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Hicham Chami, un virtuose du Qanun à Chicago

Hicham Chami, jeune marocain à Chicago et virtuose de Qanun, vient de sortir un album pour hisser haut l'étendard de la musique arabe et marocaine.Beaucoup pourrait s'attendre de la part de ce jeune artiste des rythmes de la musique techno avec une touche orientale, mais il n'en est rien. Hicham se place au cœur de la musique classique arabe et les rythmes qu'il propose vous bercent et vous font voyager dans les mystères du monde arabo-musulman au temps des califes et des "Contes des milles et une nuits".
Un véritable défi que de vouloir faire connaître ce style de musique aux Etats-Unis en ces temps avec tous les évènements politiques et militaires depuis 2001. Mais Hicham est un homme de défis, persuadé que la musique permet de dépasser les clivages.
Il nous a accordé une interview afin de mieux cerner toutes les facettes de son art, mais aussi toutes les facettes de sa personne à la fois artiste et chef d'entreprise.


Yabiladi: - Bonjour Hicham, pourriez-vous présenter votre parcours aux visiteurs de Yabiladi?
H.C.: - J’ai commencé mon éducation musicale à l’age de huit ans au Maroc, au Conservatoire de Musique et de Danse de Rabat ou j’ai étudié le solfège et le qanun pendant dix ans, au terme desquels j’ai obtenu le prix d’honneur.
Ce fut également l’année de mon Baccalauréat en Sciences Economiques au Lycée Descartes à Rabat.
Part la suite j’ai rejoint l’ISCAE Casablanca ou j’ai obtenu le diplôme du cycle normal, Option Marketing.
Apres quelques mois au sein de la direction de la communication de Maroc Telecom, j’ai opté pour des études supérieures en Marketing aux USA. Et c’est là que j’en suis actuellement, à quelques mois seulement de l’obtention d’un MBA (équivalent d’un Doctorat de troisième Cycle en Marketing) à l’Université De Paul de Chicago, Kellstadt Business School.
Mon aventure musicale aux Etats-Unis a pris son point de départ avec l’obtention d’une bourse d’une institution privée pour assister à l’Atelier Professionnel sur la Musique arabe (Arabic Music Retreat) organisé chaque année par le violoniste de renom (d’origine palestinienne), Simon Shaheen.

Comment avez-vous réussi l'équilibre "passion de la musique-études supérieures" ?
H.C.: - 2 ingrédients: Volonté et Organisation. Ce n’est pas toujours facile. C’est encore moins facile quand on est expatrié et qu’il faut tout faire soi-même.
Dans une métropole aussi grande que Chicago, la pression peut être monstre par moments. Entre les trajets interminables en voiture, les obligations professionnelles, les 1001 choses de la vie quotidienne… il faut gérer son temps avec grande minutie pour pouvoir tirer le maximum de sa journée en allouant une plage horaire pour chaque chose: entraînement solo, répétitions, recherche et travaux universitaires … Tout cela bien sur, en essayant de mener une vie saine et équilibrée pour ne pas être victime du pire ennemi des polyvalents: le stress.


Etant donné votre parcours universitaire, prévoyez-vous d’exercer un autre métier, parallèlement à celui d'artiste?
H.C.: - La meilleure façon pour moi de marier parcours universitaire et artistique fut de créer Xauen Music, Inc., une société que je gère entièrement avec pour objectif premier, la promotion de la musique classique orientale. Xauen (clin d’œil nostalgique à Chaouen) est organisée autour de trois pôles:

- Xauen Recordings, pour les enregistrements musicaux,
- Xauen Publishing, pour la publication musicale,
- Xauen Events pour la programmation d’activités musicales

Je veux signaler au passage -parce que j’en suis fier- que le personnel de Xauen à l’exception d’une personne est entièrement constitué de marocains résidant à Chicago.

Parlez-nous du Qanun:
H.C.: - Le Qanun est un instrument à l’origine bien mystérieuse. Plusieurs civilisations en revendiquent la création: Turcs, Arabes, Perses…
Tel que connu de nos jours, le Qanun est un instrument trapézoïdal dont l’étendue sonore couvre de trois octaves et demi à quatre octaves et demi.
Traditionnellement, l’instrument repose sur les jambes du musicien en position assise mais il arrive aussi qu’une table soit utilisée. Les cordes sont grattées avec l’index de chaque main muni d’un onglet.
La spécificité de l’instrument vient de la façon utilisée pour obtenir les demis et quarts de tons. Le joueur (Qanunji) doit pour ce faire manipuler des palettes métalliques se trouvant sur le flanc gauche de la boite sonore. Le tout se fait de la main gauche pendant que la main droite continue à jouer.

Quel accueil le public américain réserve à ce type d'instrument et à la musique orientale?
H.C.: - J’ai été, je dois dire surpris de rencontrer un intérêt certain pour l’instrument et la culture qu’il représente. A chaque concert que je donne, il y a une majorité accablante d’américains. C’est encore plus vrai lorsque je me produis dans des villes universitaires.

Quelle est la visibilité du Maroc et de son patrimoine culturel aux USA?
H.C.: - Il m’est pénible d’admettre que cette visibilité est presque nulle. A part quelques expositions isolées ici et là auxquelles j’ai eu le plaisir d’assister, il n’y a pas de promotion structurée et surtout continue. C’est à déplorer parce que le Maroc a l’avantage de jouir ici d’une réputation à laquelle peu de pays arabes peuvent prétendre.

Avez-vous une idée sur la composition de la communauté marocaine aux USA?
H.C.: - Je préfère laisser les spécialistes (sociologues, démographes et autres) répondre à cette question. Cependant, les rares éléments dont je dispose ne permettent pas de démarquer profondément la communauté qui vit aux USA de celle du Canada ou de l’Europe et l’on peut donc dire qu’elle est composée de travailleurs, d’étudiants (sans Association malheureusement) et d’hommes d’affaires ou d’universitaires installés ici depuis longtemps.

Quel lien gardez-vous avec le Maroc après cette expérience réussie aux USA?
H.C.: - Un lien très solide … surtout familial puisque l’ensemble de ma famille vit au Maroc (entre Tetouan dont je suis natif, Tanger et Rabat). Le contact est bien sur facilité par l’Internet : lecture des journaux nationaux, écoute de radios marocaines…etc. De plus, j’effectue en moyenne une visite par an au Maroc, comme l’année dernière, quand j’ai passé tout le mois du Ramadan en famille. C’est à chaque fois l’occasion de me ressourcer et de faire le plein d’énergie ... je ne connais que ça de vrai pour affronter Chicago...

Quel regard portez-vous sur le Maroc d'aujourd'hui?
H.C.: - Un regard plein d’espoir, malgré des inquiétudes justifiées. Nous possédons, Dieu Merci, un potentiel incroyable que ce soit sur le plan humain, culturel et économique ce qui est déterminant pour la construction d’un lendemain meilleur pour tous, à condition que tout le monde veuille bien y mettre du sien.

Quel est l'impact du 11/09 et du climat de méfiance qui règne aux USA sur votre vie quotidienne?
H.C.: - J’ai eu à remarquer que les réactions diffèrent selon vos activités et selon les couches de la population avec lesquelles vous êtes en contact.

L'artiste que vous êtes peut-il jouer un rôle de « dédiabolisation » de l'orient?
H.C.: - Oui, dans la mesure ou l’art et la musique sont des instruments puissants de communication et de connaissance mutuelles.
A chacun de mes concerts, j’ai pleinement conscience que je ne suis pas seulement un artiste avec son instrument, mais également -et à mon niveau - un représentant du monde arabo-musulman. Il ne fait aucun doute pour moi que présenter notre riche héritage musical, notre identité culturelle à un public Americano-américain… peut fortement contribuer à changer le regard porté sur nous.
C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai un comportement proactif quand je joue: je communique avec mon auditoire en parlant de la musique que je joue, en la présentant d’abord verbalement puis musicalement. Et a chaque fois, je réalise avec plaisir que la musique est un moyen fabuleux de connaissance et de respect mutuels.

Le meilleur exemple en est l’ensemble musical que je viens de créer, "Mosaic", qui interprète de la musique orientale classique et qui regroupe des nationalités et des confessions différentes parmi lesquelles nous sommes, Walid (mon joueur de Contrebasse syrien) et moi les seuls arabes musulmans.


Pouvez vous nous parler des difficultés rencontrées sur votre parcours d'artiste et d'expatrié en général?
H.C.: - La seule difficulté qui m’a dérangé au départ est celle que j’ai eu à m’imposer non pas sur la scène culturelle américaine, ou vis à vis de mes auditoires, mais vis à vis des autres musiciens arabes qui prétendent détenir le monopole de la musique orientale classique.
Selon eux, nous autres marocains, et par extension les nord-africains aussi, ne sommes pas assez musicalement éduqués à leurs yeux... Nous sommes faits pour Nass El Ghiwane (que j’adore), Jil Jilala et la musique Rai.. pas pour Sabah Fakhri, Sayyed Darwish, et Nazem El Ghazali. J’ai eu une belle occasion de les convaincre de la vocation "arabe classique" du Maroc en jouant une fois un très beau Samai, une pièce très classique, obéissant aux règles les plus strictes tant sur le plan rythmique, que celui des modulations tonales. Ce n’est qu’après avoir joue la pièce et écouté toute sortes d’éloges sur sa beauté que je les ai informé qu’ il s’agissait du Samai Nahawand de Feu Si Ahmed Al Bidaoui, un musicien bien de chez nous... Ca les a laissé bien perplexes.

Quels sont vos projets artistiques?
H.C.: - Je viens de sortir mon tout premier CD intitulé "Promises" (promesses): une collection de pièces classiques que j’interprète avec Catherine, une percussionniste de Los Angeles spécialiste des rythmes médiévaux.
Je travaille également sur deux autres enregistrements. Le premier concerne la musique Ladino: j’y interprète au Qanun quelques chansons avec la Chanteuse espagnole Sarah Aroeste. Le deuxième enregistrement n’en est qu’ à ses balbutiements. Il s’agit d’une collaboration avec l’accordéoniste Elisabeth Borgerhoff. Le but est de marier ces deux instruments appartenant à deux mondes différents pour l’interprétation de longhas, une forme de danse que l’on retrouve tant dans l’école classique arabe que dans certains pays européens tels que la Grèce ou la Turquie.

Un conseil pour les jeunes artistes marocains?
H.C.: - Travail sérieux et persévérance.

Merci à Hicham Chami pour nous avoir accordé cette interview et toute l'équipe de Yabiladi lui souhaite tout le succès qu'il mérite.

Pour en savoir plus visitez son site:
http://www.hichamchami.com

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