Bidonville Escuela, douar Skouila, ou encore karyane Skouila, est une « mini-campagne ». Dans ses champs pollués, la violence est cultivée au quotidien. Les deux « kamikazes » de Sidi Moumen sont parmi ses fruits... Amers.
« Ici on n’habite pas, on se cache. Et, on ne vit pas, on survit », grogne Hamid, 25 ans. Ce chômeur de longue date qui a vécu toute sa vie à « Karyane Skouila », sait le décrire. « Skouila veut dire école, mais notre bidonville est une école de toutes les merdes du monde », explique-t-il, révolté. Et d’ajouter, les yeux baissés : « Nous vivons dans une grande poubelle ».
Une poubelle ? C’est peu dire.
Des monticules d’ordures accueillent de tous les côtés les visiteurs du bidonville. Des ruisselets d’eau noirâtre leur montrent le chemin au milieu des ruelles étroites séparant les blocs de baraques. Une odeur d’égouts et les plus grosses mouches de Casablanca leur tiennent compagnie jusqu’à la sortie. Mais, il n’y a pas que cela.
Au bidonville Skouila, les amis s’appellent par des sobriquets méprisants. Les bagarres entre jeunes désoeuvrés sont courantes. Les « joints » sont roulés devant les passants. La violence est ici une façon d’être. Le poste de police le plus proche a été fraîchement construit face au quartier Al Azhar. Il tourne le dos au bidonville.
Dans certains endroits du « karyane », il y a plus d’ânes, de vaches et de moutons que d’hommes et de femmes. Ces animaux rappellent que la plupart des habitants proviennent du monde rural. C’est pour cela que ce bidonville est aussi appelé douar Skouila.
En fuyant la sécheresse, les « bidonvillois » ont importé leur bout de campagne à la périphérie de Casablanca. Les premiers sont arrivés dans les années 60. D’autres les ont suivis. Depuis, l’exode n’a jamais cessé, autant que l’extension des bidonvilles.
Au milieu des animaux, des bruits de toutes sortes, des ordures et de leurs odeurs, les baraques s’étendent à perte de vue à douar Skouila, le plus grand des 370 bidonvilles de Casablanca. Ces masures sont plus de 7.000. Elles abritent plus de 30.000 personnes. Dans chaque taudis vivent au moins quatre personnes, si ce n’est plus.
Partout, des enfants courent, se bagarrent, s’insultent, fouillent dans les dépotoirs, jouent au foot ou passent leur temps à suivre les passants du regard.
Les plus sages vont à l’école. D’autres se bousculent avec des adultes à la fontaine du coin pour ramener quelques bidons d’eau à la baraque parentale.
« C’est la bataille pour l’eau qui forme la personnalité ici », affirme Hamid. Lui aussi, ainsi que ses trois frères cadets et sa sœur aînée connaissent la bousculade de la fontaine. Ils laissent rarement leurs parents se charger de cette corvée quotidienne.
Vue de l’extérieur, la baraque où vit Hamid est couverte de plaques de zinc rouillées. Elle semble vibrer sous le souffle du vent. Comme toutes les autres, elle donne l’impression de n’être là que provisoirement.
À l’intérieur, sur moins de 60 m2, trois chambres carrées se succèdent, minuscules. « Des cellules », rectifie Hamid. Il exagère à peine. Peu de lumière filtre de deux fentes faisant office de fenêtres. La porte des toilettes donne sur ce qui semble être une cuisine de fortune. Le faux-plafond en contreplaqué, peu élevé, est recouvert de plaques de zinc. Au dessus, de grosses pierres pèsent de tout leur poids pour fixer le toit et une antenne parabolique. Les voisins ne sont pas mieux lotis. Ils ont presque la même baraque, avec la cuisine et les toilettes en moins.
« Nous ne nous sentons jamais seuls », se console Hamid en se moquant de la discussion qui s’anime chez les voisins. Ces derniers parlent de ce jeune de douar Skouila qui s’est fait exploser à Sidi Moumen. Les uns le maudissent, les autres tentent d’analyser son acte. Ils en arrivent enfin à polémiquer à propos de la rumeur qui traverse les murs chétifs des baraques : « Après l’explosion de Sidi Moumen, les habitants de karyane Skouila vont enfin déménager dans de vraies maisons. »
Pour Hamid, il ne s’agit là que d’un mensonge de plus, de trop. Les faits, jusque-là, lui donnent raison. La même rumeur avait déjà circulé après les attentats du 16 mai 2003. Depuis, rien n’a changé à Douar Skouila.
- Les masures sont plus de 7.000 : Chiffre basé sur le nombre de compteurs d’embranchement de l’électricité que chaque habitant a dû acquérir suite à la campagne menée par la Lydec pour empêcher les habitants des bidonvilles de voler de l’électricité en se branchant sur les câbles électriques destinés aux quartiers voisins.
- Il y a plus de 30.000 habitants dans le bidonville Skouila : Chiffre donné par les autorités locales qui ont recensé les habitants dans le cadre du projet du recasement et de la restructuration des bidonvilles.
- Karyane Skouila : « karyane » est une déformation du mot français carrières. Dans les années 30, les premiers bidonvilles ont été construits à proximité des carrières de pierres à Casablanca. Skouila est la déformation du mot espagnol escuela qui veut dire école. Sur le plan administratif Karyane Skouila relève du cercle d’Ahl Loghlam voisin du cercle de Sidi Moumen.
Quelques habitants de douar Skouila déménagent
Il a fallu attendre les derniers événements survenus à Sidi Moumen pour que quelques baraques du douar Skouila soient démolies. Cette opération obéit surtout à la logique de l’effet d’annonce.
Après l’attentat de Sidi Moumen dont l’auteur et son acolyte sauvé sont de douar Skouila, les autorités locales bougent enfin dans ce bidonville. Ils ont précipité le déménagement d’une dizaine de propriétaires de baraques. Ces derniers sont parmi une centaine qui ont accepté de quitter les lieux. Un grand boulevard doit remplacer leurs masures. En contrepartie, des lots de terrain sont mis à leur disposition près du quartier d’Anassi.
« Chaque deux propriétaires vont se partager 84m2 destinés à la construction d’un rez-de-chaussée habitable en plus de trois étages », explique un élu local. Le titre foncier leur sera remis prochainement, leur a-t-on promis.
En attendant de voir leur logement sortir de terre, les bénéficiaires doivent recevoir pendant trois mois 3000 DH d’aide à la location d’un logement provisoire. La plupart se sont arrangés pour louer à moindre prix chez des voisins à douar Skouila.
Tous disent ne pas avoir de moyens pour construire. Ils se mettent à la recherche d’un troisième co-propriétaire qui pourrait se charger de la construction. En échange, ce dernier disposera d’une partie de la maison.
Comme seule alternative, les autorités locales proposent aux bénéficiaires des possibilités de crédit dans le cadre de Fogarim à des conditions préférentielles.
En souhaitant bonne chance à leurs anciens voisins, les riverains les préviennent de la volupté de tous les spéculateurs. Parmi ces conseillers, certains refusent de déménager. L’un d’eux est catégorique : « Je ne bougerai d’ici que lorsqu’on me conduira dans un logement fini qui me satisfera. » D’autres disent ouvertement qu’ils n’ont pas du tout confiance en les autorités.
Aperçu sur le projet destiné à douar Skouila
2.300 familles parmi les 30.000 vivant dans le bidonville Skouila devaient bénéficier d’un projet inauguré il y a plus d’une année par le Souverain. Ce projet concerne l’aménagement et l’équipement de 1.150 lots de terrain, dont 150 de type R+3, et la restructuration de 3.400 baraques.
Le coût global de l’opération est de 335 millions de DH, ventilé entre le ministère de tutelle (100 millions DH), la contribution des bénéficiaires (200 millions DH) et les recettes générées par les conventions conclues avec le secteur privé (35 millions DH). Sa réalisation était étalée sur quatre tranches. Elle devait profiter respectivement à 402, 918, 390 et 590 familles.
Le projet s’étend sur une superficie de 60 ha, dont 40 ha sont consacrés au recasement des ménages de douar Skouila, implanté depuis 1930, et le reste aux travaux de restructuration. Jusqu’à présent, le nombre de bénéficiaires ne dépasse pas la dizaine.
Recasement : Que de fausses promesses !
Les autorités auraient gagné la confiance des habitants des bidonvilles si elles avaient tenu les promesses. Voici ce qu’annonçait en novembre 2005 Abderrahman Ifrassen, chargé alors de coordonner le programme de résorption des bidonvilles au niveau de la wilaya de Casablanca :
« D’ici à 2010, les 82.000 ménages actuels des 400 bidonvilles de Casablanca et de Mohammédia, soit 400.000 personnes au total, seront réinstallés dans des logements décents. Ce vaste programme nécessite un investissement de 4 milliards de DH, dont 45 % financés par le ministère de l’Habitat. Le reste sera financé par les collectivités et les bénéficiaires. Dans un premier temps, 17.500 ménages bénéficieront de la première tranche, d’un coût de un milliard de DH, lancée en juillet 2004. Parmi les bidonvilles ciblés figurent les carrières Thomas (4.000 ménages) et Douar Sekouila (6.000 ménages) ».
Le bilan de toutes ces bonnes intentions est aujourd’hui insignifiant. Quelques familles de douar Skouila ont été logées dans des appartements du quartier Anassi. Ils ont été déménagés parce que les autorités avaient besoin d’élargir une allée. Puis, plus rien.
Pourtant le programme établi pour l’éradication des bidonvilles a été prometteur. Il prévoyait dans le cadre de sa deuxième tranche dont le coût a été estimé à 1,6 milliard de DH, la transformation de baraques en logements décents au profit de 34.500 ménages. Cette partie devait être entamée en 2006 pour prendre fin en 2009. Elle a même fait l’objet d’une convention entre le ministère de l’Habitat et la direction des Collectivités locales signée en septembre 2005.
C’est pour veiller à la réalisation de tous ces projets que la société anonyme Idmaj Sakane (société publique) a été créée au début de l’année passée. Aujourd’hui, l’entreprise piétine. Elle ne sait pas par quel bout de bidonvilles commencer.
370 bidonvilles à Casablanca
- Selon les autorités locales, les bidonvilles de Casablanca et de ses banlieues abritent près de 58.000 ménages et quelque 300.000 personnes. Soit près de 9% de la population urbaine de la région. Ces bidonvilles, au nombre de 370 à Casablanca, comptent en tout 53.915 logements, soit 7,7% du parc total des logements urbains de la capitale économique du royaume, précise une étude du département de la prévision économique et du plan à Casablanca.
Mohamed Zainabi
Source: Le Reporter