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Les marocains de l’étranger, par Mustapha Kharmoudi

C’est une chose positive de voir les autorités marocaines affirmer haut et fort leur volonté de rompre avec les pratiques anciennes, et de chercher à insuffler un souffle nouveau aux relations complexes et tumultueuses qu’elles entretiennent avec les marocains et leurs descendants vivant à l’extérieur du pays. Tous, nous savons que si cette relation est reconstruite sur des bases saines et transparentes, chaque partie en retirera le meilleur bénéfice.

De part et d’autre, le désir d’une réconciliation semble immense et les bonnes paroles fusent. Mais, tout en se félicitant de cet élan généreux, gardons à l’esprit que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Car pour construire une stratégie durable, il importe de la fonder, au-delà de l’affectif, sur des bases rationnelles et mesurables.

En premier lieu, apprenons d’abord à nommer les phénomènes avec des noms appropriés. Aucun marocain vivant à l’extérieur du Maroc ne peut se reconnaître dans cette malheureuse formule « MRE », marocains résidant à l’étranger. Le mot « résidant » enferme en lui un sentiment de provisoire, ce qui n’est plus le cas depuis longtemps déjà. L’immense majorité d’entre nous sont des citoyens « durables » et à part entière des pays où ils vivent. Mais cela ne diminue en rien leur appartenance légale et sentimentale au peuple marocain, même si leurs relations avec l’Etat marocain s’en trouvent bien atténuées.

En second lieu, il est nécessaire de reconnaître leur poids déterminant dans l’évolution de l’économie marocaine. Mais déjà rien qu’à ce titre, ils méritent plus d’égard. Autant d’égards que les touristes, par exemple. Au-delà des chiffres des transferts de devises ou autres balances des paiements, les décideurs politiques et économiques devraient leur accorder une place en conséquence dans les lieux qui déterminent les choix stratégiques, en amont comme en aval. Pour ce faire, il y a lieu de les impliquer physiquement ou moralement (à travers leurs associations) dans tous les organismes socio-économiques. En particulier, comme beaucoup d’entre nous sont d’origine rurale, il serait astucieux de les associer aux chambres d’agriculture ou à tout autre organisme s’occupant du monde rural ; leur apport serait utile d’autant plus s’il s’inscrit dans une démarche de développement durable.

Sur le plan des nécessaires transformations des mentalités, la participation des marocains de l’extérieur et des jeunes issus de l’émigration marocaine peut s’avérer fructueuse. Nombre d’entre nous sont diplômés des meilleurs établissements occidentaux et mènent une vie professionnelle au sein de groupes économiques dont l’influence sur la marche du monde n’est pas négligeable. D’autres, non moins nombreux, s’activent dans des établissements ou institutions à vocation publique. Tous peuvent apporter au Maroc un « sang nouveau » grâce à leur savoir-faire teinté d’un certain souci pour la transparence et d’un rejet certain de l’arbitraire et de la corruption. Loin de moi l’idée de prôner un retour massif de ces compétences, ce serait illusoire. Je parle juste d’une participation mineure en nombre mais peut-être majeure en dynamisme.

Pour aborder tous ces chantiers et mobiliser les bonnes compétences, les marocains, aussi bien ceux de l’intérieur que ceux de l’extérieur, aussi bien ceux d’en haut que ceux d’en bas, ont à accomplir une véritable révolution mentale. Il leur faut apprendre vite à être marocains autrement que par les sentiments. Ceux qui vivent au Maroc ont à reconnaître que l’apport des marocains de l’extérieur a été important dans des domaines fondamentaux pour l’évolution des mœurs. Ils ont été de tous les combats pour la démocratie et contre l’arbitraire, ils sont foncièrement opposés à la corruption et particulièrement à celle de l’administration. Ils ont soutenu, voire même initié avant ceux de l’intérieur, des revendications considérées par le passé comme des tabous. Il suffit de penser à l’espace de liberté qui a été pris par la question berbère, par exemple, ou encore à la place des femmes dans la vie publique, ou enfin à l’importance de la musique populaire dans le champ culturel officiel qui l’a trop longtemps rejeté.

Ceux qui vivent ailleurs doivent aussi prendre conscience que le Maroc traverse une période cruciale de son histoire. Ils ont une obligation morale de l’aider à passer le cap, et leur participation y est cruciale. Il ne suffit pas d’une volonté politique des décideurs, aussi hauts soient-ils, pour que le pays prenne les rails de la modernité. La précarité reste dans les four-chettes de l’intolérable. Et ni l’Europe ni les Etats-Unis ne sont disposés à accompagner fortement la politique de rénovation actuelle, laquelle, faute d’un vrai volet anti-chômage, ne pourra que patiner au risque de céder la place, à moyen terme, à une politique infiniment plus rétrograde et obscurantiste.

Mais il appartient en tout premier lieu d’abord à l’Etat marocain de donner l’exemple. Grâce à des accords bilatéraux qu’il lui revient d’en prendre l’initiative, il pourrait consolider les droits des marocains et leurs descendants dans le sens de plus de liberté et moins d’enfermement. Je pense par exemple aux droits des femmes qui restent en Occident supérieurs à ceux du Maroc malgré l’évolution notable de ces dernières années.
Sur le plan économique, le Maroc gagnerait à accorder les mêmes privilèges à ses citoyens de l’extérieur que ceux qu’il accorde aux nationaux des pays dont ils sont issus.
L’Etat marocain pourrait enfin favoriser plus encore le brassage culturel entre les marocains de l’intérieur et ceux de l’extérieur. Un effort de traduction et de publication des œuvres littéraires des marocains de l’extérieur et de leurs descendants serait très symbolique et peu coûteux, bien entendu. Un effort de diffusion des œuvres artistiques ne manquera pas, comme nous l’avons vu récemment, de mettre en débat des gens du même pays mais avec des références diverses qui pourraient être autant de richesses.
Un vieil adage dit qu’une culture se meurt si elle ne s’ouvre pas à d’autres cultures. Le Maroc a autant la possibilité de s’ouvrir que de s’enfermer. Les marocains de l’extérieur sont vraiment une chance pour lui, à condition des les prendre pour des acteurs majeurs.

Mustapha Kharmoudi
Ecrivain – Besançon - France

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