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Benoît Califano, réalisateur de "Maroc, l'école en marche"

Mardi 11 Mai 2004, la chaîne télévisée française France5, diffusera un documentaire poignant sur la lutte contre l'analphabétisme au Maroc. Le film réalisé par Benoît Califano dresse un paysage réaliste de la situation émouvante d'enfants issus des bidonvilles de Sidi Moumen, des rues de Meknès, ou issus d'un village berbère aux pieds de l'Atlas.
L'équipe de Yabiladi a eu l'occasion de visionner le documentaire en avant-première et d'interviewer le réalisateur pour vous donner une idée du travail réalisé.

Yabiladi: Vous avez tourné plusieurs semaines au Maroc, connaissiez-vous ce pays avant d'y aller?
Benoît CALIFANO : Je connais assez bien ce pays pour y être allé cinq fois... soit pour travailler, soit en vacances, et j’avais déjà pu découvrir le Maroc urbain et le Maroc rural. Mais je n’y avais jamais séjourné aussi longtemps (plus d’un mois). Il est d’ailleurs intéressant de constater que pour beaucoup de français, le Maroc est un pays que l’on croit connaître, qui nous paraît très proche. En réalité, on se trompe. Nous nous sommes efforcés autour de ce travail de casser les représentations superficielles que les français ont de ce pays.

Comment avez vous dépassé les clichés "vendeurs" sur l'intégrisme, les femmes, le tiers monde pour rendre compte d'une situation dont beaucoup de marocains issus du monde rural se reconnaîtront?
Nous n’avons pas évacué ces questions dans notre film. La question de l’intégrisme est évoquée dans la partie sur Sidi Moumen, la réforme de la Moudouwana est abordée, et les disparités sociales entre un Maroc nanti et un Maroc misérable sont clairement montrées. Ce sont des questions essentielles pour la société marocaine et les enjeux qu’elles véhiculent doivent nous permettre de mieux appréhender les perspectives de ce pays. Néanmoins, il ne s’agit pas pour nous de faire du sensationnalisme autour de ces questions. C’est la force du documentaire de prendre du recul : comprendre est plus important que savoir. Pour contourner les clichés, il n’y a pas de secret. D’abord, il faut prendre du temps, lors du tournage, beaucoup discuter et pas seulement avec les officiels mais surtout avec les gens ordinaires. Nous avons d’abord passé dix jours sans tourner, pour repérer les situations, les lieux et les gens qui figureraient dans notre film. Ensuite nous sommes revenus pour filmer pendant un mois. Par ailleurs, durant tout le tournage, un assistant marocain arabophone et berbérophone nous a accompagnés. Il se nomme Mohammed Achaour. Il était bien plus qu’un interprète pour nous. Il nous a donné les clefs pour comprendre sa société.

Quel a été l'accueil des populations notamment dans l'atlas, peu habituées à ce genre d'exercice?
Nous n’avons eu aucun problème pour travailler avec la population de l’atlas. L’accueil a été formidable à tous les niveaux (mon estomac s’en souvient encore). Un soir, ils ont même organisé une grande fête en notre honneur. Je crois que cette population rurale était contente qu’on s'intéresse à elle, à ses difficultés, et à sa culture. Ils ont souvent l’impression d’être oubliés et notre présence pour témoigner de leur quotidien les a touchés et honorés. De plus, nous ne sommes pas venus les rencontrer en les regardant de haut, comme des animaux de zoo. Nous avons échangé avec simplicité, humilité, et respect. D’égal à égal. Nous avons vécu plusieurs jours en partageant leur quotidien, dormant chez eux, mangeant avec eux, respectant leurs codes, ne jugeant pas. Nous avons juste essayé de les comprendre pour témoigner... C’est important de ne pas arriver dans ces campagnes avec un sentiment de supériorité. J’ai le plus grand respect pour le courage et la force de ces gens. Il n’ y a pas de condescendance dans notre regard, juste de l'empathie.

Le film montre très clairement l'engagement de la société civile (femmes et hommes) en partenariat avec l'État pour gagner le combat de l'instruction, qu'avez vous envie de dire aux détracteurs de cette politique quant à la sincérité de la stratégie de l'alphabétisation?
C’est compliqué de répondre à cette question. Sans éducation, il n’y a pas d’avenir pour un pays, et la politique volontariste autour de la scolarisation massive et de l’alphabétisation des enfants et des adultes est impressionnante au Maroc. Il y a une véritable volonté institutionnelle, doublée d’une grande mobilisation des enseignants et de la société civile. Mais les moyens manquent cruellement. L’état marocain consacre une grande partie de son budget actuel à l’éducation, mais c’est celui d’un pays pauvre, et le budget de fonctionnement du ministère de l’éducation est tellement important qu’il reste finalement très peu de moyen de développer et améliorer le système éducatif. C’est pour cela que l’Etat marocain, qui a pleinement conscience des enjeux éducatifs, s'appuie largement sur les associations et la société civile pour moderniser l’Ecole marocaine. Mais j’ai bien peur qu’on leur en demande trop et que les énergies finissent par s'essouffler. Vous savez, l’éducation est une condition nécessaire mais pas suffisante dans le développement d’un pays. L’éducation de masse n’est pas forcément un gage de qualité et l’absence de perspectives professionnelles pour les marocains plombe considérablement la motivation des étudiants. De plus les disparités sociales dans le pays n’arrangent rien. A l’heure de la mondialisation, les enjeux pour le Maroc sont tout à la fois éducatifs, économiques et sociaux... Le chantier est énorme.

La communauté marocaine en France et en Europe, est engagée uniquement sur le plan économique notamment dans les zones rurales lointaines, elle peut jouer un rôle déterminant dans cette bataille de l'alphabétisation. Comment voyez vous sa contribution?
Leur engagement leur appartient et je n’ai pas à le juger. J’ai vu lors de ce tournage de nombreuses associations mobilisées autour de micro projets, dans un douar, dans une école.... Elles travaillent avec des moyens de fortune pour tenter d’améliorer les choses. Ce sont des gouttes d’eau mais elles sont nombreuses et volontaires. En soutenant financièrement un projet très ciblé, dans un lieu précis, avec des opérateurs clairement identifiés, les marocains d’Europe peuvent être très utiles à leur pays. Des ONG comme “migration et développement” à Marseille par exemple, ou la Ligue de l’Enseignement s’inscrivent dans cette démarche et peuvent être un relais fiable pour aider l’Ecole marocaine. Mais il y a d’autres moyens d’agir. Beaucoup d’enseignants marocains des milieux ruraux sont en demande de jumelage avec des écoles françaises. L’intérêt pédagogique est certain pour les deux écoles, d’un point de vue culturel et linguistique, et ces jumelages peuvent permettre de rompre l’isolement dont souffrent ces enseignants et ces élèves marocains. A l’échelle d’une école française ou d’une classe, ça n’est pas très compliqué à mettre en place, et les échanges peuvent se construire par courrier, ou par email.

Quelle est l'image que vous gardez de ce tournage ?
Il y a évidemment beaucoup d’images qui me restent de ce tournage. Des paysages sublimes dans les montagnes de l’Atlas ou dans la province d’El Haouz. Mais l’image la plus marquante est celle, plus triste, de ces enfants des rues croisés dans les villes la nuit, au plus froid de l’hiver. La situation de ces enfants est inacceptable.
Il y a une autre image, plus douce, qui ne figure pas dans le documentaire mais qui m’a beaucoup touché : celle d’une vieille femme de 80 ans vivant dans le quartier El Fida de Casablanca, qui prend le chemin de l’école avec son sac d’écolière pour apprendre à lire et à écrire. Sa fierté et son bonheur sur les bancs de l’école me réjouissent et m’émeuvent.


Diffusion du documentaire:
Mardi 11 mai 2004 à 15h45 Sur France5

Rediffusions:
- Mercredi 19 mai 2004 à 01h14 sur France 5 cablé : TPS, NOOS, Canal Satellite
- Dimanche 23 mai 2004 à 05h02 sur France 5 réseau hertzien

:: Lire la présentation du documentaire

Rachid - Yabiladi.com

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