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Le danger d'Internet pour les jeunes marocains

Avec le boom Internet de plus en plus de mineurs passent leurs journées sur le Web. Peu informés, ils sont des cibles de choix pour les pédophiles et les cybercriminels de la toile. Attention, danger.

Les yeux rivés à l’écran, Aïda et Laïla pouffent de rire. Depuis près d’une demi-heure, elles tchattent avec Kikou61, un ami que Aïda s’est fait sur Internet , il y a un peu plus d’un mois. Autour d’elles, dans ce petit cybercafé du quartier Bourgogne à Casablanca, des ados branchés, comme elles, sur fenêtre de discussion, et des adultes afférés qui ne les remarquent même pas. À 11 et 10 ans, ces deux fillettes sont entrées dans la salle un peu sombre sans même un regard du gérant des lieux. Il faut dire qu’elles commencent à être des habituées. «Quand on s’ennuie après l’école, on vient faire un tour ici», explique Aïda. C’est particulièrement vrai depuis que cette dernière a virtuellement fait la connaissance du fameux Kikou avec qui elle échange des blagues légères. «Il a 13 ans, il est de Rabat et il est très gentil», s’enthousiasme la petite fille.

Comme la majorité des assidus du cyber, Aïda n’a jamais rencontré cet inconnu qu’elle perçoit comme un ami et la confiance est totale. «On rigole beaucoup sur Internet et je suis sûre qu’on s’entendra très bien si on réussit à se voir pour de vrai», soutient-elle avec aplomb. Impossible pourtant de savoir qui elle a véritablement face à elle. Sur les tchats, l’âge que l’on affiche au compteur est celui que l’on veut bien se donner. Et un kikou61 peut aussi bien être un adolescent de 13 ans en mal d’amis qu’un adulte de 50 ans aux intentions beaucoup moins pures.

Faux-semblants
Ce danger-là, Aïda et Laïla ne semblent même pas le réaliser. Comme beaucoup d’enfants et d’adolescents qui se connectent chaque jour sur le Net. «Deux tiers des mineurs qui utilisent Internet y tchattent avec des étrangers. Deux tiers d’entre eux disent aussi avoir déjà reçu des offres de voyages, de cadeaux ou de mariage par des inconnus sur ces tchats. Ils sont malheureusement encore deux tiers à n’avoir jamais entendu parler de la criminalité sur Internet», alerte Saïd Essoulami. Cet anthropologue maroco-britannique a réalisé, il y a six mois une étude sur la cybercriminalité au Maroc, au Centre pour liberté des médias au Moyen Orient et en Afrique du Nord qu’il dirige. Impossible pour lui de ne pas tirer aujourd’hui la sonnette d’alarme. «En l’absence d’une vraie politique de sensibilisation des enfants et d’ONG ou d’institutions vraiment spécialisées sur la question, il n’y a rien qui est fait au Maroc pour informer ces mineurs et les protéger. Les parents de leur côté ne savent pas ce que font leurs enfants sur Internet et ne sont pas forcément conscients des dangers», s’inquiète-t-il.

Pornographie, pédophilie, violence
Le risque est pourtant bien réel. Si Internet peut être un formidable outil d’information et de communication, il reste aussi une immense jungle où tout et n’importe qui se côtoient en toute impunité. Depuis 1998, les crimes liés à la pornographie infantile sur Internet ont augmenté de 1500 % dans le monde. Quelque 470 000 sites pédophiles ont été identifiés en 2005. Plusieurs centaines de milliers d’images pédo-pornographiques circulent quotidiennement sur le Net. Des pratiques parfaitement illégales mais qui sont autant d’agressions pour les enfants qui ne peuvent pas s’en protéger. Un sondage IFOP réalisé en mars 2005 en France, où le sujet a été beaucoup plus étudié, a ainsi montré que 34 % des mineurs ont au moins une fois été confrontés involontairement à un contenu choquant (violent, morbide, de pornographie dure ou pédophile) sur Internet. «Le danger est encore plus grand au Maroc car il n’y a pas d’éducation sur le sujet», alerte Aniko Boehler, anthropologue et pilier de la protection de l’enfance à Marrakech.

Si l’expansion longtemps lente d’Internet sur le territoire a, pendant un temps, limité le problème au Maroc, l’ouverture en masse de cybercafés et la démocratisation du Web le rendent aujourd’hui complètement d’actualité. Selon le ministère des Affaires économiques, quatre millions de Marocains sont entrés dans l’ère virtuelle. Fin 2005, le Maroc comptabilisait 8000 cybercafés et 263 000 abonnements Internet. À ce rythme, le royaume devrait passer le cap du million d’abonnés et des 10 millions d’internautes d’ici fin 2007, selon le ministère. Des internautes dont une large part est mineure et qui va devoir affronter la face noire de la toile. «On trouve en ligne des images d’une violence rare. Viols de bébés, gangs-bangs d’adolescentes, on peut vraiment tomber sur des choses abominables. Un enfant n’est pas du tout armé pour être confronté à des images aussi crues», martèle l’anthropologue.

Internet est un allié de poids pour les amateurs de prostitution infantile. «De nombreux pédophiles viennent faire leur marché sur des sites de rencontre. Des adolescents s’y vendent, parfois photos à l’appui. Ces sites favorisent la prostitution des mineurs. Aucun contrôle, aucun mécanisme de protection n’est pourtant mis en place», s’indigne-t-elle. L’explosion des tchats dans les cybers et dans les foyers est aussi particulièrement inquiétante. «Les mineurs qui parlent avec des inconnus ne sont pas encadrés et font confiance à leurs interlocuteurs. Ils peuvent accepter un rendez-vous facilement. Au risque de tomber dans les griffes d’un pédophile qui se fait passer pour un enfant», avertit Nayat Anwar, la présidente de l’association Touche pas à mon enfant.

Absence de garde-fou
Face à ces dangers, le Maroc est pour l’instant démuni. Pas de programme de sensibilisation dans l’Education nationale, pas de campagne de communication dans les médias publics, le sujet est à peine abordé. «Les enfants sont livrés à eux-mêmes. Il y a une grande ignorance face aux nouvelles technologies et les parents sont souvent dépassés», s’alarme Fatima-Zohra Kadiri, directrice pédagogique du groupe scolaire Le carrefour à Casablanca. Cette enseignante essaye en ce moment de sensibiliser les élèves de son école et leurs parents en préparant pour avril des tables rondes sur tous les dangers d’Internet. Et ce n’est pas si facile. «C’est compliqué de trouver des intervenants pour parler de ce sujet. Il n’y a pas d’associations complètement spécialisées sur ce problème. Et puis, du côté des enseignants, nous manquons d’une vraie formationpour connaître les sites appropriés», regrette-t-elle. Des logiciels de protection et des campagnes de sensibilisation comme celle de l’ONG internationale Action innocence existent mais n’ont pas été expérimentés au Maroc. Aucune législation ne s’est encore inquiétée de protéger les mineurs de la cybercriminalité. Le vide est pour l’instant abyssal. L’organisation d’un séminaire à l’Institut royal de la police à Kénitra, du 5 au 8 mars, pourrait un peu changer la donne. Pour la première fois, des policiers marocains y ont été formés en quatre jours aux méthodes d’identification des criminels cybernétiques qui s’attaquent aux mineurs. Sur la liste des formateurs, des organismes de pointe comme Interpol et le Centre international contre l’exploitation et l’enlèvement des enfants. Si l’initiative est applaudie des deux mains par les associations de protection de l’enfance elle n’est pourtant pas suffisante. Elle ne s’est en effet accompagnée d’aucune communication particulière au grand public ni de mise en place d’un vrai plan d’action. Dommage. Sans sensibilisation des mineurs et de leurs parents, la toile restera une terra incognita dangereuse pour les enfants qui s’y aventurent chaque jour. Au risque que derrière Kikou61 se cache bel et bien un prédateur.

Amélie Amilhau
Source: Le Journal Hebdomadaire

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