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Mandari: Exécution trouble sur la Costa del Sol

Un vrai casse-tête. Deux semaines après l'assassinat en Andalousie de Hicham Mandari, à la fois escroc de haut vol, affabulateur et bête noire du Palais royal marocain, les enquêteurs espagnols se refusent à privilégier une piste en particulier.

A leurs yeux, cet homme d'affaires qui a trempé dans les négoces les moins recommandables a pu être aussi victime d'un crime politique que d'un règlement de comptes de type mafieux. Selon El País, les services secrets de quatre pays étaient derrière lui (France ­ qui, selon son avocat William Bourdon, lui avait refusé en 2002 une protection policière ­, Maroc, Bahreïn et Emirats arabes unis). Sans parler de groupes mafieux avec lesquels il était en contact. En charge de l'affaire, la garde civile espagnole maintient pour sa part une opacité absolue sur le meurtre de cet homme de 33 ans, abattu d'un coup de feu dans la nuit du 3 au 4 août dans un parking de Mijas, une bourgade de la Costa del Sol, située à mi-chemin entre Malaga et Marbella.

Possible vengeance

Il est vrai que pour le gouvernement socialiste de Zapatero, qui multiplie les gestes d'amitié avec Rabat, ce dossier est des plus sensible. Le Parti populaire (PP, droite), désormais dans l'opposition et qui fut au bord du conflit armé avec le Maroc en juillet 2002 à propos du litige frontalier sur l'îlot Persil-Leila, ne se prive d'ailleurs pas d'en jouer : le parti de José María Aznar penche publiquement vers la piste marocaine, sans toutefois apporter d'éléments pour corroborer sa thèse.

Les informations qui ont filtré dans la presse espagnole laissent, quant à elles, le champ des hypothèses très ouvert. Même si, pour El País, citant une source policière, «il est logique de penser en priorité à une vengeance d'origine marocaine, tant Mandari multipliait les menaces contre Rabat». Un membre du renseignement français se montre plus nuancé : «S'agissant d'un individu qui a touché à tant d'activités crapuleuses et qui avait tant d'ennemis, il faut regarder dans toutes les directions possibles.» D'autant que «la Costa del Sol est un paradis pour les groupes mafieux», commente un expert espagnol.

L'itinéraire de Hicham Mandari illustre la complexité de l'affaire. Il constitue une plongée dans les arcanes du régime marocain et dans un méli-mélo de combines où se mêlent affaires, détournements de fonds et barbouzeries. Intime de Farida Cherkaoui, la concubine favorite de Hassan II qui détenait notamment sa caisse privée, Hicham Mandari se disait depuis quelque temps rien moins que... le fils du souverain défunt ! Plus sérieusement, c'est la protection de l'influente Farida qui lui permit d'approcher de très près le cercle fermé du mechouar ­ la Cour ­, ses intrigues... et certains chéquiers personnels de Hassan II lui-même. Menant grande vie, Mandari en fit bon usage. Il aurait ainsi détourné d'énormes sommes avant d'encaisser à l'étranger un chèque de plus de 100 millions de dollars, quelques mois avant la mort du roi, provoquant, murmure-t-on à Rabat, un choc qui aggrava encore l'état de santé très défaillant de celui-ci. Ses relations ont par ailleurs tout pour excéder le Palais : il fréquente Moulay Hichem, le cousin germain, mais fort peu en cour, de Mohammed VI et il entretient, selon le Canard enchaîné, des «liens avérés avec les services secrets algériens, espagnols et le Front Polisario» qui dispute le Sahara-Occidental au Maroc depuis des lustres. En France, Mandari est inculpé dans une affaire de faux dinars de Bahreïn portant sur environ 350 millions d'euros, avant de défrayer l'an dernier la chronique dans une sombre affaire impliquant le milliardaire Othman Benjelloun, président de la Banque marocaine du commerce extérieur. Chantage financier, comme l'affirme ce dernier, qui reconnaît avoir accepté de lui remettre 5 millions d'euros pour «éviter une campagne de diffamation» ! Ou, comme le soutient Mandari, tentative du milliardaire de lui «acheter» les photos et autres documents gênants qu'il assure détenir sur le Palais ?

Une chose est sûre : à partir de cet épisode, Mandari se lance dans une escalade, menaçant sans cesse de faire des révélations sur une monarchie avec laquelle il a engagé un bras de fer qu'il présente désormais comme «politique». Selon le quotidien espagnol La Razón, il devait même tenir une conférence de presse révélant «les pages les plus noires de la corruption du royaume de Mohammed VI» et «appelant les forces démocratiques à lutter pour un Etat de droit». La mort l'en aurait empêché en frappant la veille même de cette conférence. De là à croire que Mandari était un opposant politique, il y a pourtant un pas qu'aucun connaisseur du dossier ne franchit.

Consacrant une longue enquête à l'«énigme Mandari» fin juillet, quelques jours avant son assassinat, l'hebdomadaire marocain le Journal, peu suspect de complaisances envers les autorités marocaines, relativise ainsi l'engagement politique de l'homme d'affaires. Son «Conseil national des Marocains libres» (CNML), relève cet hebdomadaire, est une «escroquerie mort-née composée de deux militants» (Mandari et un ex-journaliste). Ce qui n'aurait pas empêché Mandari de vouloir implanter cet embryon dans le sud de l'Espagne, où il avait demandé à la célèbre avocate espagnole Cristina Almeida de l'aider à obtenir un permis de résidence. En vain, car les autorités espagnoles avaient averti cette dernière de la réputation sulfureuse du personnage, qui avait essuyé, en novembre 2002 et avril 2003 en France, deux tentatives d'attentats ayant tout d'«avertissements» en bonne et due forme.

Lettre ouverte à Hassan II

Pourquoi Hicham Mandari s'est-il rendu dans la région de Malaga ? Est-il venu y rencontrer un groupe mafieux au sujet d'une affaire qui aurait finalement tourné au vinaigre ? Plausible, l'hypothèse est évidemment mise en avant par la Gazette du Maroc, trop contente d'estimer «naturel qu'il y ait un meurtre quand on a passé sa vie à fricoter avec la pègre, l'argent sale et les mauvaises fréquentations». Mandari a-t-il au contraire débarqué sur la Costa del Sol pour tenir sa fameuse conférence de presse, faisant un pas de plus dans sa guerre contre le Palais ? L'hypothèse est plausible, s'agissant d'un agitateur qui, en 1999, avait publié sous forme d'encart publicitaire dans le Washington Post une lettre ouverte à Hassan II, menaçant de publier des informations «compromettantes» ! Selon la chaîne qatarie Al-Jezira, Mandari avait l'intention, en débarquant sur la côte andalouse, de faire main basse sur une radio ou une télévision locale afin de pouvoir diffuser dans le nord du Maroc...

Jusqu'ici, seules les circonstances de son assassinat commencent à se faire plus précises. Retrouvé dans le parking de Mijas muni d'un faux permis de conduire italien, au nom de Ben al-Asan Alaoui, allusion à sa prétendue filiation avec Hassan II, il avait quitté la France «sans laisser de trace» deux jours avant d'être exécuté. Il serait arrivé sur la Costa del Sol «en toute quiétude et protégé» par trois gardes du corps franco-marocains. Bizarrement, ces derniers n'auraient pas réagi lors du meurtre, ce qui amène une source policière, citée par El Mundo, à remarquer que cette escorte, aujourd'hui volatilisée, aurait trahi l'homme d'affaires. «Il n'est pas croyable, note ce quotidien, que pas un seul des gardes du corps n'ait tiré un coup de feu pour le défendre !» Les enquêteurs sont persuadés que le coup a été préparé et réalisé de façon «très professionnelle» : couvert par deux complices, l'assassin ­ «au faciès arabe», selon des témoins ­ a conduit sa victime dans un parking avant de lui tirer «une seule balle» dans la tête.

François MUSSEAU
Source : Libération France

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