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PJD : El Othmani pour succéder à El Othmani ?

«Les préparatifs avancent comme prévu, nous n’avons pas accusé de retard, et même s’il y a des difficultés, nous sommes en mesure d’en venir à bout». Abdellah Baha, vice-secrétaire général du Parti de la justice et du développement, a de bonnes raisons de se montrer optimiste.

A deux semaines du grand rendez-vous de la formation islamiste, prévu les 19 et 20 juillet prochains, au complexe Moulay Abdallah de Rabat, la majorité des 1 700 congressistes est déjà connue. Réunis pour une rencontre dont le coût est estimé à 3 millions de DH, soit un peu plus du double de ce qu’aura coûté le précédent congrès, les délégués des provinces et des préfectures, les membres du conseil national, les représentants des instances du parti comme la jeunesse ou certaines structures professionnelles, ceux des MRE, et, enfin, les individus choisis sur la base de leur qualité, auront pour mission d’élire les nouvelles instances du parti.

Parmi ces dernières, les membres du nouveau conseil national, du secrétariat général, mais aussi et surtout le successeur de Saâd Eddine El Othmani, numéro 1 du parti depuis 2004.

Préparée depuis janvier, la grand-messe des islamistes s’annonce réglée comme du papier à musique, à l’opposé du congrès de l’USFP il y a trois semaines, qui a abouti à une suspension des travaux jusqu’à une date indéterminée. Il faut dire que le contexte diffère aussi.

Toujours est-il que les militants du PJD sont au stade du débat au niveau des sections locales, traitant les documents qui devront être soumis au vote au congrès, histoire d’en accélérer le traitement le jour J, explique-t-on au parti. Quant à l’identité de celui qui dirigera la formation jusqu’en 2012, elle fait l’objet d’un suspense pour le moins modeste.

En cause, le règlement du PJD qui ne permet pas de connaître l’identité des candidats avant le jour du congrès. Plus contraignant, les candidats ne se présentent même pas de leur propre chef mais sont choisis par les membres du conseil national, tandis que le vote revient au congrès.

En dépit de cette «humilité» forcée, des noms circulent avec beaucoup d’insistance. Saâd Eddine El Othmani est ainsi annoncé parmi les pressentis ; de même que Abdelilah Benkirane, président du conseil national sortant ; Mustapha Ramid, président du groupe parlementaire ; Lahcen Daoudi, deuxième vice-secrétaire général ; Abdellah Baha, numéro 2 du parti ou Abdelaziz Rebbah, dirigeant de la jeunesse…

Les deux premiers sont également annoncés comme les très probables futurs finalistes d’un congrès, qui a de fortes chances de se dérouler selon le même modèle qu’en 2004. En effet, cette année-là, à l’issue d’une rencontre tout aussi marquée par la discipline, les noms de El Othmani, Benkirane, Daoudi, Ramid, Baha, Yatim, Rebbah et El Mouatassim avaient été présélectionnés, de nouveaux votes ayant débouché sur une large victoire du secrétaire général actuel avec 1 268 voix sur 1 575, contre 255 seulement pour M. Benkirane et 52 pour M. Daoudi...

L’écart El Othmani-Benkirane diminue, mais persiste
La différence, aujourd’hui, c’est que l’économiste en chef du parti a, d’ores et déjà, exprimé le vœu de se retirer du jeu, et ce, peu après le scrutin du 7 Septembre. Lahcen Daoudi devrait donc être absent de la liste finale.

Quant à M. El Othmani, s’il est toujours donné favori, la marge qui le sépare de M. Benkirane est plus réduite qu’il y a quatre ans. M. El Othmani bénéficie toujours d’une aura non négligeable, en dépit d’un score du parti moins important que prévu aux législatives de 2007.

Ce dernier ne sera pas attaqué par les siens, qui ont attribué ces résultats aux écarts observés lors du déroulement du scrutin et plus particulièrement la persistance de la corruption.

Saâd Eddine El Othmani serait aujourd’hui toujours indispensable pour ses qualités de rassembleur mais aussi d’intermédiaire entre le parti et l’extérieur, qu’il s’agisse des autorités ou des médias nationaux et internationaux.

«Aujourd’hui, le parti cherche avant tout à protéger ses acquis, à commencer par le renforcement de sa position sur l’échiquier politique essentiellement, mais aussi préserver ses relations avec les autorités, et éviter le retour aux amalgames apparus après les attentats de Mai 2003», explique le politologue Mohamed Darif. Selon ce dernier, personne au PJD ne peut jouer ce rôle à la place du secrétaire général.

«Pour les gens du parti, c’est l’homme qui pourrait préserver ces acquis. Pour les autorités aussi, il est préférable qu’il reste, car il va continuer à jouer le rôle de fédérateur, à la différence de son principal concurrent, M. Benkirane», indique-t-il.

Faisant un peu moins l’unanimité, le président du conseil national a, ces derniers mois, gagné du terrain auprès des militants, notamment grâce à ses sorties télévisées post- 7 Septem-bre. Par ailleurs, explique un cadre du parti, il se trouve être l’un des artisans de la sortie des islamistes du PJD de la clandestinité et du radicalisme, et, par conséquent, son élection ne devrait pas changer les relations de la formation avec les autorités.

Il reste quand même à savoir s’il en serait de même pour l’opinion publique nationale. Cette dernière se montrera-t-elle aussi accueillante vis-à-vis d’un dirigeant au conservatisme nettement plus affiché ? Quoi qu’il en soit, si Abdelilah Benkirane désire effectivement prendre la tête du parti, c’est très probablement sa dernière chance d’y parvenir, face aux Amara, Rebbah, Choubani et toute une génération de jeunes cadres, qui rongent leur frein en attendant 2012.

La page du 16 Mai est désormais tournée
Reste enfin un troisième homme, qui pourrait avoir un impact notable sur la direction du parti : Mustapha Ramid. Ce dernier semble toutefois être relativement défavorisé par rapport aux autres concurrents.

Quel que soit le résultat, ce congrès sera surtout l’occasion pour le PJD d’entamer une nouvelle étape de son existence : la fin de la période post-16 Mai, où le parti s’était vu régulièrement obligé de prouver sa bonne foi aux autorités.

Même si la situation est loin d’être au beau fixe - on l’a vu avec le retour des soupçons au lendemain du démantèlement du parti islamiste modéré Al Badil al Hadari dans le cadre de l’affaire Belliraj, ou encore avec les difficultés rencontrées par le parti au moment de l’organisation de certaines rencontres au niveau local -, l’amélioration est perceptible, note M. Darif. Contrairement à ce qui s’était passé lors des législatives de 2002, en septembre dernier, les candidatures du PJD n’ont pas été limitées.

Par ailleurs, aujourd’hui, dans ses relations avec le ministère de l’intérieur, le parti n’a plus besoin de l’entremise d’un Abdelkrim Khatib, fondateur du parti, qui s’est retiré de la scène politique depuis plusieurs années déjà.

Désormais, le parti agit avec plus de confiance : même la comparaison avec l’AKP turc, à la mode il y a quelques années, n’est plus de mise. Aujourd’hui, les responsables du PJD marocain soulignent leurs différences avec son homonyme turc, qui évolue dans un cadre laïc, alors que le parti de M. El Othmani fait partie d’un système où l’islam est l’un des piliers du régime.

Dans l’hémicycle, Mustapha Ramid, forcé de quitter la présidence du groupe parlementaire PJD en 2003, est revenu à ce poste, où il est nettement mieux toléré qu’auparavant, même si l’ancien ministre délégué à l’intérieur, Fouad Ali El Himma, ne s’est pas privé de le piquer dans une récente interview.

Mohamed Darif va d’ailleurs jusqu’à indiquer que la position du ministère de l’intérieur vis-à-vis du PJD s’est quelque peu assouplie depuis le départ de l’ancien ministre délégué.

Incursion dans le champ de bataille privilégié de la gauche
Sauf surprise, donc, cette embellie devrait se poursuivre, d’autant plus que les prochaines élections communales s’annoncent sans enjeu majeur pour le parti, défavorisé par le nombre réduit de circonscriptions urbaines où ses chances sont les plus importantes.

Il reste à savoir toutefois quelle sera la réaction des autorités face au léger virage qui s’annonce au niveau de sa ligne politique. Traditionnellement très à cheval sur le créneau de la «moralisation», le PJD devrait en effet désormais lui privilégier la «démocratisation».

Interrogé, Abdelaziz Rebbah considère cette mutation comme une forme de «clarification des positions du parti», un «aboutissement logique», douze ans après l’entrée en scène du PJD. «Jusqu’à présent, le parti a fonctionné selon quatre axes : l’identité, la moralisation, la démocratie et les droits, et le développement et la gouvernance», explique Abdellah Baha, qui souligne que si l’aspect démocratie est devenu prioritaire, les autres axes ne seront pas écartés.

«La raison de ce changement ? Les élections de 2007 en particulier ont donné un message clair : si nous ne donnons pas la priorité à la démocratie, toutes les autres choses seront bloquées. Il nous faut une démocratie crédible, d’où le slogan du congrès : pas de vie politique sans crédibilité».

Un changement qui l’amènera vraisemblablement à s’aventurer dans un territoire traditionnellement réservé à la gauche, tout en émettant vis-à-vis de l’opinion publique l’image d’un parti conservateur mais ouvert à la démocratie.

Simple opération de com’ ou volonté véritable de continuer de se fondre dans le paysage politique national ? Réponse d’ici 2012.


Houda Filali Ansary
Source: La Vie Eco

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