Menu

Booder: L'éclosion d'un nouveau comique marocain en France

Booder, ce nom loufoque n'évoque sans doute rien pour le Marocain lambda. Pourtant en France, où on l'appelle le “Jamel Debbouze 2”, ce jeune comique de 27 ans est déjà un véritable phénomène. Rencontre dans les coulisses du théâtre Mohammed V avec un artiste au physique atypique et à l'humour ravageur.

En ce samedi après-midi, le soleil tape fort sur l'esplanade du Théâtre Mohammed V de Rabat. Cela n'empêche pas plusieurs ados d'attendre patiemment aux portes, espérant apercevoir leur idole à travers les vitres. Qui ça ? “Sofia, la fille de la Star Ac' pardi !” crient-ils tous en chœur. Mais la star de la soirée ne sera pas forcément celle que l'on croyait. La surprise vient de la première partie de soirée avec la venue d'un comique dont sans doute aucun des spectateurs n'a entendu parler : Booder. De son vrai nom Mohamed Benyamna, le jeune homme a réussi l'exploit de jouer quatre mois à guichets fermés, au théâtre du Triomphe à Paris. Plutôt impressionnant comme carte de visite ! Il a continué sur sa lancée, en se produisant également au théâtre du Temple, dans d'autres salles parisiennes et en périphérie. Bref, à peine arrivé dans le paysage humoristique français, il casse déjà la baraque ! Son surnom, qu'il porte depuis l'âge de six ans, lui vient du footballeur, star du Wydad, du Matra Racing et ex-international marocain, Aziz Bouderbala : “Il était la star de l'époque. Comme lui, j'étais gaucher et petit de taille -il ne mesure pas plus d'1,60 mètre. Donc rapidement mes camarades m'ont surnommé ainsi”, raconte t-il non sans une certaine nostalgie, quelques minutes avant la répétition.

En famille, point de surnom, c'est Mohamed point barre : “Alors qu'il était aux Pays-Bas où il réécrivait son spectacle, je l'ai appelé et ai demandé à parler à Booder. Son cousin m'a dit qu'il ne savait pas qui était Booder. Je me suis alors dit que tous devaient le nommer Mohamed !”, se rappelle en riant Rachid Ould Ali, producteur et metteur en scène du jeune prodige. Obligé de filer en répétition, Booder coupe net la conversation. L'armada de techniciens semble plutôt étonnée devant ce personnage au nez disproportionné, affublé d'un bonnet blanc et qui semble sorti tout droit d'un cartoon de Tex Avery, mais le jeune homme est aussi à l'aise sur scène qu'un poisson dans son bocal. Pour preuve, il ne répète même pas, tout juste teste-t-il son micro. Malgré son jeune âge, il assure, c'est évident. De ce physique hors du commun, qui résulte des graves problèmes de santé qui ont poussé sa mère et ses frères à émigrer en France pour rejoindre son père, six mois après sa naissance, il dit : “J'en joue forcément, il ne m'a jamais dérangé, à part dans le monde du travail”.

Enfance parisienne
Impossible de le revoir avant son spectacle. Ce n'est que deux jours plus tard que le comique peut en dire plus sur son parcours. Pourtant ce qu'il tient à souligner avant tout, c’est l'accueil réservé par les Rbatis à sa prestation. “J'avais légèrement peur que ça ne fonctionne pas aussi bien qu'en France mais je me suis trompé. J'ai parlé de mon enfance au Maroc lors de mes vacances, de mon immeuble, de l'école. Le public a vraiment accroché. Les seuls changements apportés ont été l'introduction de mots en darija”. Visiblement, Booder est encore sous le charme. Il redescend vite sur terre, remonte dans le temps pour évoquer sa famille, son enfance, son lycée, ses débuts au théâtre, sa vie, dont il s'inspire tant dans ses sketches : son père, ouvrier-plombier, sa mère, femme au foyer et trois frères (un quatrième naît en 1986), tous installés jusqu'en 1985, rue Oberkampf dans le 11ème arrondissement dans un F2 cuisine, sans douche, toilettes sur le palier, au 5ème sans ascenseur - il dit n'en garder que de bons souvenirs - avant de déménager dans le 10ème pour un F4 de la cité La Grange-aux-Belles. Dans cet environnement familial où la religion tient une part extrêmement importante, le jeune Mohamed apprend rigueur et assiduité au travail, qualités indispensables qu'il n'applique pourtant pas à l'école où il s'ennuie ferme : “J'étais bon tout en travaillant à peine, ce qui excédait les profs. Je n'ai jamais adhéré au système des notes qui met les élèves en concurrence”. Le gentil lascar accumule les bêtises ce qui agace fortement le proviseur du lycée Armand-Carrel dans le 19ème : “C'est l'atelier théâtre, ou je te vire !”. “J'ai appris plus tard que c'est la prof de théâtre qui a demandé que j'y participe. Elle avait entendu parler d'un p'tit gars marrant !” explique Booder. Dès lors, il y revient, y prend goût car “c'était du théâtre d'improvisation”. Le démon de la scène s'empare de lui pour ne plus jamais le quitter

Théâtre, voie de rédemption
Après un bref passage au Cours Florent où on lui demande “de mimer une chaise” -expérience vite oubliée- et une pièce de théâtre Papa Mouloud avec ses anciens camarades de l'atelier, le hasard met sur sa route deux frères, membres d'une troupe, les Sans Amis. Booder, qui avoue “ne pas supporter d'être seul”, a trouvé sur qui s'appuyer. A eux trois, ils écument les salles, avec un certain succès. Malgré cela, ils ne parviennent pas à émerger, doivent travailler dans d'autres domaines pour s'en sortir. Finalement, les deux autres jettent l'éponge mais Derboo (comme certains le surnomment aussi) s'accroche. Deuxième hasard, plus heureux celui-ci, sa rencontre avec Rachid Ould Ali. Celui-ci comprend que le jeune Marocain a un potentiel énorme. “Nous avons tourné un clip avec le frère de Jamel (ndlr Debbouze). Au fur et à mesure, toutes les caméras présentes se sont focalisées sur Booder. Il m'a également montré le DVD de son spectacle, j'ai alors compris qu'il pouvait aller très loin”, raconte le producteur. Avec l'aide de Mouss Diouf (le fameux collègue de Julie Lescaut) qui le propulse en première partie de son spectacle au théâtre du Gymnase, Booder joue devant 800 personnes : “Il est arrivé sur scène sans être annoncé, personne ne le connaissait et pourtant il a fait pleurer la salle de rire”. Pari gagné.

En haut de l'affiche
La machine est lancée. 2004 est l'année de la consécration : il joue son one man show dans diverses salles parisiennes, en banlieue mais aussi en province (Marseille, Festival d'Avignon) où le succès est également au rendez-vous. Cerise sur le gâteau : il est encensé par un autre enfant des banlieues, le Numérobis d'Astérix et Obélix. “J'ai invité Jamel à venir voir Booder sur scène et il a eu cette réponse déconcertante : ‘Je n'ai pas besoin de le voir sur scène pour savoir qu'il est très bon !’” se souvient Rachid. Compliment sacré. Sans conteste, le jeune comique a l'étoffe d'un grand. Malgré cela, il n'en reste pas moins un grand enfant, “atteint du syndrome de Peter Pan”, dixit son producteur. Il faut dire qu'à 27 ans, il vit encore sous le toit familial, fait qui n'étonne personne dans notre pays mais qui en surprend plus d'un dans l'Hexagone. “Tous les matins, lorsque ma mère me voit, elle me demande ce que je fais encore là !” s'amuse-t-il à raconter entre deux “salut, comment tu vas ?” aux personnes qui passent non loin de lui. “Le banc, pilier central de la scène où joue Booder, pourrait représenter son père et sa mère, sur lesquels il se repose beaucoup”, ajoute intelligemment Rachid Ould Ali. Le succès débutant ne l'a apparemment pas changé : il fréquente toujours son quartier, rend visite au centre d'animation où il s'est occupé d'ados durant presque dix ans : “C'est normal, ils sont une partie de moi”. Et le Maroc dans tout ça ? “J'ai aussi bien la culture française que la marocaine. Mes parents m'ont toujours appris à dire wa à l'intérieur de la maison et oui à l'extérieur. D'ailleurs depuis 1979, je passe les trois mois d'été là-bas, dans la ville où je suis né”. Monter un spectacle en darija, Booder en rêve secrètement. “Il m'est même plus facile d'écrire en arabe. Je kifferai vraiment jouer dans des coins reculés comme Oujda, Figuig”, dit-il avec une lueur d'espoir dans ses yeux d'enfant. Pour y parvenir, il revient au bled, quatre jours seulement après son spectacle à Rabat, pour se déconnecter des tumultes de la vie parisienne et y trouver l'inspiration : “Il n'y a absolument rien à faire ici. Je peux ainsi mieux me concentrer sur l'écriture de mon prochain spectacle”. “Il n'abordera pas les mêmes sujets : RMI, les cancres, l'ennui et l'exclusion scolaires, la galère, l'université, les potes refoulés des boîtes de nuit, les flics. Un mec qui cartonne en parlant du RMI, ce n'est pas très crédible ! Néanmoins ça restera toujours du Booder”, balance comme conclusion, son complice Rachid. Avec un tel programme, à coup sûr, les Marocains l'attendent de pied ferme.

Bio express.
1978. Naissance à Bouarfa, à côté de Figuig
1979. Arrivée en France pour raisons médicales
1998-1999. Participation assidue à l'Atelier théâtre de son lycée
2000. Il obtient son bac comptabilité
2004. Début de son One Man Show
2005. Il joue son spectacle durant quatre mois au Triomphe puis plusieurs mois au Temple
2006. Il occupera la scène du Splendid durant trois mois, à partir de septembre

Ilham Mellouki
Source: TelQuel

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com