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Une nuit Aïssaoua

Leïlat Aïssaoua

Des confréries religieuses, il en existe beaucoup mais les Aïssaoua figurent parmi l’une des plus importantes dans le monde arabo-musulman et plus spécialement au Maroc où elle reste très populaire.

Elle est directement issue de la tradition soufie qui a donné son essor à cette confrérie.

Cette tariqa a été fondée par Mohamed Ben Aïssa né en 1465 et venu de la région du Souss selon la croyance populaire, mort à Meknès vers 1526, qui est devenu plus tard pour la postérité « El Cheikh Kamal », le « Cheikh parfait ». Il est d’ailleurs enterré à « Bab El Jdid », lieu de pèlerinage.

Les zaouiyas n’ont cessé d’éclore durant cette période. Cette confrérie a des ramifications dans tout le Maghreb, en Syrie et bien au-delà encore dans la sphère musulmane.

Après la mort de Ben Aïssa, d’autres adeptes ont grossi les rangs de la tariqa se scindant en deux groupes :
- La voie soufie
- La voie des pratiques soufies par le rituel

Cet art normé devenu Art est avant tout perçu comme le symbole du Soufisme.

Je vais tâcher de vous rendre compte ici d’une soirée Aïssaoua et de son rituel ou hadhra telle qu’elle se déroule à Meknès par exemple. Dans chaque ville, la séance peut être conduite différemment. Et a fortiori, dans les pays musulmans,, les variations se multiplient en fonction des spécificités locales ou régionales.

La soirée débute après l’Isha dernière prière de la journée.
Le groupe ou Ta’ifa se tient à une centaine de mètres de l’endroit où se déroulera la Lila.
Il se rassemble entouré des disciples ou fouqaras devant la porte de l’hôte, sous la houlette du chef de la Ta’ifa ou Moqqadem dont le rôle est prépondérant dans le bon déroulement de la séance. Il est ainsi nommé et respecté car il est doté de toutes les qualités requises pour assumer une telle fonction par ses connaissances accrues sur :

* Le Coran,
* Le soufisme,
* Le saint fondateur de la confrérie,
* et enfin sur le rituel aïssaoua

Ils récitent une courte prière, la Fatiha et entrent dans la maison de leurs hôtes. On les appelle alors El Jalala.
Ils tiennent à bout de bras les oriflammes ou l'aalamat, brodés d'or aux différents noms de Dieu. Les vêtements cérémoniels, les brûle-parfums, les encensoirs et les instruments de musique sont là aussi pour donner tout son éclat à la soirée.
Il s’ensuit une nouvelle récitation de la Fatiha et les invocations peuvent alors commencer. Le groupe dirigé par le Moqqadem s'assied au milieu de la maison, les instruments momentanément mis de côté. Il récite alors a cappella "les louanges à l'Eternel " ou le Hizb "Soubhan al-Daïm, psalmodie rédigée par le Cheikh Ben Aïssa.
Enchaînement avec vingt louanges au Prophète ou sefat. Reprise de la Fatiha.

Le groupe peut alors reprendre ses instruments de musique et chanter. Tout le monde frappe dans ses mains et alors commence l'évocation, le souvenir de Dieu ou Dhikr Allah par des poésies en arabe dialectal empruntées au répertoire du malhun "religieux". Seuls Dieu, le Prophète Mohamed Ben Aïssa et les saints sont à l'honneur.

Passons rapidement en revue les instruments :
- Un double tambour en terre cuite à deux peaux frappées à l'aide de deux baguettes ou tabla, utilisé seulement par le moqqadem.
- Une petite percussion digitale en terre cuite en forme de sablier ou tarija. On l'utilise d'une main.
- Des tambours à deux faces portés à l'épaule et frappés à l'aide de deux baguettes ou tbila.
- Un bol en cuivre retourné frappé à l'aide de deux baguettes ou tassa.
- Un instrument à percussion digitale, le bendir, lourd, entouré de petites cymbales ou boujnajin
- Enfin un hautbois ou ghaita ((le prononcer raïta). Seul instrument mélodique (au nombre de trois).

Le groupe reprend ensuite les instruments (tarija + tbila + tassa + boujnajin) auxquels on rajoute le tabla et est abordée alors une série de poésies religieuses à forme fixe dont les thèmes sont l'imploration, l'asile et la protection appelée derqaouiya.
Cette "derqaouiya" comporte une partie chantée et l'autre dansée.
Enchaînement par l'évocation de l'Unicité divine ou haddun (unique). Les hautbois prennent alors la relève des voix.
Le moqqadem intervient alors en adressant de courtes prières au Cheikh Kamal, à la demande de l'assistance, ou ghaziya.
On passe alors au rituel d'appel des génies ou belmlouk, qui occupent le corps des individus. Il y en a de très populaires tels que Hammou, Aïcha el Sudaniya, Al Gnawi, Mira, Lalla Malika.
Le premier appelé est toujours Al Gnawi et le dernier Lalla Malika.
Chacun d'eux a ses spécificités.

La danse (par excellence) de transe des initiés Aïssaoui ou mjerred peut alors commencer. Le mjerred constitue le sommet du rituel.
Avant d’aborder la danse de transe ouverte au public ou rabbani (divin), il y a une courte introduction par un chant ancien appelé « zammeta ». Ce chant raconte la fabrication d’un mets constitué d’orge ou de blé, de sucre et de farine de blé. Les danseurs balancent leur corps d'avant en arrière sur le rythme en ne cessant de répéter "Dieu immortel", Allah Daïm.

La fatiha clôt la séance et les participants pour lesquels on a demandé des grâces sont remerciés.

Le groupe sort de la maison en égrenant :
"Cette maison est la maison de Dieu, et les disciples sont des créatures de Dieu"
Ad dar, dar Allah, wol fouqra abid Allah

La première prière du matin est faite. Près de cinq ou six heures se sont écoulées.
En guise de conclusion, je dirai qu'il faut distinguer deux types de Aïssaoua : l'urbain et le rural comme Shim El Mokhtar.
Beaucoup de choses ont été écrites sur les Aïssaoua et chacun peut les considérer du point de vue soufique, religieux ou du point de vue artistique.
Beaucoup ont écrit sur les Aïssaoua comme Le Chatelier dès 1886 ou Brunel en 1926.
Quelques groupes ont joué un rôle prépondérant à Meknès comme :

- Rakeb el Filali, fondé au XVIIème siècle, dirigé aujourd’hui par Driss El Mrabet aux disciples célèbres tels Boubeker El Mestachi, Moulay Idriss Mokdad, El Mahjoub Azizi, Abdelilah Deroussi et tant d'autres ;
- la Taïfa El Ismaïlia dirigée par Abdejellil Lemreber,
- la taïfa Zitoune (au milieu de Meknès),
- Twarga,
- Sidi Amar,
- El Kasbah
- Taïfa de Moulay Idriss Zerhoun.

Ces rites sont là pour perpétuer les relations entre le monde invisible, les forces de la nature et un sacré immanent à l'univers.
Si je voulais vous parler aujourd’hui de cette tariqa dans l’art ou de cet art dans la tariqa, alors que tant de choses sont dites, c’est que je voulais tout simplement vous faire entrevoir autre chose, que derrière le folklore des possédés et derrière les apparences, se trouve une culture orale de tous les sens menant tout droit vers les rives de la Culture à travers sons et mélodies.

Said El Meftahi - Yabiladi.com
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