Phénomène médiatique sur Internet, La Gâchette du Maroc est l'exemple-type d'une nouvelle presse où s'exprime la sensibilité des MRE. Attention, les zmagris passent à la moulinette la presse, l'actualité et les institutions marocaines.
La Gâchette du Maroc a été créée en réaction à un article incendiaire sur les jeunes MRE en vacances au Maroc, publié dans la Gazette du Maroc en juillet 2004. “La presse est complaisante chaque année avec eux sous prétexte que c'est la première source de devises du Maroc. Nous avions décidé d'aller à contre-courant en parlant de certains
comportements inadmissibles de jeunes MRE” se justifie Adil Lahlou de la Gazette du Maroc. Des MRE ne tardent pas à s'indigner sur yabiladi.com, forum à destination de la communauté marocaine à l'étranger. Devant ce torrent de réactions, Mohamed Ezzouak, webmaster de yabiladi.com, décide de lancer La Gâchette du Maroc, journal satirique, téléchargeable sur le site même. Le ton est d'entrée donné, l'équipe de La Gâchette du Maroc tire à vue sur tous les représentants officiels et symboles de la “Mrétitude” et mitraille la presse marocaine “Entre les plagiats, les articles pipeau (mensongers) et les articles commandés, il reste peu de journaux marocains crédibles et avec un minimum de sérieux” déclare Mohamed Ezzouak. Tout le monde en prend pour son grade, La Gazette du Maroc accusée de faire des reportages depuis le bureau, TelQuel est le Maroc tel que le rêveraient Fils du Soleil (Ahmed Reda Benchemsi) et Driss Kesksou ( Driss Ksikes), Le Journal hebdomadaire accusé de plagiat, Khalid Hachimi Idrissi et ses éditoriaux peu confraternels, Ali Lmrabet et ses “pétages de plombs”, Fahd Yata et ses attaques tous azimut contre ses confrères. “Nous ne sommes pas pour autant sectaires, j'ai beaucoup critiqué Fahd Yata, mais nous avons encensé son édito sur les événements dans les banlieues françaises car il avait fait une bonne analyse de la situation Nous ne sommes pas toujours d'accord avec TelQuel, mais nous avons pris leur défense lors des procès dont ils ont été victimes” nuance Mohamed Ezzouak. La Gâchette du Maroc devient assez vite une sorte de revue de presse critique qui souligne les travers de la presse marocaine, avec raison quelquefois, avec une bonne dose de mauvaise foi à d'autres moments, comme le veut le genre satirique. “C'est un journalisme de bas niveau, voire de caniveau. Ils ont essayé de faire quelque chose qui ressemble au Canard enchaîné mais c'est raté” argumente, assez sévère, Hakim Serraj, l'un des auteurs du fameux article publié dans La Gazette du Maroc et tête de turc de La Gâchette du Maroc. “C'est davantage un journal de réactions qu'un journal de révélations. Ceci étant dit, c'est frais comparé à ce qui se publie au Maroc, bien que La Gâchette du Maroc ressemble plus à un blog où l'on se lâche qu'à un véritable magazine d'infos satiriques” analyse Latifa Akherbach, directrice de l'Institut supérieur d'information et de communication ( ISIC).
Un lectorat record
Pourtant, malgré des approximations, un humour assez iné-gal, la politique du poil à gratter entraîne le succès, si bien qu'aujourd'hui La Gâchette du Maroc est téléchargée par 20.000 personnes chaque mois, soit beaucoup plus que la majorité des titres francophones de la place marocaine. On ne pouvait rêver plus joli pied de nez pour Mohamed Ezzouak et ses quelques acolytes correspondants, “la gâchette connection” dispersée entre la France, la Belgique, les états-Unis et même la Mauritanie. “Au Maroc, notre public va du jeune étudiant à l'adulte quadragénaire. à l'extérieur du Maroc, ce sont principalement des gens ayant grandi au bled car nous traitons principalement de l'actualité marocaine et qu'il faut être initié pour comprendre toutes les références” explique Mohamed Ezzouak. “Le lectorat est content de lire quelque chose qui sort de l'ordinaire, mais parfois sa réaction est primaire comme cette lectrice qui a très mal pris le fait que l'on parodie Mohamed El Gahs. Elle nous a envoyé un mail incendiaire que nous avons publié avec la réponse appropriée” , rajoute ce dernier. Il faut dire que La Gâchette mélange les genres, les articles à vocation sérieuse côtoient la satire, ce qui prête à confusion pour un lectorat non averti : “On nous l'a gentiment reproché, mais nous avons du mal à choisir l'un ou l'autre ou à séparer les deux. Le bon sens devrait permettre de comprendre quand on est sérieux ou pas. Mais il faut préciser que tout article a un fond sérieux, c'est l'enrobage qui change, la takchita en quelque sorte”. C'est là que le bât blesse, les informations publiées par La Gâchette sont rarement des scoops ou des nouveautés pour le lectorat. “Faire de la satire est un genre qui nécessite d'être encore mieux informé que la presse dite sérieuse” explique Latifa Akherbach.
Des cibles récurrentes
Dans les colonnes de La Gâchette, les institutions en rapport direct avec les MRE en prennent aussi pour leur grade. La Banque Chaâbi, la RAM, Mehdi Qotbi, Najat Aâtabou (“que j'adore” , tient à préciser Mohamed Ezzouak), Ahmed Ghayet (surnommé “moul frizi”) et last bust not least, Nezha Chekrouni, ministre des MRE et tête d'affiche du premier numéro de La Gâchette, devenue Tati Nezha, jeu de mots sur le célèbre magasin discount de Barbès à Paris. “Elle est très gentille Tati Nezha mais c'est une erreur de casting. Son bilan ? Rien, à part le raid des Marocains du monde et la journée du migrant, on reste sur sa faim… un bol de bissara pour se remplir le gosier ne serait pas de refus” dixit Mohamed Ezzouak, alias Bouchta Jebli, rédacteur en chef de La Gâchette, obsédé par la bissara : “C'est le personnage qui veut ça. Bouchta Jebli est un jbilou, il représente le Marocain rural, mais qui a quand même appris à écrire pour se lancer dans La Gâchette. Il reste donc attaché aux valeurs traditionnelles du Jbel : karmoss,bissara, zamita, zit el oud”. Mais que fait la police ? Rien. “Nous avions eu des réactions officielles à la création de yabiladi.com, mais jamais aucune pour La Gâchette. ça passe comme une lettre à la poste”. La Gâchette du Maroc a même des lecteurs au sein d'institutions comme l'Ambassade du Maroc en France : “Un jour, je vais à l'ambassade pour une présentation d'un bouquin de Mehdi Qotbi, invité en tant que responsable du site yabiladi.com. Des fonctionnaires de l'ambassade que je connais sont à l'entrée. Je leur dis bonjour et on m'accueille à bras ouverts avec un ‘Oh ! Monsieur de La Gâchette’. J'étais surpris, je me suis dit ça y est, je suis cuit, mais en fait ils m'ont dit bien rire avec La Gâchette”. Pourtant Mohamed Ezzouak a été peu amène avec eux dans les colonnes de La Gâchette : “Il y avait de l'alcool à une réception de l'Ambassade du Maroc en France, quelques jours avant le ramadan. Je leur ai proposé de mettre en avant pour leurs prochaines réceptions des produits du terroir : la bière Spéciale et la mahia au lieu du traditionnel whisky”. La seule institution préservée de la satire est la personne du roi : “Le roi est mis à toutes les sauces par la presse marocaine pour vendre. Nous ne voulons pas entrer dans ce moule. Cela ne signifie pas que nous ne nous permettons pas d'écrire sur lui. Nous l'avons déjà fait, mais de manière discrète ou parabolique”. à quand la version papier de La Gâchette ? “Ce serait l'idéal pour avoir une crédibilité et une véritable équipe rédactionnelle structurée. Mais il faut être réaliste, la presse satirique est très difficile à faire accepter au Maroc et obtenir des publicités est quasiment impossible”. Ali Lmrabet a tenté l'expérience, on sait comment ça a fini…
Mohamed Ezzouak. Monsieur Gâchette
Informaticien dans le civil, webmaster du site yabiladi.com et rédacteur en chef de La Gâchette du Maroc pour le fun, Mohamed Ezzouak est né, il y a 28 ans, à Douar Taounate. Arrivé en France à l'âge de deux ans, il grandit dans une HLM mais échappe à son destin de “galérien” pour vivre aujourd'hui dans le 13ème arrondissement près de la Bibliothèque François Mitterrand, loin des “cages d'ascenseur qui puent la pisse” dixit Jamal Debbouze. Mohamed aussi, mérite de passer à la télé.
Voir l'article original : http://www.telquel-online.com/208/maroc5_208.shtml
Hassan Hamdani
Source : TelQuel