Menu

Mahomet, une affaire de conscience

Les uns invoquent Voltaire, la liberté d'expression et la démocratie, les autres, le Coran, l'interdiction de représenter le Prophète et le respect dû à l'islam. La diffusion de douze caricatures de Mahomet par plusieurs titres de presse européens déchaîne haine et passion dans le monde. La provocation le dispute au choc des cultures et des civilisations.

Un journal peut-il tout dire, tout montrer, voire tout ridiculiser ? Depuis que le délit d'opinion n'existe plus en Occident – et c'est heureux –, on serait tenté de répondre par l'affirmative. Même s'il y a loin de la théorie à la pratique. Car ce que la loi autorise, la conscience l'interdit parfois. L'autocensure peut se révéler nécessaire : ainsi, lorsque la vie d'un otage est en jeu, se défend-on de révéler les coulisses des négociations pour sa libération.


La polémique sur Mahomet ne porte pas sur la divulgation d'informations, mais sur l'atteinte faite à une conviction, à une croyance, à ce qui touche à l'intimité profonde des individus. Et, là aussi, plus encore peut-être, c'est affaire de conscience. Le quotidien conservateur danois qui, le premier, a publié les caricatures l'a fait dans un but ouvertement provocateur, dans un pays où le débat sur la place de la religion et des traditions musulmanes est tendu. Comme ailleurs en Europe. Le nier serait mentir. On l'a vu en France avec l'épisode du voile à l'école.


Sous nos cieux, l'islam est souvent observé avec méfiance. La montée de l'immigration, les ratés de l'intégration, l'ignorance et la diversité des interprétations des textes sacrés facilitent les amalgames. Quelques-uns voient même l'édification d'une internationale islamiste au coeur de l'Occident libre.


La confusion se dissipera-t-elle si on y ajoute l'outrance, l'offense et la calomnie ? Certainement pas. Surtout lorsqu'elles s'expriment sans talent. Les dessins incriminés sont simplistes. Portraiturer le Prophète en terroriste, c'est faire acte de bêtise plutôt que d'héroïsme. Sur un autre terrain, le racisme, accepterait-on aujourd'hui, comme jadis dans la publicité, la représentation de Noirs en bons sauvages ? De même, des chrétiens se sont récemment insurgés, à juste titre, contre certaines postures suggestives prêtées au Christ et à ses apôtres. La démocratie n'a rien à gagner à ces excès, la liberté, tout à y perdre. On salue le courage des auteurs ! Mais quel courage ?


A ce petit jeu du mépris de la religion de l'autre, le piège est réel, au contraire, de radicaliser les opinions, de renforcer les préjugés. Dans le contexte international actuel, les populations du monde arabo-musulman tiennent là un prétexte pour s'enflammer contre l'Occident mécréant. La violence de leurs réactions est intolérable. Mais leurs gouvernements se gardent bien de les condamner car, pour eux, souvent accusés de pactiser avec les Etats satans du Nord, l'occasion est trop belle de se racheter une conduite.


Sans la liberté, la presse ne peut être que mauvaise, disait Camus. Mais on peut aussi faire un mauvais usage de la liberté de la presse. Voilà pourquoi Le Figaro ne publie pas les caricatures de la discorde.

L'éditorial d'Yves Thréard
Source: Le Figaro

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com