Mohamed Razane est un passionné. Son amour pour l’écriture a fini par payer puisque son premier roman « Dit violent » vient de paraître aux éditions Gallimard. Et c’est un thème qui lui tient à cœur qui est au centre de son roman : la violence dans les banlieues. Loin de se limiter aux clichés et aux histoires tape à l’œil, Mohamed met en relief, témoigne, dénonce la violence sociale qui touche la jeunesse des banlieues. Son expérience acquise sur le terrain du social dans les quartiers sensibles lui donne une connaissance approfondie de ces problématiques.
Avec une écriture qui éructe la violence on est tout de suite plongé dans les entrailles d’une France délaissée, la France des banlieues.
Un roman qui ne nous laisse pas insensible, un livre vrai, un auteur qui a su trouver l’équilibre entre sa proximité avec le phénomène social et le recul de l’observateur.
Un auteur qui a choisi de livrer ses pensées à nos lecteurs dans cette interview.
- Yabiladi : Pourquoi le titre « Dit violent » pour ce premier roman ?
Mohamed Razane : C’est le héros qui impose les choses ainsi, les autres le qualifient de violent tant il peine à exister autrement. Il est vrai également que les jeunes en souffrance expriment leur mal être de manière de plus en plus violente. Mais toute l’histoire du livre tend à dépasser cette réalité pour en montrer une autre : celle de la souffrance.
- Le contenu et le verbe utilisé sont également violents. La forme a-t-elle pour but de plonger le lecteur dans ce monde qui n’est pas tendre ?
Le verbe est parfois dur car il nous plonge au cœur de souffrances que l’on n’a pas forcément envie d’entendre. Le but est d’interpeller le lecteur pour ne plus se contenter de formules creuses et démagogiques telles que « sauvageons, racaille à nettoyer au karcher », tant il est dangereux de se rassurer à entendre des discours sécuritaires qui ne feront qu’aggraver les choses. Le but est de véritablement explorer le processus qui pousse des gamins à poser des actes délictueux et violents. Faire l’économie de cette compréhension c’est accepter délibérément que cette violence se développe. Je ne suis pas un partisan pour autant des discours « victimaires », car tout délit doit être puni par loi. Mon discours est qu’on ne peut se contenter de cela, il est impératif d’explorer les facteurs qui participent de ce processus pour mieux le combattre par la prévention et ainsi éviter que demain ne soit pire qu’aujourd’hui.
- Votre roman vient à point nommé pour ne pas oublier le malaise social dans les banlieues et qui a conduit aux émeutes spectaculaires. Pensez-vous que l’histoire se répète, et que les gouvernants oublieront cette révolte comme ils l’ont fait pour les évènements des Minguettes, de Vaux-en-Velin ou Mantes la Jolie ?
L’histoire se répète en effet, seulement les révoltes se radicalisent et se font plus violentes. Malheureusement je demeure assez pessimiste quant à l’attention que les pouvoirs publics y portent. Pour l’heure, les réponses demeurent exclusivement d’ordre sécuritaire, on veut « karchériser la racaille ». On ne prend pas la mesure du malaise, on minimise la réalité de territoires qui sont le nid des inégalités économiques, culturelles, sociales et géographiques, où vivent des populations pour qui l’insertion est devenue un état et non plus une étape.
Mon roman n’a d’autres ambitions que d’interpeller sur le processus qui fait que des gamins en arrivent à poser des actes violents. Ils ne naissent pas avec le gêne de la violence ! Malheureusement, aujourd’hui nous avons insidieusement glissé du droit des exclus au droit à la sécurité, l’état social disparaît au profit d’un état pénal aux discours sécuritaires..
Par ailleurs, dans la montée de la violence, quand allons-nous enfin soulever la responsabilité sociale, économique et culturelle des adultes, des entreprises et des institutions.
- Dans le vocable « jeunes de banlieue » on comprend facilement que les médias et les politiques parlent des jeunes d’origines étrangères et notamment d’Afrique. Ne pensez-vous pas qu’il y a avant tout un problème d’intégration à imputer aux politiques de la droite ou de la gauche ? L’altérité poserait-elle problème, surtout lorsqu’elle est musulmane et venant d’Afrique ?
De mon point de vue, les médias et les pouvoirs publics ont encore une fâcheuse tendance, en effet, à inscrire ces jeunes français dans les phénomènes de l’immigration tandis qu’ils appartiennent à la troisième, voire la quatrième génération, « sortie » de cette immigration.
Dans le malaise de la banlieue, il s’agit avant tout du drame de la pauvreté et non pas un supposé problème d’ordre culturel, du problème d’un pays qui pratique largement la stigmatisation et la discrimination d’individus à leur faciès et de territoires entiers oubliés des pouvoirs publics.
S’attaquer à ce malaise c’est s’attaquer à la pauvreté et à l’exclusion, c’est lutter efficacement contre les discriminations multiples, c’est désenclaver les quartiers par une politique cohérente de restructuration urbaine, c’est obliger les communes à respecter la loi SRU qui leur impose un quota de 20% de logements sociaux, que la qualité du service public ne soit plus dépendante du niveau de prestige de tel ou tel territoire.
Et l’enjeu est d’ordre financier. Il suffit de visiter les territoires favorisés pour vous en rendre compte. Jusque là, on a institutionnalisé le « RMI des quartiers », à savoir la politique de la ville, définie à l’origine comme une mission devenue à présent une bureaucratie qui ne gère guère que le non-emploi, repeint de jolis couleurs des immeubles dans des états de délabrement avancé, qui demande aux habitants de ces quartiers d’être des citoyens et de s’investir dans des actions collectives ( à ce sujet, demande-t-on aux habitants des quartiers favorisés de s’investir dans des projets de vie collective, et aux jeunes de ces quartiers de monter des projets pour faire preuve de leur intégration ?)
- Dans votre ouvrage, on sent que vous êtes imprégné des problématiques des banlieues, de leurs souffrances. Est-ce le fait de votre enfance, de votre vécu, ou plutôt de votre expérience en tant que travailleur social à Paris et sa région ?
Ce roman n’est pas autobiographique. Il a été inspiré par des réalités sociales pour lesquelles il n’est nul besoin d’être travailleur social pour en prendre la mesure, tant ces réalités sont prégnantes et visibles aujourd’hui. Il est vrai cependant que mes expériences auprès des jeunes en situation de difficultés m’ont permis d’explorer plus avant l’ampleur des souffrances qui se cachent derrière des parcours délinquants. Les enfants difficiles sont toujours des enfants en difficulté.
- Parlons un peu plus de vous. Vous avez quitté le Maroc à l’âge de neuf ans dans le cadre d’un regroupement familial avec votre père en France. Pendant longtemps les aléas de la vie ont fait que vous avez perdu le contact avec votre pays natal. Il y a quelques années pourtant un désir fort de retrouver vos racines vous a permis de renouer avec le Maroc. Racontez-nous ce retour aux sources ?
En effet, je suis arrivé en France en 1979 à l’âge de neuf dans le cadre du regroupement familial. Malheureusement, à l’époque notre culture d’origine n’était pas valorisée comme elle peut l’être aujourd’hui, si bien que beaucoup de gamins de mon âge vivaient leur origine comme une tare dans la mesure où elle ne correspondait pas à l’environnement dans lequel on évoluait. On avait envie d’être comme les autres gamins. Je me souviens avoir même revendiqué auprès de mes parents le droit d’avoir ma chambre personnelle, cherchant à ressembler à mes camarades de classe. Je me souviens aussi que la réponse fut cinglante !
Chaque été nous avions obligation d’aller au pays dans la 504 « pigeot » chargée plus que de raison de cadeaux et de choses inutiles, tandis que nous rêvions d’accompagner nos camarades en colonies de vacances. Si bien qu’à l’âge où nous étions en capacité de nous opposer à nos parents, celui de l’adolescence, nous décidions d’aller découvrir le monde et réaliser qu’il n’était pas seulement fait du 93 et du Maroc.
Et puis le temps fait son œuvre, jusqu’au jour où on réalise que beaucoup d’années se sont écoulées sans qu’on ait respiré l’air du pays. Et alors, l’urgence et l’illusion de vouloir rattraper le temps se font pressantes. Que se passe-t-il au juste au fond de nous pour que ce besoin se fasse ressentir ? Je serais bien en peine de vous en expliquer les contours.
Le retour au pays ? Ce fut une vague d’émotions mêlée de chocs liés à la représentation que je pouvais me faire de mon pays et la réalité. Et au final, j’ai le même sentiment envers le Maroc que je peux en avoir envers la France, mes deux pays ; un sentiment mêlant colère et amour !
- Il y a quelques années vous nous faisiez part que Yabiladi.com avait joué un rôle dans cette réappropriation de ce Maroc des souvenirs. Dans quels sens un site internet a-t-il pu permettre d’établir ce pont identitaire ?
Yabiladi fut une heureuse rencontre. Votre site m’a permis d’échanger avec des gens qui avaient la même histoire que moi, les mêmes questionnements, les mêmes anecdotes et alors on se sent rassuré, on se sent moins seuls. Et puis des échanges avec des marocains et marocaines qui vivent là-bas, et on réalise que le Maroc est pluriel.
Votre site est important pour les marocains du monde, il leur donne une voix et les rend visibles.
- Pensez-vous qu’une meilleur connaissance de ses origines et une valorisation de notre histoire serait a même d’apaiser les tensions que peuvent vivre les jeunes d’origines étrangères qui se sentent exclus et qui vivent avec douleur leur double identité ?
Pour ma part, il faut dissocier les choses. Il y’a le malaise de la banlieue d’une part, et la question de l’histoire de l’immigration de l’autre. Et en aucun cas, il ne faut amalgamer les deux. Le malaise de la banlieue est liée à ce que j’expose plus haut, à savoir la question de la pauvreté et de l’exclusion, et il se trouve que les populations immigrées et « sorties » de l’immigration sont les plus fragiles, ce qui explique qu’elles soient plus exposées à l’exclusion.
La question de l’identité est importante, et je considère que c’est une forme de violence lorsque l’école occulte leur histoire. Il est important que ces gamins aient une idée claire de leur histoire, celle qui s’inscrit dans l’immigration, qu’ils sachent pourquoi leurs grands parents ont eu à quitter leur pays d’origine, qu’ils sachent comment ces derniers ont vécu et dans quels contextes ils ont évolué, et qu’ils puissent ainsi donner un sens à leur présence ici.
- Enfin pour finir sur une note plus optimiste, ce premier roman est-il le point de départ pour une carrière d’écrivain ? Quels sont vos prochains projets littéraires ?
J’ai toujours écrit, que ce soit des nouvelles, des poèmes, ou encore pour le théâtre, et il en sera toujours ainsi. J’espère un jour avoir la chance d’écrire pour le cinéma. La question de la visibilité est intimement liée à la chance qu’une maison d’édition vous donne d’être diffusé. J’ai eu cette chance avec la plus prestigieuse des maisons d’édition, gageons que cela se maintienne. Je travaille actuellement sur un deuxième roman qui relève, tout comme « Dit violent », de la chronique sociale, de souffrances étouffées.
Vous pouvez consulter la fiche du livre et éventuellement l'acheter en ligne sur notre service Mektaba
Mohamed Ezzouak
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