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Maroc : l'appel au secours ? Par Mustapha Kharmoudi

En Juillet dernier, le roi du Maroc a prononcé un discours que les observateurs avertis ont jugé de très haute importance. Voire même historique. Sans doute, ses propos ont-ils suscité l'espoir d'un Maroc enfin nouveau, un Maroc ancré dans ce siècle naissant.

Espoir, faut-il le rappeler, maintes fois soulevé par Hassan II et maintes fois enterré pendant presque un demi-siècle. Mais, rendons à César ce qui appartient à César : Mohamed VI semble inscrire sa réflexion exclusivement dans le champ démocratique et l'état de droit. Point de menace, point de bâton, il faut en prendre acte…

Son discours exhorte la société civile et les partis politiques à se mobiliser, dès maintenant, pour créer une dynamique forte en faveur de la démocratie active et de la prise en charge collective des problèmes cruciaux qui minent la société marocaine. Mais, est-ce pourtant un discours aussi offensif que le laissent voir le choix de formules percutantes, ou n'est-ce qu'un appel au secours devant la fragilité de son pouvoir ?

Quatre obstacles principaux jouent un rôle déterminant dans l'avenir proche et moyen du Maroc : la division du Makhzen, la force incontestable des islamistes, l'aggravation de la misère et la dispersion des " forces de progrès ". On peut pratiquement affirmer sans risque majeur d'erreur que les confrontations à venir se feront entre les deux forces hégémoniques du moment : le Makhzen et les is-lamistes. Et que le camp de ce qui est convenu de nommer " les modernistes " ou " forces de progrès " s'en trouvera encore plus marginalisé.

Car, manifestement, le roi ne peut plus s'appuyer sur un Makhzen terriblement hassanien, et qui garde toute sa force malgré les remous qui peuvent le secouer ça et là. Pour asseoir son pouvoir, Mohamed VI se heurte à l'ordre établi en dehors de lui et avant lui. Il se retrouve dans l'obligation de se mutiner et de se rebeller contre son propre camp. Et c'est la raison de son appel à la société civile et politique. Il espère ainsi établir un nouveau rapport de force pour mener à bien son projet de modernisation de la société, mais surtout pour consolider son trône.

Mais le Makhzen reste la pièce maîtresse de la réalité du pouvoir au Maroc : l'Armée, la Police et les autres institutions, des plus transparentes - s'il en est - aux plus mafieuses, ne comptent pas céder sur l'essentiel de leur puissance. Toutes ne connaissent que le poker des temps anciens : un bluff démocratique à l'intention de l'occident et une répression sans pitié.. Ce sont des gens qui se sont enrichis par la fraude, la corruption et les passe-droits, toutes choses autorisées au plus hauts sommets de l'Etat, à l'époque.

Face à cette entreprise nouvelle initiée par Mohamed VI, les tenants du Makhzen savent qu'ils ne tiendront pas la route à concurrence loyale (et non royale comme par le passé), d'autant que de jeunes loups aguerris par des expériences occidentales, n'attendent que la première occasion pour leur faire rendre gorge. Et c'est pour cela que le Makhzen est bien le principal obstacle à toute évolu-tion démocratique dans les conditions actuelles. Et un véritable processus démocratique - et surtout d'état de droit- est la seule voie royale (et loyale) pour réduire l'arbitraire et la gabegie makhzenienne.


Seulement voilà : quand bien même prendrait-on le roi au mot, et croirait-on à sa volonté de démocratiser le Maroc, le problème reste insoluble : le mur islamiste semble infranchissable pour l'heure (et pour combien de temps encore ?). Si des élections libres et sincères ont lieu en 2007, c'est-à-dire si tous les courants de pensée y participent en toute liberté, il ne fait aucun doute que les islamistes seraient très largement majoritaires et réclameraient à juste titre de pouvoir profi-ter à leur tour des mannes du pouvoir aux détriments de l'actuel Makhzen. Et c'est là l'autre épée de Damoclès qui pèse sur le processus de démocratisation de l'Etat et de la société.


Enfin, faut-il répéter à qui veut l'entendre qu'il n'est pas possible de faire sortir le Maroc du scepticisme sans une véritable guerre contre la misère et l'analphabétisme. Et s'il en est qui pensent que cela peut attendre, qu'ils sachent qu'ils commettent une erreur fatale. Car une société ne se mobilise que si elle perçoit concrètement qu'elle s'avance vers des conditions de vie meilleures et surtout vers des conditions de vie dignes de l'humanité pour ses membres les plus démunis : ceux-là des 6 à 8 millions de marocains qui ont moins d'un dollar pour vivre par jour. Or, force est de constater que, depuis l'avènement du nou-veau roi, rien de conséquent n'a été entrepris pour éradiquer - ou du moins faire reculer - ces deux fléaux qui hypothèquent toute entreprise de rénovation sé-rieuse.

Triste dilemme : pour s'imposer à un Makhzen corrompu et récalcitrant, le roi escompte une mobilisation populaire sous forme d'avancée démocratique ; mais la société, elle, n'attend que le moment de s'offrir corps et âme - c'est le cas de le dire - à des obscurantistes qui n'auront, in fine, que la haine comme mot d'ordre et la régression comme programme. Sera-t-il dans l'obligation de faire alliance avec ceux-là qu'il n'a cessé de dénoncer depuis son accession au trône ? Ou reviendra-t-il au sérail makhzénien, au prix du maintien des privilèges, pour faire échec à l'islamisme radical par la seule méthode que le Makhzen sait utiliser : la répression aveugle jusqu'à ce que mort politique s'en suive ?

Car, et c'est malheureux, il n'y a pas d'autres solutions. La société civile à la-quelle on fait constamment appel est dans un tel état de dispersion et de confusion telles qu'elle est dans la totale incapacité de créer une dynamique nationale susceptible de faire échec et à l'islamisme et au Makhzen. Bien sûr, la société civile grouille d'initiatives généreuses et courageuses. Il est vrai que le Maroc foisonne d'actions individuelles et collectives en faveur de l'émancipation des femmes et des hommes. Personne ne peut ignorer combien l'espoir est grand d'enterrer une bonne fois pour toutes la sinistre période hassanienne avec ses oufqirs, ses dlimis et autres petits ou grands basris. Et personne n'ignore que c'est justement cette société civile qui saura le faire pour le mieux de tous, comme disent justement les marocains, dans l'équité et la justice.

Mais force est de constater que la meilleure composante de la société marocaine est aujourd'hui encore dans une immense dispersion et une non moins immense confusion. Elle n'a pas dégagé des éléments idéologiques communs pour la souder ; elle n'a pas encore construit la formation politique hégémonique pour fédérer ses actions, et surtout pour drainer les foules et les suffrages ; elle n'a pas en-core élaboré un projet politique commun pour créer la nécessaire dynamique de transformation et de décision. Elle ne semble même pas avoir un enjeu com-mun : elle a juste peur de l'islamisme, et son inhibition confond " guider le peu-ple " avec " être derrière le roi ".

Le Makhzen se réjouit de cette déliquescence : il n'y a qu'à entendre le nostalgi-que Basri déverser son venin. Les islamistes s'en donnent à cœur joie : il n'y a qu'à les voir souffler le chaud et le froid, en titillant là où ça fait mal, c'est-à-dire dans le domaine moral.

Ce tableau est-il par trop pessimiste ? Souhaitons-le, mais une chose est sûre : le temps du roi ne correspond pas toujours au temps du peuple, et c'est bien là que réside le drame du Maroc.

Mustapha KHARMOUDI
Ecrivain - Yabiladi.com

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