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Témoignages : Ceuta et Mellilia un peu moins d’un an après

Des étudiants subsahariens au Maroc se rappellent et jugent également leur pays d’accueil en matière d’intégration de subsahariens en général et des étudiants en particulier.

Les événements tragiques de Cebta et de Mellilia d’automne dernier ont mis le royaume, en tant que pays de transit, dans une posture inconfortable. Vu le déchaînement et l’acharnement d’une certaine presse du Nord et du Sud sur ‘’le sale boulot’’ du Maroc. Pour rappel, des centaines d’immigrants clandestins ont pris d’assaut les barbelés érigées à la frontière. Des tirs ont fusé. Une dizaine de morts. Rabat et Madrid s’accusent. L’image du royaume dans le monde et sur le continent en a beaucoup pâti… Mais les autorités marocaines n’ont pas tardé à réagir en menant une campagne de communication : des journalistes subsahariens ont été invités à venir constater de visu la réalité. Les 10 et 11 juillet dernier, Rabat a invité une cinquantaine de pays dont une vingtaine d’Afrique à un grand sommet Euro-Africain pour réfléchir sur les solutions concrètes à mettre en œuvre afin d’éradiquer le phénomène de l’immigration irrégulière. De plus, toujours à Rabat les 26 et 27 juillet dernier, un atelier national de réflexion sur la migration a été tenu. Toutes ces initiatives vont dans le sens de la responsabilisation des uns et des autres, en amont et en aval, pour que le Maroc cesse d’être le seul sous les feux de la rampe. Mais sur le plan du capital image, le mal est fait. C’est en tout cas ce qui ressort plus ou moins du micro-trottoir que nous avons fait auprès de quelques étudiants subsahariens à la cité universitaire Souissi1 de Rabat où ils passent cette année les vacances d’été.

A la question : ‘’Les événements de Cebta et Mellilia ont-ils eu un impact sur la perception que vous vous faisiez du Royaume ? Les réponses ont été aussi diverses que variées, allant des difficultés des subsahariens illégaux au Maroc, à l’intégration des étudiants, etc. Souvent sur un ton très enthousiaste. En voici quelques extraits.

Pour Aboubakry Djiby Sy (étudiant Mauritanien en Journalisme et Communication), Ceuta et Mellilia n’ont rien changé de l’image qu’il s’est forgée du Maroc. Pour lui c’est la même condescendance des Marocains vis-à-vis des subsahariens : « De toute façon les ‘’Africains’’ comme ils aiment à nous appeler, ne représentent rien aux yeux des Marocains. C’est en tout cas ce que j’ai constaté depuis mon arrivée ici en 2001. Et l’affaire de Ceuta et Mellila n’a été que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : des êtres humains abandonnés en plein désert tels des animaux ! Sans parler de ce journal tangérois qui a eu le culot d’étaler à sa ‘’une’’ ‘’Les criquets noirs envahissent le Maroc’’. Il faut que les Marocains sachent qu’ils produisent eux aussi des millions d’immigrés- légaux ou illégaux-, et que par conséquent ils devront être un peu plus compréhensifs des étudiants étrangers sur le sol pour ne pas faire de nous des mécontents revanchards une fois chez nous. »

A l’opposé de Sy, Assane Coly (étudiant Sénégalais à l’Ecole Nationale d’Administration) est un peu moins catégorique « Je crois qu’il ne faut pas tomber dans le piège de la généralisation : il y a de mauvais Marocains certes, mais il est indéniable qu’il y en a également des gens super. Comme partout d’ailleurs ! Pour revenir à la tragédie de l’automne dernier dans les enclaves de Ceuta et Mellilia, le Maroc a péché il est vrai en tombant dans le piège de l’Europe qui voulait faire de lui l’exécutant des basses œuvres; mais Rabat s’est vite aperçu de cela et a vite repris langue avec ses homologues du continent avec qui on voulait le fâcher… Inutile de polémiquer sur qui de la garde marocaine ou espagnole a tiré et tué quatorze clandestins –le mal étant fait- ; l’essentiel c’est de coordonner désormais les actions et que chacun, pays émetteur comme pays d’accueil ou pays de transit, assume sa responsabilité. Pour finir l’image que j’ai et que j’aurai du royaume, c’est celle d’un pays qui m’a donné la chance de poursuivre mes études supérieures. Malgré la galère, du reste inévitable dans la vie d’étudiant. »

Pour Eric Loua (étudiant Guinéen en troisième cycle de Management de la firme) qui en est en sa 7ème année au Maroc : « Le royaume du Maroc est un exemple en matière d’intégration des subsahariens. C’est du moins ce que j’avais à l’esprit en venant ici. Alors que pour les autres pays d’Afrique du Nord, l’image n’était pas fameuse. Mais quelques temps après mon arrivée, j’ai vite réalisé qu’il fallait mettre un peu de bémol à mon idée de départ : même si je suis parvenu à me faire des amis, je n’ai pas tout de même échappé au mépris de certains Marocains qui n’ont aucune considération pour le Black qui ne représente pour eux que la misère… Pas plus tard qu’hier, je me rendais en ville pour avoir des renseignements dans un siège que j’ai cherché en vain. Mais j’ai été frustré de me voir rejeter par un passant à qui je voulais demander l’adresse du lieu que je cherchais. Sans doute croyait-il que j’étais mendiant ! C’est vrai que le phénomène de subsahariens mendiant dans les rues des grandes villes marocaines est malheureusement devenu monnaie courante, mais il fallait quand même m’écouter ! Avec Ceuta et Mellilia, l’image du Maroc chez les subsahariens s’est détériorée et vice versa. Nombreux sont en fait les Marocains qui font l’amalgame entre étrangers en situation régulière et clandestins. Et cela devient offusquant de plus en plus. »

Dans le même registre, Elou Dia (étudiant Cap Verdien) témoigne que lors d’un voyage qu’il vient d’effectuer en France pour stage, il a été très frustré de voir le policier passer beaucoup de temps à scruter sa photo du passeport. Ayant lu le doute sur le visage du policier, il lui posait la question de savoir pourquoi tout ce temps et le rassurait qu’il était étudiant et que c’était bien lui sur la photo. A sa grande surprise, l’agent lui aurait répondu : ‘’ étudiant ou pas vous êtes tous pareils. Oui vous êtes tous des harraga.’’ Selon plusieurs témoignages ce comportement de la part des policiers au port de Tanger, surtout depuis les événements de Cebta et Mellila, est devenu très fréquent et en même temps agaçant.

Par ailleurs, certains étudiants en veulent aux immigrants illégaux qu’ils croient responsables de certains ‘’mauvais comportements’’ de Marocains à l’égard des subsahariens dont des étudiants. C’est du moins ce que pense cet étudiant Nigérien pour qui « Ils nous compliquent les choses ici [les clandestins]. Ils sont assez naïfs pour croire à un eldorado à l’autre côté de la rive en passant par le Maroc. Si les réguliers ne sont pas les bienvenus (il n’y a qu’à voir les nombreux quolibets qu’on nous jette quand nous passons dans certaines rues), quel traitement voulez vous qu’on leur réserve à part ce qui advenu lors de l’assaut contre les barbelés ? » Même son de cloche chez cet autre Guinéen qui accuse les ‘’harraga’’ : « A cause d’eux on est tous mis dans le même sac ! Par exemple au début de ce mois d’août, un étudiant Guinéen qui était allé se baigner à la plage à Tanger a eu la guigne de se cogner la tête sur un rocher. Les secouristes alertés ont exigé qu’il montre d’abord sa carte de séjour avant toute intervention. Le temps pour son ami d’aller chercher ses papiers à la maison, il a perdu beaucoup de sang ; ce qui lui a été finalement fatal.»

Même si la plupart des réponses obtenues ont été critiques à l’égard du royaume pour son ‘’rôle’’ dans le drame humain d’automne dernier, les sondés reconnaissent tout de même que la responsabilité n’est pas et ne devrait pas seulement être imputable au Maroc. Le Maroc qui disent –ils, a beaucoup d’autres chats à fouetter avec des moyens limités. De plus beaucoup d’autres étudiants pensent plutôt que Cebta et Mellilia à été un accident de parcours dû à un certain débordement qui peut engendrer de l’énervement, qui à son tour crée ce qui est arrivé. Beaucoup ont souligné également le rôle central que joue actuellement le royaume dans la formation des cadres Africains. Un atout majeur vu que l’obtention de visa pour les études au Nord est devenue un casse-tête. Cela conjugué au fait que l’université africaine est malade de son encadrement avec les effectifs pléthoriques et les incessantes grèves qui ponctuent et déstabilisent l’année universitaire. Les amalgames dont les sondés ont fait cas existent. Mais ils sont imputables à la conjoncture actuelle, avec le regain du phénomène migratoire qui n’épargne plus aucun pays. Pourvu que les différentes actions consécutives à la prise de conscience des Etats aussi bien ceux émetteurs que ceux d’accueil en passant par ceux de transit portent leurs fruits, avec la création des conditions à même de diminuer le ‘’hrig’’.

Bassirou BÄ
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