’administration croule sous les de­mandes. En 2005, le contingent national avait été fixé à 16 878 emplois stables. Dix fois supérieur en 2006, le chiffre pourrait atteindre les 300 000 emplois cette année. La raison du succès ? Les entre­preneurs, qui y trouvent leur compte, n’ont plus ­besoin de prouver auprès de l’Inem (l’ANPE espagnole) qu’ils n’ont pu trouver des recrues espagnoles. Pour faciliter la tâche de tous, le ministère du Travail publie chaque trimestre un catalogue des secteurs «déficitaires» en main-d’œuvre. Ainsi, des entre­prises comme VIPS, Adecco, el Corte Inglés ­recrutent majoritairement leurs employés en Europe de l’Est ou en Amérique latine.

Récoltes. Dans de nombreux cas, les entrepreneurs se déplacent eux-mêmes. Les di­rigeants de Coag, le principal syndicat agricole, ­voyagent ainsi régulièrement en Roumanie, Bul­garie, Equateur, Colombie ou au Maroc en quête d’une main-d’œuvre «adaptée aux besoins». En 2006, pour des périodes entre trois et neuf mois, 12 000 ressortissants de ces pays ont participé aux récoltes de fruits et légumes en Catalogne, à Murcie ou Huelva. Dans un pays où la croissance demeure soutenue (environ 3,5 %) et où 76 % des nouveaux emplois (au premier trimestre) sont couverts par des immigrants, la plupart des spécialistes au­gurent un bel avenir à ces contrats. D’autant que, d’après la banque Caixa Catalunya, l’Espagne a besoin de 4 millions de travailleurs immigrants d’ici 2020.

François Musseau
Source: Libération (France)

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