La position du Maroc s’est considérablement dégradée· Les plans de l’Etat ont fait plus de mal que de bien. Passent les discours passent les années, sous les cieux marocains, la perception de la corruption est toujours aussi prenante. Transparency Maroc (TM) souffle sa dixième bougie et revient sur ce fléau banalisé, ces 12 et 13 mai à Rabat, à l’IAV ( Institut agronomique et vétérinaire Hassan II).
L’antenne Maroc (qui revendique son indépendance de Transparency International) ressemble à une sorte de «donjon» des temps modernes. Elle réunit une vingtaine, au plus, d’irréductibles «chevaliers de la transparence». Elle a à son actif aujourd’hui la mise en place d’îlots de transparence dans les entreprises.
TM a été fondée en 1996, mais légalisée en septembre 2004 seulement! Curieusement, la structure mentale du Maroc, il y a dix ans, acceptait et soutenait la création de Transparency (sauf qu’elle n’avait jamais son récépissé de déclaration d’existence). Aujourd’hui, on dirait que l’opinion publique a baissé les bras.
En 1998, TM est mise à l’écart par le gouvernement Youssoufi lorsqu’il annonce un «plan». En réalité, il ne s’agit que d’annonces et de campagne de communication, sans suite et sans contenu, conduites par Ahmed Lahlimi, ministre des Affaires générales. A cette époque déjà, la Banque mondiale a ajouté l’anticorruption à ses conditionnalités… mais elle ne vérifiait pas la réalité des actions. Cette expérience a bien montré est dangereux le fait de dire et ne pas faire, mais aussi ne pas dire et ne pas faire, faire et ne pas dire… La crédibilité disparaît. La leçon reste valable, même si le gouvernement Jettou n’a pas l’air de l’avoir apprise: promesse non tenue, projets qui traînent…
En 2005, l’association est consultée pour le nouveau plan de lutte contre la corruption, élaboré par le département de Boussaïd: pour l’instant, pas plus de résultat que le premier plan. Un projet de décret de création d’une «agence indépendante de lutte contre la corruption» est au SGG (Secrétariat général du gouvernement) «pour le programmer à un Conseil de gouvernement». Sera-t-elle comme celle de Hong Kong, qui a engagé 72 millions de dollars en 1996-97 (cf. L’Economiste du 5 mars 1998)? Car, cancre parmi les cancres dans le classement de Transparency International de la perception de la corruption, la situation du Maroc ne s’arrange pas. A telle enseigne que la Banque mondiale lors de la présentation de son rapport sur la croissance au Maroc (cf. L’Economiste du 17 avril 2006), a prévenu du «risque de se retrouver blacklisté»! La persistance (et non plus seulement de l’ampleur) du phénomène dans le temps use l’image et les usages du Maroc. Elle peut être même fatale. Les investisseurs internationaux consultent attentivement rapports et indicateurs du World Economic Forum (Forum de Davos), Banque mondiale, Fonds monétaire international, Transparency International. A l’intérieur du Royaume, la corruption est citée parmi les premiers freins à l’investissement, selon les nombreuses enquêtes sur le climat des affaires de la Banque mondiale. Pour l’accès à la santé, à la justice, bien des citoyens s’en plaignent.
D’aucuns diront qu«’il faut longtemps pour percevoir ce genre de changements». D’autres souriront: «Quand on n’a pas le courage de ses mots, c’est qu’on n’a pas la volonté de faire».
Corruption et santé: Budgetx3, mortalité infantile: +4 points
Le classement du Maroc a dégringolé de 33 places en six ans (78e en 2005). Sur la même période, le budget de la Santé a triplé et la mortalité infantile augmenté de 4 points. Dans ce secteur, la perception, révélée par les dernières enquêtes de TM, est celle de l’existence de la corruption, ce qui signifie que dans un corps dans l’ensemble sain, il existe certains comportements qui ternissent la réputation dudit corps (cf. L’Economiste du 24 mars et 12 juillet 2005).
Prétextes et blocages
C’est le ministre de la Modernisation des secteurs publics, Mohamed Boussaïd, qui est préposé à l’anticorruption. Ce qui semble vouloir dire que le gouvernement ne veut poser que la question de la corruption administrative. Un plan a été annoncé, mais pas d’exécution. Par ailleurs, TM s’étonne à ce jour, par la voix de son secrétaire général, Azzedine Akesbi, de ce que le Maroc n’ait pas encore ratifié la Convention des Nations unies contre la corruption, signée en décembre 2003. Il faut «attendre que le Conseil des ministres se réunisse». Autant dire que tout est bloqué, tout comme la déclaration du patrimoine des fonctionnaires et élus (qu’il faut réformer, car l’actuel texte ne fonctionne pas), les marchés publics (dont la mouture en vigueur est inapplicable), le code pénal, le code de la presse…
Ah! le récépissé!
L’histoire de la création de Transparency Maroc est un recueil d’anecdotes. Enfin, c’est comme cela que l’ont vécu les membres fondateurs de l’association (qui insistent beaucoup sur leur indépendance de Transparency International). Comme pour toute association, il suffisait de déposer les statuts auprès du tribunal et recevoir en échange un simple récépissé qui donnait vie légale à l’association: au Maroc, la loi est très libérale… Ce qu’ont fait les membres fondateurs de TM. Sauf… Sauf qu’il a fallu attendre près de huit ans (8 ans) ans pour avoir ledit récépissé! Pas de récépissé, pas d’association! Sion Assidon, premier président de la «pas-encore-association», avait sans doute eu le temps de développer son sens de l’humour dans les cachots qu’il a fréquentés en temps qu’opposant politique. Ceux qui s’en souviennent en rigolent encore: chansons, tambourins, caméras de 2M, etc., les délégations de TM se succédaient au tribunal de Casablanca pour déposer, redéposer, reredéposer… les statuts. Ces mises en scène médiatico-ludiques soulignaient le ridicule de la situation. Pour sa part, L’Economiste qui soutenait ces opérations, organisait avec la «pas-encore-association» des séminaires et rencontres, où intervenaient et étaient dûment photographiés et cités des ministres, des patrons de grandes entreprises publiques, des experts de renom international…
Transparency n’avait pas d’existence légale, mais elle était la plus célèbre des associations!
Mouna Kadiri
Source : L'Economiste