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Maroc. Enfin la vérité sur les années de plomb ?

L’instance Équité et Réconciliation, créée en avril, entend faire la lumière sur les violations des droits de l’homme survenues entre 1956 et 1999.

Peu de temps avant son décès, le roi Hassan II (1961-1999) avait créé au Maroc une instance d’arbitrage indépendante (IAI), en vue d’indemniser les victimes de disparitions forcées et de détentions arbitraires imputables aux services de sécurité de l’État. Pour parachever cette oeuvre de justice transitionnelle, le roi Mohammed VI a fondé en avril 2004 l’instance Équité et Réconciliation (IER), dont la mission consiste à régler le reliquat des dossiers de l’IAI, à établir la vérité sur les « violations flagrantes » des droits de l’homme commises entre 1956 et 1999 par les « organes étatiques », et à fournir des pistes de réformes pour prévenir leur répétition. L’IER se compose de huit membres issus du Conseil consultatif des droits de l’homme mis en place par Hassan II en 1990, et de huit personnalités issues de la société civile (plus particulièrement des mouvements d’opposition de gauche) dont certaines ont connu la répression des « années de plomb ». C’est le cas du président de l’IER, Driss Benzekri, également fondateur du Forum vérité et justice (FVJ), association rassemblant des familles de disparus et d’anciens prisonniers politiques.

En six mois, l’instance peut déjà se targuer de quelques succès : création d’une base de données « performante », selon le rapporteur Driss El Yazami (voir interview ci-contre), qui a permis de saisir vingt mille dossiers en neuf semaines ; recueil de témoignages sur la répression du soulèvement berbère dans le Rif en 1958 ; organisation d’audiences publiques décentralisées dans dix villes du royaume. Afin de respecter la règle lui interdisant de désigner des responsabilités individuelles, l’IER ne diffusera sur son site Internet que les témoignages respectant l’anonymat des suspects désignés.

Dans les milieux universitaires et militants, le processus suscite pourtant quelques doutes. Youssef El Bouhairi, professeur de droit international public à l’université de Marrakech et membre de l’Organisation marocaine des droits de l’homme, craint ainsi que l’IER n’en vienne à « tourner la page des "années de plomb" sans l’avoir lue ». Il pointe notamment la trop faible durée de son mandat (une année) pour traiter des dizaines de milliers de plaintes portant sur quarante-trois ans, la plus longue période jamais abordée par une commission vérité. L’IER « doit être en mesure de préciser les responsabilités institutionnelles et de mentionner les administrations concernées », nuance toutefois Khadija Rouissi, secrétaire générale du FVJ. Tout en épargnant les personnes impliquées dans ces crimes et encore en poste dans un État marocain qui revendique sa continuité avec le règne précédent, l’instance agirait alors dans le sens d’un « bon compromis à faire pour construire la démocratie ». Le travail de l’IER contribue certes à l’établissement de la « vérité » sur les « années de plomb » et à la réhabilitation des victimes, conclut l’ancien « disparu » Fouad Abdelmouni (1). Mais son champ d’action, limité, « exclut explicitement (...) l’établissement de vérités qui mettraient à mal le régime ou sa politique ».


(1) In « L’alternance démocratique

au Maroc : une porte entrouverte »

in Régimes politiques et droits humains au Maghreb, « Confluences Méditerranée »

n° 51, (L’Harmattan, automne 2004).

Source: L'Humanité

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