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«La liqueur d'aloès» de Jocelyne Laâbi : Les combats d'une vie

Jocelyne Laâbi a attendu la maturité pour prendre sa plume et dévoiler, dans un style sobre, élégant et plein de pudeur, un récit autobiographique des deux périodes qui ont le plus marquées sa vie, son enfance au Maroc et le combat des femmes des prisonniers politiques. A travers le regard de l'enfant, de l'adolescente puis de la femme mûre, le Maroc, son histoire, ses hommes et ses femmes sont croqués avec lucidité et amour.

«...C'est mon pays. Parce que là sommeillent les souvenirs de mon enfance, là je me suis forgée une conscience, là j'ai appris le refus..., parce que cette langue aussi gutturale que lui, que je me suis acharnée à maîtriser, m'entraînant à prononcer ces sons imprononçables qui ont fini par céder. Et qu'il m'a offert toutes les variations de l'accord et de l'amour. Parce qu'il m'exaspère et qu'il me nourrit …».

A 7 ans, Jocelyne Laâbi, née Lecuelle, va s'installer avec sa famille à Meknès. Elle découvre alors un pays qu'elle fera sien, mais aussi le racisme d'un père qu'elle révère : le racisme anti-arabe, banal chez les colons et le racisme anti-juif, incompréhensible alors pour la petite fille qu'elle était et qui avait de nombreux amis parmi la communauté juive du Maroc.

Elle observe les séquelles de l'ordre colonial et découvre aussi que ce père qu'elle adorait cachait un terrible secret. Il avait été milicien de Vichy pendant la guerre. Ce fut le choc pour l'adolescente qu'elle était, mais aussi la confirmation de ses engagements, de ses combats et de sa lutte.

Après l'indépendance, la narratrice choisit de rester au Maroc et d'y poursuivre ses études universitaires. Elle rencontre, en 1963, celui qui deviendra, une année plus tard, son époux, en dépit des préjugés familiaux. «Il condensait le monde, m'offrait l'éblouissement du corps qui vibre et s'épanouit, l'amour et son délire, ses déchirements et ses questionnements, ses abîmes, ses sommets, mais aussi une terre nouvelle, l'histoire de ses meurtrissures et de ses conquêtes, sa légende dorée, qui surgissaient en ombres chinoises dans ma vie avant de prendre peu à peu consistance, réalité.

Et il m'en a fallut de l'effort, apprentissage de joie en peine, de bonheurs en douleurs. J'avais tant à apprendre et d'abord sur ce pays jusqu'alors simple décor d'une enfance somme toute heureuse, toile de fond aux interrogations égocentriques d'une adolescente, car je ne faisais que vivre dans ce pays qui vivait encore si peu en moi».

Ces moments d'infinies douceurs entre l'un des plus grands poètes contemporains et celle qui va lui inspirer ses plus beaux chants d'amour vont brutalement basculer dans l'horreur et la répression politique, lorsque Abedellatif Laâbi est incarcéré. De ces années sombres et brutales, Jocelyne Laâbi livre aux lecteurs des pans poignants de ce combat pour la liberté et la justice.
Dans «La liqueur d'aloès», Jocelyne Laâbi racontera l'arrestation, la torture et l'emprisonnement de son compagnon.

Elle racontera aussi les rêves de révolution que les jeunes d'alors caressaient, les répressions, les condamnations, l'amitié qui se resserre entre les familles des prisonniers et cette longue, si longue attente de l'être aimé.

«La liqueur d'aloès» de Jocelyne Laâbi, édition Marsam,215 pages

Biographie
Née à Lyon, Jocelyne Laâbi a sept ans lorsqu'elle arrive au Maroc, en pleine période coloniale. Sa famille s'installe à Meknès. Bravant les préjugés de son milieu, elle épouse en 1964 Abdellatif Laâbi. Sa vie prend un nouveau tournant quand il est incarcéré en 1972. Commence pour elle un dur combat, qui sera couronné par la libération de son compagnon, huit ans plus tard. Vivant en France depuis 1985, elle publie des livres pour la jeunesse et traduit plusieurs auteurs arabes en français.

En 1963, à l'université, elle rencontre Abdellatif Laâbi, l'épouse en 1964. Ils ont trois enfants, la dernière née en 1972, juste après l'incarcération de son mari.
D'abord Secrétaire de Rédaction pour une revue économique et sociale de 1966 à 1973, elle enseigne le français dans un lycée de Rabat de 1974 à 1985, puis, partie en France, elle devient chargée de révision au sein de la presse et de l'édition.


Source: Le Matin

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