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Le Maroc se lance dans la chasse au chiisme

Toute trace de littérature chiite devra disparaître des bibliothèques et autres librairies marocaines. Ainsi en a décidé le ministère de l'Intérieur, intensifiant par là même une campagne de saisie de tous les livres chiites commercialisés sur le territoire marocain. Une campagne menée sur fonds de rupture des relations diplomatiques avec l'Iran, mais qui se justifie par des considérations religieuses.

Résultat, des commissions d'inspection viennent d'être créées. Regroupant des représentants des ministères de l'Intérieur, de la Communication et de la Culture, ainsi que des représentants des autorités locales, elles ont pour charge d'inspecter librairies, bibliothèques publiques, de saisir tout livre suspect et d'interroger propriétaires et bibliothécaires sur leurs origines. Une démarche inquisitoire applaudie par certains et décriée par d'autres. Se félicitant qu'une telle mesure «ait enfin été adoptée», Abdelbari Zemzami, député du Parti de la renaissance et de la vertu, parle d'une initiative capable d'éliminer le mal par la racine. «Si la liberté dépensée suppose le chaos, les autorités sont en droit de réagir. Saisir ces livres revient pour moi à prémunir la nation de la fitna», dit-il. C'est ainsi, et de manière claire, le risque de propagation des idées chiites qui est pris pour cible.

Ce grand penseur islamique marocain, et tout en désapprouvant la démarche, ne le pense pas ainsi. «Théoriquement, nous sommes en démocratie et les citoyens sont libres de consulter toutes les sources du savoir qu'ils veulent. Dans la pratique, nous sommes clairement dans une logique de fonctionnariat où se mêle le politique au religieux et qui voudrait que des agents aient des tâches à assumer, des cases à remplir, sans plus. En cela, nous constatons que des services de l'Etat, de ceux de la sécurité au département de renseignement et de la culture, se renvoient les responsabilités et autres patates chaudes. Or, ce qu'il aurait fallu, c'est d'abord établir une stratégie religieuse et culturelle au Maroc, avec des finalités précises et, surtout, un contenu riche En attendant, nous versons clairement dans une espèce de dictature culturelle», dit-il. Ce n'est pas l'avocat Toufik Moussaif qui dira le contraire. Pour lui, la lutte contre les traces du chiisme est d'ordre plus politique que légal, encore moins religieux. «Si la Constitution stipule clairement que l'islam est la religion d'Etat, elle ne dit pas de quel islam il s'agit. Le Maroc est d'ailleurs loin d'adopter les règles religieuses musulmanes, encore moins malékites, en tout. Les deux seuls volets encore régentés par la Charia sont le code de la famille et les biens immobiliers non titrés».

D'autres sources vont encore plus loin en affirmant qu'il s'agit d'une tentative maladroite de verrouiller un champ religieux en mal de repères. La restructuration d'ordre technique en cours de notre champ religieux devait avoir pour préalable une définition de ce contenu, à même de prémunir le pays et de telles menaces et de ce genre de réactions. «Tracer et construire une route est une bonne chose en soi, mais encore faut-il savoir où celle-ci mène», se demande un haut responsable du temple religieux. L'allusion est à peine voilée. Elle porte sur nulle autre chose que la faiblesse, voire l'absence d'un contenu islamique marocain et capable de s'adapter à la réalité du pays.

Le Marocain musulman doit-il obligatoirement être un sunnite ?

Si l'islam est la religion de l'Etat au Maroc, «rien ne dit que tout Marocain doit par la force de la loi être malékite achâarite», dit l'avocat Toufik Moussaif. D'ailleurs, dans la nouvelle Moudawana, le Maroc s'est inspiré de rites autres que le malékite», souligne l'avocat, citant notamment les rites hanafite et chafiîte, auquel il ajoute...les conventions internationales des droits de l'homme. Si le chiisme a de tout temps existé au Maroc, le danger est ailleurs. Il est lié, selon ce chercheur, à l'ampleur cognitive du changement. C'est un fond historique de 14 siècles, et les différents paradigmes qui lui sont liés qu'il faut remettre en cause en embrassant le rite chiite. «Cela revient à admettre que tout ce que nous avons appris était faux. D'un point de vue chiite, toute la sunna est pure hypocrisie, les compagnons du Prophète, excepté Ali Ibnou Talib, sont des hypocrites qui ont essayé par tous les moyens, même immoraux, de se rapprocher de sidna Mohammed», explique-t-il. Et toute l'histoire musulmane, des Oumeyyades au Abbassides est à réécrire. Il s'agit d'une grande remise en question de tous les fondements de la nation.

La zizanie n'est jamais loin, mais nos autorités sont-elles allées aussi loin pour décider leur nouvelle mesure de censure ?

Tarik Qattab
Source: Le Soir Echos

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