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Le pouvoir veut abattre TelQuel

Après le million de dirhams de l'affaire Assali, la justice assomme à nouveau TelQuel avec un autre million de dirhams, tout aussi injustifié. Clairement, le pouvoir cherche à nous abattre.

Notre réponse : Nous ne céderons pas

Lundi 24 octobre, le tribunal de première instance de Casablanca a condamné TelQuel à 10.000 DH d'amende et 900.000 DH de dommages-intérêts. Pas pour cette ridicule affaire de “cheikha”, non. Il s'agit d'une autre affaire, et d'une autre peine. En l'espace de deux mois, TelQuel se retrouve donc condamné à des amendes et dommages-intérêts cumulés de 1 960 000 DH. à ce niveau, l'intention de nous abattre devient claire et sans équivoque.

La nouvelle affaire, en quelques mots : en mai 2005, nous avons publié dans notre rubrique “actu” un entrefilet indiquant que Mme Touria Jaïdi épouse Bouabid, présidente d'une association d'aide à l'enfance, avait été convoquée par la police pour répondre de détournements de fonds constatés au sein de son association. Cette information, qui circulait avec insistance dans le milieu de la police, a été également publiée dans la même semaine, sous des formes diverses, par 3 autres journaux : Al Ahdath Al Maghribiya, Al Ayam et Al Ousbouîya Al Jadida. Il s'est avéré, assez vite, qu'il s'agissait d'intox. Intox préméditée ? Piège tendu par le pouvoir ? Cela ne nous étonnerait pas du tout. Quoi qu'il en soit, aucun journal au monde, même parmi les plus grands, n'est à l'abri d'une intox - surtout quand, comme celle-là, elle émane de source policière, et qu'elle traverse toute la presse. Des procédures sont prévues pour réparer ce type d'erreur. Immédiatement, c'est-à-dire dès notre livraison suivante, nous avons publié en même lieu, mêmes caractères et même avec un fonds rouge pour le rendre plus visible (dépassant en cela les prescriptions du code de la presse) un démenti, assorti d'excuses à Mme Bouabid et à nos lecteurs(1). Nos confrères ont fait de même, sous différentes formes. L'affaire aurait pu s'arrêter là. Mais Mme Bouabid a choisi de poursuivre quand même les 4 journaux en justice. C'était son droit. Publier un erratum et/ou des excuses sert à rétablir la vérité et l'honneur de la personne citée, mais n'exclut pas les poursuites judiciaires. Elles ont donc eu lieu et, au terme de 5 mois de procédures, les jugements ont fini par tomber. Mme Bouabid a remporté les 4 procès. C'est, après tout, légitime, puisque les informations publiées, même de bonne foi, étaient fausses. Mais ce semblant de “justice” vole en mille morceaux quand on examine le bilan des dommages-intérêts accordés par la justice à Mme Bouabid (en son nom propre, pas en celui de son association) : 30.000 DH pour Al Ousbouîya, 100.000 DH pour Al Ahdath, 100.000 DH pour Al Ayam et… 900.000 DH pour TelQuel ! Pour le même motif que les autres !! 100.000 DH, c'était déjà une peine sévère, le maximum jamais accordé par la justice marocaine dans des cas de diffamation similaires. Coup sur coup, en deux mois, les jugements prononcés contre TelQuel ont pulvérisé tous les records : 1 million en août, puis 900.000 DH en octobre ! Respectivement, 10 et 9 fois plus que le maximum jamais accordé en pareils cas ! L'acharnement contre TelQuel devient évident.

Ne nous y trompons pas, TelQuel n'est pas seul en cause. Nous ne sommes que le premier cobaye de cette nouvelle tactique. C'est maintenant confirmé, le pouvoir marocain a une nouvelle stratégie pour museler la presse indépendante : l'asphyxier financièrement, en manipulant la justice à l'occasion de procès banals intentés par des particuliers. Faire face à des procès en diffamation, justifiés ou pas, fait partie de la routine de la presse, au Maroc comme ailleurs. Les journalistes, comme tous les humains, peuvent se tromper. Mais s'il est légitime que des citoyens s'estimant bafoués puissent se défendre, les pays démocratiques ont aussi instauré des niveaux d'amende, suffisamment punitifs pour rendre justice aux diffamés, mais suffisamment supportables pour que la presse, pilier de toute démocratie, puisse continuer à fonctionner. C'est une question d'échelle, en fonction des pays et des journaux. Mais 2 millions de dirhams pour un magazine marocain, si ces montants sont confirmés en appel (ils pourraient même être alourdis !), cela défie l'imagination. Le but n'est même plus de nous “éduquer”, mais bel et bien de nous abattre. Maintenant, c'est clair. Autant on pouvait penser que Hassan Jaber, le juge de l'affaire Hlima Assali, s'était contenté de vagues instructions données par des seconds couteaux, autant Noureddine Qassine, le juge de l'affaire Touria Bouabid, savait parfaitement ce qu'il faisait. Vu le scandale qu'a suscité le premier jugement, vu la campagne de solidarité internationale qui en a résulté, vu les 10.000 signatures de soutien que TelQuel a récoltées, bref, vu l'indignation générale, aucun juge n'aurait pris le risque d'un second jugement aussi aberrant contre la presse sans avoir reçu, au préalable, des instructions “en béton”, émanant des plus hauts responsable de l'état. Qui ? Nous ne pouvons le prouver, mais c'est forcément passé par le cabinet de Mohammed Bouzoubaâ, ministre de la Justice. Ce qui ne laisse, comme émetteur des instructions, que Bouzoubaâ lui-même, ou un ministre plus puissant que lui, c'est-à-dire estampillé “Palais”. Nommons-le clairement : Fouad Ali el Himma, n° 2 du régime, l'homme qui, depuis le début du règne de Mohammed VI, est “en charge de la presse”. Que Ali el Himma et/ou Bouzoubaâ me poursuivent en justice pour cette affirmation, s'ils veulent. La situation n'en sera que plus cocasse !

C'est vrai, on attend encore les procès en appel, pour l'affaire Assali comme pour l'affaire Bouabid. Dois-je écrire que “j'ai confiance en la justice d'appel” pour réparer cette double mascarade ? Je l'avais écrit il y a deux mois, après la première affaire. Je ne vais pas l'écrire cette fois-ci. Parce que je n'ai plus aucune raison d'avoir confiance en la justice marocaine, quelle que soit la juridiction. Les juges eux-mêmes ? Je les plains plus que je ne les condamne. Comment pourraient-ils refuser d'exécuter une instruction ? C'est carrément la Constitution qui le dit : les destins, les carrières des juges sont entre les mains du ministre de la Justice, celui-là même qui donne (ou par qui passent) les instructions. La négation même de l'idée de séparation des pouvoirs, fondatrice de toute démocratie ! Alors nos procès en appel, franchement… Je ne me fais aucune illusion : ils se termineront comme on l’aura décidé à Rabat.

Je vais donc enjamber sans scrupules notre pauvre justice et m'adresser directement aux donneurs d'ordres. Monsieur El Himma, Bouzoubaâ, ou qui que vous soyez :


• Sachez que vous ne nous faites pas peur. Vous avez entre vos mains un état, une puissance formidable contre laquelle nous ne pouvons rien. Nous n'avons, pour notre part, que notre liberté d'écrire. En attendant que vous nous l'ôtiez tout à fait, sachez que nous en userons jusqu'au bout. Que nous continuerons à vous confondre, semaine après semaine. Que nous continuerons à vous mettre face à vos responsabilités, et à laisser le public vous juger. Il n'a déjà pas une opinion flatteuse de vous, mais continuez comme ça… Très vite, vous deviendrez les égaux d'un Driss Basri - votre maître hier, l'homme qui vous a tout appris, et que vous traînez lâchement dans la boue aujourd'hui.

• Sachez que vous faites reculer le Maroc. Et que vous ne faites que saboter ce roi que vous prétendez servir. Mohammed VI s'échine à trouver des solutions pour faire avancer son peuple et améliorer l'image du Maroc dans le monde. Avec plus ou moins de bonheur, mais lui, en tout cas, essaye de faire avancer les choses. Pendant ce temps, vous les faites reculer. En août, TelQuel avait titré sur les “100 raisons d'être optimiste pour le Maroc”. Elles sont toujours valables. Mais il y a aussi des raisons d'être pessimiste. Votre présence au pouvoir est au sommet de ces raisons.

• Et puisque nous parlons de TelQuel, allons-y franchement. Hlima Assali et Touria Bouabid, vous le savez bien, ne sont que des fétus de paille, des plaignantes-prétextes dont vous instrumentalisez la soif de justice (légitime) pour servir vos petits calculs (que vous croyez être de la grande politique). Au fond, ce que vous reprochez à la presse indépendante en général, et à TelQuel en particulier, c'est de ne pas être à votre botte. Oui, nous vous attaquons très souvent. Et vous le méritez. Oui, nous avons publié le salaire du roi. Et nous en sommes fiers. Oui, nous avons écrit que le roi avait besoin d'un conseiller en communication. Et nous le maintenons. Mais nous avons aussi écrit que la Moudawana, œuvre royale, était une avancée capitale. Et ça aussi, nous le maintenons. Nous avons écrit que le roi a rendu justice aux Amazighs. Et ça aussi, nous le maintenons. Nous avons écrit que l'IER, ou les grands chantiers comme Tanger Med, étaient une bouffée d'oxygène pour le Maroc. Et ça aussi, nous le maintenons. Comme nous maintenons, ne vous en déplaise, notre ligne éditoriale : souligner, avec plaisir, toutes les avancées ; critiquer, avec force, tous les reculs. Nous pourrions, dans un élan de vengeance contre votre acharnement, devenir des opposants acharnés et obstinés, “nous payer le système” sans nuances, toutes les semaines. Mais nous ne vous ferons pas ce plaisir. Notre force, c'est notre crédibilité, et notre sens de l'équilibre.
Aucun procès ne nous y fera renoncer.

Comptez sur nous, Messieurs, pour ne pas rester silencieux face à votre hold-up sur la démocratie. Vous avez l'état, la justice et la police entre vos mains. Nous avons notre bonne foi, et le soutien de tous les hommes et les femmes de bonne volonté. Nous ne cèderons pas. Nous nous battrons.

Site de la pétition : http://www.soutientelquel.com

Source : TelQuel

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