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Bidonvilles: Les réseaux mafieux sévissent toujours

La Banque mondiale qui vient de rendre public un rapport d’analyse de l’impact social sur la pauvreté du programme «Villes sans bidonvilles» a identifié les contraintes à sa réussite. L’institution internationale, qui appuie ce programme, cite l’insuffisance de la coordination institutionnelle, de l’accompagnement social, le peu d’incitation pour une participation active des habitants des bidonvilles, le manque d’engagement à l’égard des banques et des institutions de microcrédits pour qu’elle fournissent les crédits ainsi que les incitations insuffisantes vis-à-vis des promoteurs privés.

L’exécution du programme, dont le but est de fournir un logement décent à 277.000 ménages d’ici 2010, est trop axée sur «une orientation technique». L’amélioration du logement ne doit pas s’accompagner d’une détérioration de l’accès aux services de base et aux activités génératrices d’emploi.

Les bidonvillois sont généralement recasés dans les zones périphériques. Ce qui est souvent à l’origine de pertes économiques telles que le coût ajouté des services, la perte du revenu et les coûts du transport. «Ces éléments contraignent ultérieurement les budgets déjà très serrés des résidents», note la Banque mondiale. Elle recommande au gouvernement de «faire en sorte d’assurer que la réhabilitation des bidonvilles soit intégrée avec d’autres formes d’accompagnement social et économique».

L’accompagnement social n’est pas l’unique obstacle à la réussite du programme «Villes sans bidonvilles». Le pilotage d’ensemble du projet pose également problème. Les services décentralisés sont marginalisés dans la définition et l’orientation des opérations. La distance géographique n’explique pas tout. La perception des priorités et des incitations n’est pas la même selon qu’on est à Rabat ou dans une petite bourgade. Or, il ne suffit pas d’élaborer une politique au niveau central et d’exiger son exécution au niveau régional. Sa réussite est conditionnée par l’adhésion de toute l’équipe aux objectifs fixés et aux priorités. Plusieurs directions régionales du Logement et de l’Urbanisme ont exprimé «leur frustration à propos du manque de considération du centre pour les particularités locales dans le processus de planification des interventions».

Le ministère de l’Intérieur qui, à travers ses walis et gouverneurs, supervise l’exécution du programme est également critiqué. Aux walis et gouverneurs, on reproche le peu d’importance qu’ils accordent à la dimension sociale du programme. «Les habitants des bidonvilles sont ressentis comme pouvant frustrer potentiellement les objectifs d’éradication des bidonvilles et de prévention de leur prolifération», note le rapport. Dans ce programme, les caids et moqadems jouent plus qu’un rôle trouble. «Ils sont souvent en désaccord avec les bidonvillois et sont une source de tension sociale en raison de leurs pratiques souvent corrompues et autoritaires», selon la Banque mondiale. Ce constat n’est pas nouveau. D’ailleurs, certains bidonvillois procèdent parfois à un «agrandissement» de leur baraque avec la bénédiction de ces agents d’autorité. Lors du bilan de mi-parcours, le ministre de l’Habitat a promis une série de mesures dont la surveillance de l’évolution des bidonvilles par satellite et de lourdes sanctions en cas de détection de nouvelles «constructions».

Ce n’est pas la première fois que l’Etat promet de s’en prendre à ces lobbys et aux circuits de corruption qui gravitent autour des bidonvilles sans jamais y arriver d’ailleurs. Les conseils municipaux pourraient menacer l’avancée du programme. Ces instances jugées réactives «aux forces financières et politiques» chercheraient à investir les ressources municipales dans d’autres domaines. Des élus auraient tout aussi avantage à bloquer ce programme. Le rapport parle «de politiciens locaux connus pour avoir exploité la présence des bidonvilles en retour de votes et de corruption». Et ce, soit en promettant aux résidents une opération de résorption, soit la tolérance des autorités concernant leur occupation illégale des sites, soit en permettant l’accès à l’infrastructure sur site comme l’approvisionnement en eau et l’électricité.

Si la Banque mondiale revient à la charge sur les pratiques de certains élus, c’est que le phénomène est loin d’avoir disparu et qu’il pourrait contrecarrer l’évolution du programme. Ce phénomène risque de s’amplifier avec l’approche des élections.
Les promoteurs informels qui profitent de la vente de terres rurales en prennent aussi pour leur compte. «Ils pourraient utiliser leur influence politique locale».

Quant aux promoteurs privés, ils doivent accroître leur rôle dans la production de logements sociaux. Malgré les incitations offertes par le gouvernement, ils sont réticents en raison des difficultés financières des bidonvillois.

Les banques ne sont pas non plus «activement» engagée dans l’exécution du programme. A ce niveau aussi, des mesures de corrections ont été annoncées: encouragement des partenariats public-privés, révision à la baisse des conditions d’accès aux crédits logement et l’amélioration des performances du fonds de garantie Fogarim.


15 à 30% dans la misère
La Banque mondiale a également procédé à une enquête qualitative sur les ménages et les attitudes individuelles. Pour cela, elle s’est basée sur un échantillon de six bidonvilles urbains à Agadir, Casablanca et Larache. Cette enquête a révélé la grande hétérogénéité de la population ciblée. «Le revenu des bidonvillois varie d’un niveau de misère pour environ 15 à 30% des résidents, à un niveau à peine suffisant pour un autre tiers, et à un niveau suffisant pour le reste». Ils sont méfiants vis-à-vis du crédit, des banques et des transactions financières formelles. Cette enquête a également révélé que les principaux intéressés étaient «mal informés ou non informés». Ils n’ont pas non plus ressenti de changement par rapport «aux modalités dirigistes antérieures de résorption des bidonvilles». Pour la Banque mondiale «l’accompagnement social et la participation devraient être rapidement intensifiés et devenir partie intégrante des opérations de résorption».

Les différentes formules offertes aux bidonvillois
Le relogement in situ et les parcelles entièrement viabilisées sont les plus appréciés par les bidonvillois. La restructuration in situ est utilisée dans les vieux bidonvilles où les résidents résistent aux déplacements et à la réinstallation. Environ 70.000 ménages sont visés. L’avantage est que les activités économiques préexistantes ne sont pas dérangées et il y a peu d’impact négatif sur la génération de revenus.

Pour sa part, la fourniture de parcelles entièrement viabilisées offre aux bidonvillois la possibilité de construire selon leurs besoins et leur capacité financière. 75.000 ménages environ sont concernés par ce mode de relogement. Mais dans certains bidonvilles, les autorités ont imposé que les logements du bidonville soient d’abord démolis pour que les ménages puissent acheter les parcelles. Or, plusieurs mois peuvent s’écouler avant l’achat.

Les ménages sont ainsi obligés de trouver un logement provisoire avec tout ce que cela suppose comme charge supplémentaire et difficultés d’accès aux activités génératrices de revenus. L’aménagement progressif vise environ 20.000 ménages.

Les bénéficiaires sont généralement critiques de ces opérations, du fait de la distance des nouveaux logements par rapport à leur emplacement original, de l’incertitude quant à l’achèvement des travaux d’infrastructure, et des coûts supplémentaires des services auxquels ils font face, note la Banque mondiale. Ce qui peut encourager la revente des parcelles aux familles disposant d’un revenu plus élevé et en mesure d’investir plus rapidement dans la construction, ou d’attendre que tous les travaux d’infrastructure soient terminés.

Enfin, la mise à disposition d’appartements vise environ 45.000 ménages. La taille limitée des appartements et leur emplacement sont les principaux effets négatifs ainsi que les pertes économiques. Pour les jeunes et les femmes, des opportunités d’emploi plus urbaines et tournées vers les services peuvent devenir disponibles.

Source : L'Economiste

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