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J'ai vu tuer Ben Barka

L'enlèvement du leader marocain en 1965, filmé façon polar.

A propos de l'affaire Ben Barka, dès 1972, Yves Boisset réalise L'Attentat. Interprété par Jean-Louis Trintignant et rebaptisé Darien, Georges Figon, figure centrale de la machination qui allait permettre l'enlèvement en 1965 du leader marocain en plein Paris, y devient un traître magnifique, torturé par sa propre lâcheté. Charles Berling, qui lui succède dans la version de Serge Le Péron, remet le personnage à sa vraie place - un petit aventurier hâbleur - tout en lui conférant, par une interprétation inquiète, fébrile, une étonnante profondeur.

C'est sur une image extrêmement romanesque que s'ouvre J'ai vu tuer Ben Barka. Georges Figon, plus ou moins suicidé, se met à nous raconter les événements qui ont précédé sa mort. On songe à ces films hollywoodiens où ce sont les morts qui dévoilent la vérité : William Holden dans Boulevard du crépuscule, de Billy Wilder. Ou Glenn Close dans Le Mystère von Bülow, de Barbet Schroeder. Par son rythme et son style, c'est le thriller à l'ancienne, d'ailleurs, qui inspire Le Péron. S'il avait eu le cran de le tourner en noir et blanc, son film, avec sa lumière froide et sa musique jazzy, aurait pu ressembler à ces polars urbains que signaient Dassin ou Siodmak dans l'Amérique des années 50. Avec l'ombre de Richard Widmark sous les traits de Charles Berling.

Car J'ai vu tuer Ben Barka est un film d'ombres. Exhumées du passé. Totalement inattendues quand surgissent, soudain, Marguerite Duras et Georges Franju, dont on ne connaissait pas, jusque-là, le rôle involontaire, mais déterminant, dans l'enlèvement. Peu importe que Josiane Balasko soit à la fois très bien et très invraisemblable dans le rôle de Marguerite. Et que Jean-Pierre Léaud, ravagé et magnifique, soit l'exact opposé physique du cinéaste des Yeux sans visage et de Judex. Tous deux sont aussi irréalistes que l'appartement cinématographique de Franju qui semble droit sorti d'un de ses films : mortifère et inquiétant. Fascinants et pathétiques, ils sont, pour Le Péron, des fantoches pirandelliens, jouant un rôle qu'ils estiment capital dans une pièce qu'ils croient écrire. Manipulés et généreux comme pouvaient l'être les intellectuels engagés de l'époque, ils ne sont là que pour permettre à la fatalité de se mettre en route.

Pour le reste, avec rigueur et clarté, Le Péron rappelle des faits. Qui était Ben Barka. L'espoir qu'il symbolisait pour le Maroc. Le danger qu'il représentait pour Oufkir, ministre de l'Intérieur du roi Hassan II, explique bien le rôle embarrassant de la France dans un enlèvement qui reste mystérieux, quarante ans après. Mais il bâcle, curieusement, celui, secret mais omniprésent, de la CIA. C'est la seule vraie faiblesse d'un film qui rappelle, avec une touche d'émotion et de nostalgie en plus (Fabienne Babe dans le rôle de la copine de Figon, l'actrice Anne-Marie Coffinet), les pamphlets que l'Italie savait si bien faire, jadis, et que la France ne fait plus.


Pierre Murat
Source: Télérama

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