Malgré le ralentissement économique mondial suite à la crise des subprimes aux Etats-Unis, le Maroc affiche une santé de fer. On parle d'un taux de croissance du PIB de 6,8% pour cette année, et de 6,0% l'année prochaine.
Le secteur bancaire est un élément centrale dans la stabilité économique du Royaume. Pour nous éclairer sur les forces et les faiblesses de l'économie marocaine, nous avons interviewé un analyse financier vivant à Casablanca. Tour d'horizon du secteur financier au Maroc avec Moussa Diop.
- Yabiladi.com : Quel est l’état actuel du secteur bancaire au Maroc ?
- Moussa Diop : Globalement, le secteur bancaire marocain se porte bien. Tous les indicateurs d’activité et de résultat sont au beau fixe. En 2007, et par rapport à 2006, le produit net bancaire a augmenté de 17,6 % à 26 milliards de dirhams. Le résultat net global du secteur bancaire a augmenté de 35,5 % à 9 milliards de dirhams. Parallèlement, les banques ont vu l’encours de leur dépôt croître de 18,07 % à 516 milliards de dirhams. Les crédits octroyés à l’économie ont progressé de 29 % à 422,6 milliards de dirhams. Les créances en souffrance du secteur ont baissé pour s’établir à 33,3 milliards de dirhams attestant de l’efficacité des politiques de recouvrement et de la maîtrise des risques.
Par ailleurs, le secteur a adopté avec succès les nouvelles normes comptables IFRS et est en passe de réussir son passage pour les règles de Bâle II.
Enfin, fort de son dynamisme et de sa solidité, le secteur bancaire se tourne vers l’international, notamment vers l’Afrique au sud du Sahara, le Maghreb et l’Europe pour y trouver des relais de croissance. C’est dans ce cadre que toutes les banques sont aujourd’hui engagées dans des programmes de renforcement de leurs assises financières à travers la consolidation de leurs fonds propres.
- Est-ce que cela signifie qu’il n’y a pas de tensions ou de risque pour le secteur ?
- D’abord, il faut souligner que les risques sont foncièrement liés aux activités d’intermédiation bancaire. Ceci étant dit, souligner que le secteur se porte bien ne veut pas dire qu’il n’y a pas de tensions ou de risques. Outre le niveau élevé de concentration du secteur bancaire (3 banques concentrent 70 % des dépôts et distribuent 60 % des crédits), le risque d’intérêt lié à la transformation des ressources à court terme en emplois à moyen et long terme reste présent quant on sait que 80 % des ressources bancaires sont constitués de dépôts de la clientèle dont une grande partie de dépôts à vue alors que plus de 51 % des crédits octroyés par le secteur (immobilier et équipement) sont des crédits à long terme. Par ailleurs, la progression des crédits au cours de ces dernières années s’est faite à un rythme largement supérieur à celui de la collecte des ressources. Conséquences, on note des tensions de liquidités au niveau de presque toutes les banques de la place qui recourent de plus en plus à Bank Al-Maghrib pour se refinancer. D’ailleurs, l’institut d’émission ne cesse de mettre en garde le secteur de ses «largesses» en matière d’octroi de crédits. Dans ce cadre, Bank Al-Maghrib et la communauté bancaire ont signé deux codes d’éthique concernant le financement des actifs immobiliers et financiers et ce en vue de garantir un financement sain et approprié des actifs. Cette vigilance est d’autant plus nécessaire qu’on note un renchérissement du coût des dépôts avec un impact négatif sur la marge d’intermédiation.
Enfin, signalons que Bank Al-Maghrib a décidé de relever le niveau du ratio de solvabilité à 10 % à compter de fin décembre 2008 et cible un objectif de 12 % pour se conformer au second pilier de Bâle II. Ce qui ne manquera pas d’impacter sur capacités de financement du secteur.
- Est-ce que la crise des «subprimes» commence à se faire sentir au Maroc ?
- L’impact de la crise des «subprimes» -crédits immobiliers américains à risques- commence à se faire sentir sur tous les pays, différemment bien sûr du fait de l’imbrication croissante des économies, mais aussi, et surtout du fait que la crise strictement financière touche de plus en plus la sphère de l’économie réelle. Ainsi, elle contribue à la faiblesse du dollar et aux flambées des cours du baril de pétrole et des produits alimentaires.
Pour le Maroc, et grâce aux réformes structurelles entreprises au cours de ces dernières années, l’impact négatif de la crise a été contenu, jusqu’à présent. Ce faisant, tous les équilibres macroéconomiques ont été maintenus. Le PIB continue à croître et on s’attend à une hausse de 6,8 % en 2008 et 6,0 % en 2009, le déficit budgétaire ne devrait pas dépasser les 3 % du PIB, l’inflation reste relativement faible.
Toutefois, cette maîtrise des équilibres est menacée par les dépenses de compensation qui commencent à devenir un véritable goulot d’étranglement pour le budget de l’Etat, et ce d’autant qu’aucun signe de repli des cours du pétrole et des produits alimentaires n’est perceptible. En plus, le ralentissement de l’activité économique Outre-atlantique et plus particulièrement dans la zone euro, principal partenaire économique du Royaume, risque de porter encore plus de préjudices au secteur exportateur déjà mal au point.
Bref, les dommages collatéraux des «subprimes» se font bien sentir au Maroc, à l’instar des autres pays en développement, même s’il y a d’autres facteurs explicatifs de la situation actuelle.
- On parle de plus en plus d’une hausse du taux directeur ? Quels sont les facteurs qui peuvent influencer sur la révision de celui-ci ?
- La révision du taux directeur est une décision qui appartient au Conseil de Bank Al-Maghrib. Lors de sa dernière réunion trimestrielle qui s’est tenue en juin dernier, celui-ci a décidé de rehausser son niveau de vigilance tout en maintenant son taux directeur inchangé. Toutefois, certains on voulu faire un parallèle avec la révision à la hausse du taux directeur de la Banque Centrale Européenne (BCE). Le parallélisme n’est pas fortuit. En effet, les deux banques centrales ont comme missions principales la stabilité des prix. Hors, au niveau des deux régions, on note que l’inflation gagne du terrain. Au Maroc, et en glissement annuel, celui-ci est passé de 2,4 % en février, à 3,2 % en mars, 3,7 % en avril pour s’établir à 5,4 % en mai, sous l’effet de la tendance haussière des cours internationaux de produits alimentaires de base qui commence à se diffuser vers les autres biens et services. Partant, la prochaine réunion du Conseil sera scruter avec beaucoup d’intérêt. Tout dépendra des perspectives d’évolution de l’inflation dans les prochains mois et des conséquences d’un relèvement du taux directeur qui se traduira par un renchérissement du loyer de l’argent qui ne manquera pas d’être répercuté par les banques sur leurs clients avec au finish un impact relativement négatif sur l’activité économique.
L’évolution de l’inflation demeure le facteur déterminant qui pèsera sur la décision. Celle-ci dépendra de l’évolution des cours des hydrocarbures et des produits alimentaires de base sur le marché international, de l’évolution des salaires, du rythme de croissance des crédits, ...