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Mohamed VI réorganise l'islam marocain

Le monarque prône une pratique religieuse empreinte de tolérance pour contrer la montée de l'intégrisme.

Un air de fanfare s'échappe d'une caserne militaire. Quadrillée par la police, l'esplanade du palais royal est presque déserte. Le roi la traverse pour se rendre à la mosquée Ahl Fès du Mechouar Assaid. Mohamed VI inaugure, en présence de centaines d'imams, un nouveau programme religieux qui sera diffusé dans les mosquées.

Equipés depuis peu d'écrans géants, quelque 2 000 lieux de culte marocains retransmettent l'enseignement diffusé par Mohamed VI du Saint Coran, la chaîne thématique voulue par le monarque qui est aussi le commandeur des croyants. L'opération vise à remodeler le champ religieux pour imposer un islam modéré et tolérant empreint de soufisme. Il s'agit de réhabiliter le rite malékite en usage depuis des siècles dans le royaume mais mis à mal ces dernières années par la poussée de l'intégrisme.

Ahmed Taoufik, le ministre des Affaires islamiques, un intellectuel au talent de romancier, entend ainsi mettre fin aux dérives des prédicateurs extrémistes. «Les gens ressentent le besoin d'un discours religieux cohérent qui devrait leur fournir la quiétude d'âme, en harmonie avec les choix politiques de leur pays», affirme-t-il.

Dans le même temps, l'académie des imams livre sa première promotion de religieux de la nouvelle génération. Parmi eux une cinquantaine de jeunes femmes, des «morchidates», c'est-à-dire des animatrices dans les mosquées et les associations. Unique dans le monde arabo-musulman, l'expérience suscite des polémiques.

«Chacun doit être à sa place»

Nadia Yacine, la porte-parole du mouvement islamiste radical Justice et Bienfaisance fortement implanté dans les quartiers populaires comme dans les classes moyennes, est convaincue que les «morchidates» n'auront «qu'un impact limité sur la société». Et le cheikh Mohammed Sayyed Tantaoui, chef très écouté du centre islamique d'al-Azhar au Caire, rappelle son opposition à la conduite de la prière par une personne de sexe féminin. «Il n'a jamais été question de confier une telle mission à des femmes», rectifie aujourd'hui un responsable du ministère des Affaires islamiques.

À Bab Chellah, dans la médina de Rabat, au siège de l'école de formation des imams et des prédicateurs, les élèves sont eux aussi convaincus du rôle particulier de la femme. En classe, la mixité est de rigueur mais les filles et les garçons assistent aux leçons dans des travées séparées. «Chacun doit être sa place. L'homme a le droit de mener la prière, pas la femme. C'est la volonté de Dieu», indique Hamida Dad, 30 ans, une jeune femme originaire de Fès, portant le hidjab. «Elles ne peuvent pas diriger la prière car elles ont leurs règles chaque mois. C'est la nature», renchérit Hassan Lomtarji Allaoui, 33 ans, un ancien enseignant.

Dans un an, à la sortie de l'école, Hamida enseignera le Coran dans des causeries religieuses. Elle devra contrer l'influence de Justice et Bienfaisance, l'association du vieux cheikh Yacine qui compte beaucoup de femmes dans ses rangs. En attendant, elle suit des cours pluridisciplinaires où il est question de théologie mais aussi d'informatique et de communication. «Nous préparons la relève pour remplacer peu à peu un personnel mal formé et sans diplôme. Des idées qui n'ont rien à voir avec le véritable islam se sont répandues dans la population ignorante. Il faut réapprendre la tolérance», lance Ahmed Mahfoud, le responsable de la formation du conseil des oulémas.

Hamida et Hassan opinent. Tous deux apprécient les prêches filmés de Amr Khaled, le prédicateur égyptien à la mode, et veulent croire à une harmonie au sein de la oumma, la famille des croyants musulmans. Hamida estime que la religion et la politique sont «compatibles». À condition, ajoute-t-elle, de «se comporter comme il faut». Le ministère des Affaires islamiques défend pourtant le principe de la «neutralité» des cadres religieux. Mais pour se réimposer, le pouvoir a choisi, sans trop le clamer et tout en présentant un habillage moderniste, de composer avec la vague de conservatisme religieux qui se développe dans l'ensemble du Maghreb.

«L'intervention de l'État dans le champ religieux s'effectue à deux niveaux. Les officiels défendent un soufisme marocain à l'écoute de la demande sociale sans exclure une partie des islamistes appartenant au Parti de la justice et du développement (PJD), la principale force d'opposition au Parlement. Ils cherchent également à engager un rapport de forces pour contenir les tribulations du mouvement radical du cheikh Yacine», analyse le politologue Mohamed Tozy.

Encadrer les mosquées

Le Maroc a pris conscience qu'il était débordé par les extrémistes religieux après les attentats du 11 septembre. Les mosquées «sauvages» s'étaient multipliées et des prédicateurs salafistes formés en Arabie saoudite tels Abou Hamza et Abou Qatada prônaient la guerre sainte. Le 16 mai 2003, douze kamikazes se faisaient exploser dans le centre de Casablanca (45 morts).

Les policiers procédaient alors à des milliers d'arrestations d'islamistes présumés et parvenaient à démanteler des cellules combattantes. À la reprise en main sécuritaire s'ajoute désormais la restructuration du domaine religieux. Pour rendre les mosquées inviolables, les autorités ont choisi de mieux les encadrer.

Thierry Oberlé
Source: Le Figaro

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