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Casablanca la polluée

Alerte à la pollution dans la capitale économique. Des stations de mesures installées à Sidi Othmane, Aïn Sebaâ et Zerktouni montrent des pics inquiétants de pollution. Le résultat d’années d’immobilisme.
Peut-on encore se balader dans Casablanca sans crainte pour sa santé ?

Déposer son enfant à l’école le matin, près de Zerktouni, en plein mois de mars ou de juin, équivaut en tout cas à s’offrir une bonne bouffée de particules en suspension issues de la combustion incomplète de carburant et à l’origine de troubles respiratoires. Se rendre ensuite au travail à Aïn Sbaâ est tout sauf une promenade de santé pour les poumons. Des polluants dangereux comme l’oxyde d’azote, l’ozone et le dioxyde de soufre y forment dans l’air, de jour mais aussi parfois de nuit, un cocktail nocif et impossible à éviter. Et mauvaise nouvelle pour ceux qui espèreraient trouver un peu d’air pur de retour à la maison le soir à Sidi Othmane. Dioxyde de soufre, dioxyde d’azote et particules en suspension y sont encore au rendez-vous en quantité importante.

C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude sur la qualité de l’air à Casablanca pour 2005 que la Direction de la météorologie nationale (DMN) vient de publier. Pour la première fois, des mesures fiables viennent confirmer de façon scientifique ce que bon nombre de médecins et spécialistes pressentaient : la pollution atmosphérique dans la capitale économique du Maroc est inquiétante. «On n’est pas encore dans une configuration d’asphyxie comme à Mexico ou à Athènes mais l’on constate des pics de pollution importants un peu partout», s’inquiète Saïd Mouline, le responsable du programme Qualit’air à la Fondation Mohammed VI pour l’environnement.

Depuis 2003, des stations de mesures ont commencé à être installées à Casablanca pour essayer de cerner l’ampleur de la pollution. Des capteurs ont ainsi d’abord été posés dans le secteur industriel d’Aïn Sbaâ, au niveau du club ONCF, et devant l’hôpital d’enfants de Casablanca, à deux mètres de la grosse avenue Zerktouni où les embouteillages sont quasi-permanents. En juillet 2005, un troisième site a été ouvert à Sidi Othmane. Depuis, deux nouvelles stations à la wilaya et au lycée Al Jahid de Derb Sultan ont été inaugurées, mais aucune mesure n’y est encore disponible. Tous ces sites ont été choisis pour les mêmes raisons : des premières mesures réalisées avec une station ambulante ont montré qu’ils étaient les plus concernés par la pollution de l’air.

Alerte rouge
Et au vu des premiers résultats, la sonnette d’alarme peut déjà être tirée pour ces zones-là. Dans la région de Zerktouni, le niveau de particules en suspension dans l’air, présenté par la Direction de la météo comme «un polluant dangereux», a dépassé 323 fois en 2005 la norme marocaine de 400 micro-grammes/m3, avec des pics à midi et le soir. À Sidi Othmane, les premiers résultats du troisième trimestre de 2005 montrent des niveaux élevés d’ozone, un gaz qui «peut causer des troubles respiratoires, des irritations oculaires ainsi qu’une altération pulmonaire», selon la DMN. Le taux d’oxydes de souffre, «un gaz irritant qui peut provoquer de graves troubles respiratoires» y est aussi celui qui «a connu la moyenne mensuelle la plus élevée (de toutes les stations de Casablanca, ndlr) durant le mois de septembre». Du côté de Aïn Sbaâ, tous les indicateurs sont, quant à eux, dans le rouge. Les capteurs y ont enregistré 397 dépassements du seuil d’alerte (240 microgrammes/m3) et 760 du seuil OMS d’information de la population (180 microgrammes/m3) pour l’ozone en 2005. Les particules en suspension ont connu des pics supérieurs aux normes de sécurité à 128 reprises. Le niveau de dioxyde de soufre a, quant à lui, «provoqué très souvent des inquiétudes et demeure le polluant le plus important dans cette région», d’après la DMN, avec 484 dépassements de la norme française horaire (300 microgramme/m3) au compteur.

Si ces trois sites sont les plus représentatifs de l’air pollué à la sauce casablancaise, toute la ville subit à des degrés divers la pollution. «Casablanca est une grande citée urbaine qui concentre 40 % des unités industrielles du pays, explique Youssef Bel Abbas, le chef de la division environnement de la wilaya de la métropole. La pollution atmosphérique causée par cette industrie touche plus particulièrement des sites comme Aïn Sbaâ, Bernoussi ou Mohammédia. Mais Casablanca subit aussi les émissions des centaines de milliers de voitures de la ville et de celles qui y transitent. Le parc automobile est important, vétuste et mal entretenu, avec une très grande majorité de véhicules qui ont plus de dix ans. La quasi-totalité des automobilistes en diesel utilise un carburant de très mauvaise qualité avec une très haute teneur en souffre de 10 000 ppm (particules par m3). Leurs émissions sont évidemment polluantes. La ville souffre enfin de la chaleur qui accroît les pics de pollution».

Beaucoup de retard
Un seul élément vient “sauver” Casablanca et lui éviter d’être un fumoir irrespirable : sa situation géographique. En bord de mer, la ville profite de vents favorables qui lui permettent d’évacuer une partie de sa pollution atmosphérique. Pas une raison pour autant de s’endormir sur ses lauriers. «Il y a beaucoup de retard qui a été pris. Pendant des années, on a laissé pourrir la situation environnementale, notamment en laissant exercer des industries sans études d’impact sur l’environnement. Que Casa soit dans une position géographique positive ne doit pas faire qu’on laisse pourrir la situation», martèle Mourad Skalli, consultant environnemental et directeur de l’Agence marocaine pour l’Industrie et l’Environnement. Et force est de constater que la plus grosse ville marocaine est à la traîne en matière de pollution atmosphérique. Contrairement à la majorité des grandes métropoles de la planète, elle n’est toujours pas dotée d’un système d’alerte et de gestion efficace des pics de pollution de l’air. Présentée par la Direction de la météorologie nationale et le ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Eau et de l’Environnement comme un grand pas en avant dans la protection de la qualité de l’air, la création de cinq stations sur Casablanca est encore insuffisante pour prendre la pleine mesure de la pollution sur toute la ville et permettre d’informer les populations sensibles en cas de dégradation de l’air. Dix à quinze stations supplémentaires seraient nécessaires pour avoir un indice de qualité de l’air vraiment probant pour la métropole. Si leur création est annoncée sur le long terme, la Direction de la météorologie nationale refuse de donner une véritable échéance. «C’est en bonne voie. La Fondation Mohammed VI s’est engagée sur ce projet. D’ici quelques années, nous aurons plus de stations», se contente d’avancer prudemment Abdelaziz Ouldbba, chef du service de la météorologie sectorielle. Ce responsable du dossier pollution à la DMN annonce par contre, avec beaucoup d’optimisme, le lancement dès l’an prochain d’un dispositif d’alerte : «Nous sommes en train d’installer un logiciel de simulation qui nous permettra d’ici mi-2007 de pouvoir faire des prévisions de pics de pollution. On pourra ensuite regarder à la télévision quelle sera la qualité de l’air du lendemain comme on regarde la météo». Pas sûr que cette nouveauté, si elle était vraiment mise en place l’an prochain, ferait pour autant améliorer la situation. En présence de seulement cinq stations, un tel système d’alerte serait aussi incomplet que les informations données par le maigre réseau de surveillance de Casablanca. Et s’il permettait de protéger quelque peu les populations les plus vulnérables, comme les enfants, les malades et les personnes âgées, il ne règlerait finalement pas le problème de fond : celui de la pollution de l’air.

Pour de nombreux observateurs environnementaux, seule une véritable politique urbaine et environnementale peut permettre de limiter les dégâts pour l’air de Casablanca et les poumons de ses habitants.

Un choix politique
Mesures simples à prendre et lois à enfin faire appliquer : un arsenal accessible pourrait être mis en place pour faire reculer la pollution atmosphérique. Première action coup de poing : généraliser l’horaire continu au travail. «Au lieu de faire quatre trajets par jour entre leur travail et leur maison, les gens n’en feraient plus que deux. Cela permettrait de faire baisser les émissions gazeuses de 30 %. Cela peut paraître tout bête mais c’est la mesure qui aurait le plus d’impact», préconise Saïd Mouline.

Sensibiliser les gens pour qu’ils adoptent une conduite plus souple et faire appliquer la loi pour qu’ils entretiennent mieux leurs voitures permettrait aussi de faire diminuer aussi la pollution. «Il faut montrer aux gens qu’ils ont un véritable intérêt économique à rouler en douceur et que, quand leur véhicule est mal réglé, ils consomment plus de carburant», explique le responsable du programme Qualit’air alors qu’une campagne de communication, avec affichage géant et distribution de prospectus d’information, vient d’être organisée par la Fondation Mohammed VI sur ce thème.

Côté législatif, des dispositions existent aussi pour forcer les gens à moins polluer. Un décret sur les gaz d’échappement a été adopté en janvier 98 fixant des seuils que les émissions de polluants de voitures ne doivent pas dépasser. Des policiers et des gendarmes ont été formés et équipés d’une vingtaine d’appareils sur l’axe Kénitra-El Jadida. Mais le niveau des amendes en cas d’infraction n’a toujours pas été fixé et la mesure reste inappliquée. Même problème du côté des centres de contrôle technique qui doivent aussi désormais contrôler les niveaux d’émissions. L’heure est encore à l’indulgence et une voiture polluante réussit en général assez bien à passer entre les mailles du filet. «Ces mesures ne sont pas appliquées car elles seraient impopulaires. C’est un problème politique. Mais la pollution peut avoir un tel impact sur la santé des gens qu’on ne peut pas faire l’impasse sur ce genre de problème», estime Saïd Mouline. Une mesure lancée début 2006 pourrait un peu améliorer la situation côté parc automobile à moyenne échéance. Quelque 7,4 milliards de dirhams viennent d’être investis à la SAMIR (Société anonyme marocaine de l’industrie du raffinage) pour moderniser les installations et produire un diesel moins polluant à 350ppm. L’objectif à terme étant de commercialiser du diesel 50ppm comme c’est le cas aux pompes européennes. En attendant, une autre disposition-phare est à mettre en place au plus vite : une véritable politique de transport urbain en deux volets. Première étape, réduire les bouchons. «En adoptant une gestion adaptée des feux, des sens des rues, on fluidifierait le trafic. Cela ferait baisser les émissions», insiste Mourad Skalli.
Deuxième étape, développer fortement les transports en commun. «Un bus, même en mauvais état, qui transporte 50 personnes pollue toujours moins que 25 voitures. D’où l’importance d’encourager ce mode de déplacement. Mais pour cela il faut mettre en place un réseau vraiment cohérent sur Casablanca. On ne peut pas demander aux gens de ne pas utiliser leur voiture si on ne leur propose pas de situation alternative», poursuit Saïd Mouline. Côté industrie, des efforts sont aussi à faire impérativement. Des dispositions existent pour empêcher les entreprises de maltraiter l’atmosphère et les forcer à dépolluer leurs installations quand le mal est fait. Sans volonté politique pour leur donner vie, elles sont au point mort. La loi atmosphérique de 2003, qui fixe les niveaux d’émissions autorisées des usines, n’est toujours pas en vigueur, faute de décrets d’application.
Le Fonds de dépollution industrielle (Fodep), lancé avec la coopération allemande et qui propose des aides jusqu’à 40 % de l’investissement en dépollution, a été utilisé moins de quarante fois en une dizaine d’années. «En l’absence de contraintes de l’Etat, la majorité des entreprises font l’impasse sur ce genre de mesures un peu coûteuses. Il n’y a pourtant aucune raison pour que la population subisse la pollution d’une entreprise qui gagne de l’argent avec son industrie», déplore Mourad Skalli. Un dernier petit geste pourrait enfin être fait en direction des espaces verts. Ce sont les grands absents de la tentaculaire Casablanca.

Devant l’explosion du foncier, de nombreux promoteurs ont choisi de faire l’impasse sur ces investissements environnementaux peu rentables d’un point de vue économique. Partout dans la ville, des immeubles se dressent ainsi, là où le plan d’urbanisme prévoyait la présence d’arbres et de verdure. Ces derniers pourraient pourtant jouer le rôle de véritables poumons pour la mégapole. «Ils absorbent le monoxyde de carbone et rejettent de l’oxygène», rappelle Saïd Mouline. Un petit service rendu par la nature dont Casablanca aurait bien besoin.

Amélie Amilhau
Source: Le Journal Hebdomadaire

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