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Violence à l’école: L’enquête choc de l’Unicef

· «Falaka» et même décharge électrique, des actes barbares qui ont la peau dure
· Pis encore: la violence, «normale» pour la moitié des élèves et des parents
· Pourtant, le Maroc a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant

L’école marocaine a mal. Mal de sa situation, de la dégradation de son niveau, de la démotivation de ses professeurs et de… sa violence. Non pas entre enfants, mais celle perpétrée par les professeurs à leur encontre. Une enquête, réalisée par l’Unicef, pour le compte du ministère de l’Education, révèle des phénomènes troublants dans les établissements scolaires sondés. Troublants d’abord parce qu’au XXIe siècle, l’on croyait ces pratiques dépassées, de plus en plus rares et surtout sévèrement sanctionnées. Troublants aussi parce que le Maroc a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant qui bannit la violence à son égard. Troublants enfin par l’acceptation de cette violence par les élèves. Les résultats de l’enquête bouleversent certaines de nos convictions. «La falaka, la tiyara, les coups administrés avec les règles en fer sont toujours en vigueur», indique le rapport. Certains entretiens ont même révélé l’existence de sévices corporels comme les décharges électriques. «Certains enfants interrogés ont répondu à la surprise des enquêteurs en expliquant qu’il existait un appareil à cet usage dans le bureau du directeur». Les chiffres sont inquiétants: 87% des enfants disent avoir déjà eux-mêmes été frappés, 60% avec des règles, bâtons ou tuyaux. Les enseignants ne le récusent pas. 73% d’entre eux avouent l’avoir fait et heureusement le regrettent pour la plupart. A noter que les filles sont un peu moins violentées que les garçons: 84% contre 90%.

Par ordre d’importance, ce sont les violences physiques qui arrivent en tête des violences signalées par les enfants. La brutalité psychologique vient après, suivie de la notion d’injustice et d’éveil de sentiment de haine. «Le plus impressionnant phénomène constaté est la perception des enfants de cette violence. Pour eux, elle est normale», explique un enquêteur. «Frapper les enfants c’est… indispensable pour les éduquer, disent d’un même cœur parents et enfants qui privilégient le plus cet item: 52% des parents, 50% des enfants», note le rapport. Les parents ne peuvent qu’approuver puisque 61% d’entre eux disent frapper leurs enfants, qui avec les mains ou les pieds (37%), qui avec une ceinture, un bâton, un tuyau (22%). Le document d’une cinquantaine de pages constate aussi que «43,6% des enfants estiment que les frapper est un moyen indispensable pour dominer la classe». La violence à la maison se prolonge donc jusqu’en classe. «La violence physique dans les lieux d’enseignement est culturelle. Dans les mosquées, les imams chargés de l’enseignement coranique pratiquaient la falaka», explique un sociologue. Mais cela ne légitime pas les actes des professeurs. Les enseignants ne perçoivent pas la violence de la même façon. Les violences à l’école, constatées, sont diverses: violences entre élèves, destruction du matériel, punitions physiques ou morales, violences entre enseignants, directeur et parents. Selon les résultats de l’enquête, les enseignants donnent surtout des gifles et des coups, puis agressent verbalement. La violence est une forme de sanction qui paraît «normale» là aussi. Les motifs qui poussent à punir les élèves sont évoqués par les enseignants dans cet ordre: indiscipline, dispute entre élèves, devoirs non faits, classes surchargées, élèves qui écrivent sur les murs et les tables, élèves paresseux et manquant de motivation. Viennent ensuite les vols des affaires scolaires entre élèves, programmes chargés et soupçons de rapports sexuels aux toilettes. «Les causes de ces pratiques trouvent d’abord leur fondement dans l’aspect culturel de cette notion, mais ce n’est pas tout», relève un psychologue. Les mauvaises conditions de travail et matérielles du corps enseignant y sont pour beaucoup. «Les mauvaises conditions entraînent des états dépressifs et donc des laisser-aller à la violence», confie un professeur.

Dans les entretiens réalisés, le harcèlement sexuel a été évoqué. L’école n’échappe pas au phénomène de la pédophilie comme l’attestent les affaires qui éclatent au grand jour. Les enfants en parlent, mais très timidement. Le document de l’Unicef reste d’ailleurs très prudent sur la question: «Le fait en lui-même est indéniable. Cependant sa fréquence doit être considérée avec prudence. La question portant sur le viol a été bien traduite. Mais la traduction en arabe classique a pu être mal comprise par les enfants». Les rédacteurs du rapport ajoutent qu’»il y a peu de chances que les enquêteurs aient osé expliquer aux enfants en classe ce que signifiait le mot en arabe dialectal, ce mot étant totalement tabou». La question portant sur les attouchements a été traduite d’une façon ambiguë, est-il précisé, et «dans une culture où l’on ne fuit pas le contact, la question a pu être mal interprétée». Le système éducatif marocain peut-il continuer à tolérer ces pratiques? En théorie, la réponse ne laisse la place à aucune nuance, mais la pratique est toute autre. Si l’enquête donne des données chiffrées sur la violence dans les écoles, elle ne fait qu’illustrer un phénomène connu au sein de la société marocaine. Maintenant, comment le combattre?

La violence c’est quoi?
L'étude a retenu la définition de l’OMS dans le cadre de son rapport sur la violence et la santé rédigé en 2002: la violence dirigée contre soi-même (auto-infligée), la violence interpersonnelle et la violence collective. Les actes de violence, peuvent être physiques, sexuels et/ou psychologiques, ou impliquer des carences ou un manque de soins.
Le point de vue de cette étude ne peut pas être neutre. Son cadre de référence est la convention des droits de l’enfant, texte ratifié par le Maroc et référence de base de l’action de l’Unicef. Il n’a donc pas été fait de gradations dans la violence. Est considérée comme violence, à partir de cette définition de l’OMS, toute agression physique ou morale, quelle que soit la représentation que l’agresseur et/ou l’agressé ont de cet acte (y compris le fait qu’ils peuvent ne pas le considérer comme une violence). Le choix a été fait au niveau de cette étude de s’intéresser spécifiquement aux violences subies par les enfants et émanant des adultes. Ceci ne nie pas l’existence d’autres formes de violence à l’école subies par les enfants ou par les adultes, et ce seraient là d’autres objets d’étude. Les 100 entretiens réalisés auprès des 1.411 enfants en groupes a révélé que le concept de la violence renvoie pour eux d’abord à la brutalité physique, puis à la brutalité psychologique, enfin à la notion d’injustice et d’éveil de sentiments de haine.

Fiche technique
L'enquête de l’Unicef, réalisée entre juillet et décembre 2004 par l’Ecole supérieure de psychologie de Casablanca, renferme deux volets: qualitatif et quantitatif. A travers la réalisation de l’enquête qualitative, les enquêteurs ont cherché à travers 1.411 élèves, rencontrés dans des colonies de vacances et 57 enseignants, à préciser le concept de violences à l’école, à identifier ses manifestations et ses causes puis à envisager des possibilités de dépassement, sur la base des contenus recueillis. Enfants et enseignants étaient originaires de 87 localités différentes, 28 pour les enseignants (18 villes et 10 zones rurales) et 59 pour les enfants (30 villes et 29 zones rurales).

L’échantillon des enfants est constitué de 587 filles et 824 garçons qui fréquentent un établissement scolaire primaire ou collégial et sont âgés de 8 à 14 ans. Ces enfants proviennent des zones rurales (38%), des zones urbaines (51%), et des zones périurbaines (11%). Les enfants qui bénéficient des colonies de vacances sont plutôt des enfants de classes sociales peu favorisées. Dans le cadre de cette enquête qualitative, 100 réunions ont été tenues, durant la période du 10 juillet au 31 août 2004, dans trois régions estivales du Maroc: région du Grand Casablanca et du Doukkala-Abda (particulièrement El Jadida), région de Tanger-Tétouan (particulièrement Tétouan et Chaouen), région de Fès-Boulemane (particulièrement Ifrane et Azrou).
L’échantillon des enseignants est constitué, lui, de 13 femmes et 44 hommes. La moitié de cet échantillon provient des zones urbaines, 36% sont originaires des zones périurbaines, et 13% proviennent des zones rurales. La collecte des données auprès des enseignants s’est déroulée en sept réunions.

Quant à l’enquête quantitative, elle a été demandée par le groupe de pilotage pour vérifier les données relatives aux pratiques de violences recueillies par l’étude qualitative et fournir aux décideurs les éléments nécessaires à l’élaboration d’une stratégie de réduction du phénomène. Elle a ciblé quatre publics:
- Les élèves: 5.349 élèves dont 2.579 filles et 2.770 garçons des écoles primaires ont été enquêtés dans leurs établissements scolaires. Une classe (27 élèves en moyenne) de chaque école des 194 composant l’échantillon a été enquêtée. Les réponses ont été obtenues par questionnaire rempli par l’enquêté lui-même.
- Les enseignants: De chaque école faisant partie de l’échantillon, dix enseignants, en moyenne, ont été ciblés. 1.827 questionnaires ont ainsi été remplis. Il a été tenu compte de l’état matrimonial de l’enseignant, l’âge, le niveau d’instruction, l’ancienneté dans l’enseignement, le niveau enseigné et la langue d’enseignement.
- Les parents: De chaque école faisant partie de l’échantillon, cinq parents, en moyenne, ont répondu au questionnaire. Ainsi, la collecte a concerné 833 parents (627 pères, 176 mères et 30 tuteurs).
- Les directeurs: Le directeur de chaque école, faisant partie de l’échantillon, a répondu au questionnaire. L’enquête a donc été réalisée auprès de 194 directeurs (181 hommes et 13 femmes).

Amale Daoud
Source : L'Economiste

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